133 Vues
Enregistrer

McKinsey : qu’est-ce que c’est ?

Publié le 08/03/2017 (m.à.j* le 20/03/2022)
0 commentaire

Peu d’entreprises ont aujourd’hui le prestige du grand cabinet de conseil en stratégie McKinsey and co. Attirant les meilleurs élèves de toutes les disciplines, sortis des plus grandes universités mondiales et des professionnels chevronnés, il a su construire une identité de marque exceptionnelle, tout en séduisant les plus grandes entreprises, de célèbres organisations non-gouvernementales et de nombreux gouvernements.

Ce succès exceptionnel a également suscité de nombreuses controverses sur la qualité réelle des analyses de McKinsey ainsi que sur l’éthique du cabinet. Elles ont également été encouragées par ses pratiques laissant une large part au secret et à l’opacité. Pour autant la fascination exercée par McKinsey ne semble pas prête à diminuer, alors que l’attrait que l’entreprise exerce sur les meilleurs jeunes diplômés reste toujours important.

 

L’œuvre de James McKinsey


McKinsey
Logo de McKinsey | Source

Le cabinet est fondé à Chicago aux Etats-Unis en 1926 par James McKinsey, un professeur de comptabilité qui, observant certains défauts de la logistique de l’armée américaine, a l’idée d’utiliser des outils comptables et statistiques afin de conseiller des entreprises dans leur stratégie et opérations. La fondation de ce cabinet s’inscrit également dans un mouvement plus large de professionnalisation de la gestion d’entreprise ou “management”, notamment illustrée par la montée en puissance d’un nouveau type de diplôme, le Master in Business Administration (MBA). Pour autant, l’équipe originelle de McKinsey ne compte que deux ingénieurs et aucun manager.

 

L’association de McKinsey avec At Kearney


McKinsey s’associe en 1929 à Tom Kearney et a Marvin Bower en 1933, tout en ouvrant un nouveau bureau à New York. Dès cette époque, le cabinet tisse des liens étroits avec les entreprises qu’il conseille afin de se constituer un portefeuille d’activité garantissant son développement. En revanche, des divergences apparaissent concernant la stratégie de l’entreprise entre Kearney et Bower. Alors que le premier souhaite continuer à opérer depuis Chicago, le second est en faveur de l’ouverture de nouveaux bureaux dans toutes les grandes villes des Etats-Unis. En 1939, Kearney, à la tête du bureau de Chicago se sépare des autres bureaux pour former le cabinet AT Kearney. Il restera toutefois associé à son ancienne entreprise plusieurs années. Comme, entretemps, McKinsey est décédé en 1937, Bower dispose alors d’une très grande marge de manoeuvre pour imposer ses idées au sein d’une entreprise qu’il dirigera jusqu’en 1967 (à noter toutefois que jusqu’en 1950, c’est officiellement Guy Crockett qui préside la firme, bien que dans les faits, Bower en soit déjà le vrai dirigeant).

 

 

Création d’une « culture McKinsey »


matrice McKinsey
Une matrice améliorée de McKinsey | Wikimedia Commons

McKinsey avait eu l’idée de départ : la certitude que l’analyse méticuleuse de données quantitatives pouvait améliorer la gestion et le développement stratégique d’organisations complexes en leur apportant une vision plus claire de la réalité.

 

Le développement d’un métier : consultant


La culture et l’identité du cabinet, eux, seront essentiellement développés par Bower. Celui-ci a d’autant plus de liberté que le conseil est alors un secteur économique et construction, sans réelles traditions. La carrière de consultant est en effet loin d’égaler en prestige celles d’avocat ou de médecin, tandis que les activités de cette profession restent encore assez mal connues. Bower est pourtant persuadé du besoin de nombreux dirigeants d’entreprises d’avoir accès à une expertise indépendante et généraliste. Il est en outre convaincu de la nécessité pour les consultants de travailler directement avec les présidents-directeurs généraux des sociétés, une méthode que McKinsey applique encore aujourd’hui.

 

Une innovation de McKinsey : recruter les jeunes


Bower s’attache en même temps à faire de son cabinet une firme attractive capable d’attirer de jeunes talents. Il a en effet la certitude que la résolution des problèmes majeurs des plus grandes entreprises n’est possible que grâce au travail d’équipes d’experts venus d’horizons variés mais tous dotés d’une intelligence hors norme. McKinsey est ainsi l’une des premières entreprises, dans le domaine du conseil, à embaucher des « juniors » sortis de l’université.

 

La règle du up or out


En outre, le cabinet n’hésite pas à recruter des étudiants provenant de domaines divers, sans se concentrer sur les étudiants en management. Enfin, Bower crée un climat particulièrement exigeant pour ses consultants en instaurant la règle du “up or out” : celui qui n’est pas promu, à la suite d’évaluations poussées, doit quitter l’entreprise. Il continue toutefois de bénéficier du réseau McKinsey en faisant partie de ses « alumni ».

 

Une culture de l’autonomie


Par ailleurs, si le cabinet reste organisé de manière hiérarchique, chacun de ses consultants doit être considéré comme un dirigeant en puissance et donc bénéficier d’une certaine autonomie. Les différents bureaux eux-mêmes peuvent collaborer facilement en échangeant leurs idées et les cas sur lesquels ils ont eu à travailler. D’ailleurs, de manière significative, McKinsey n’a pas de quartier général, tous ses bureaux étant considérés comme égaux.

 

Le développement de McKinsey


Apres la Seconde Guerre mondiale, McKinsey s’impose définitivement comme le principal cabinet de conseil en management américain. Comme les États-Unis constituent alors le premier marché pour ce secteur, la domination de la firme est également mondiale.

En outre, son extension en-dehors des États-Unis conforte son hégémonie : en 1959, McKinsey ouvre son premier bureau à l’étranger à Londres. Dix ans plus tard, le cabinet aura ouvert huit bureaux internationaux dans trois continents. De fait, McKinsey aide de nombreuses entreprises européennes, dont Volkswagen et Dunlop, à se relever après les dévastations de la Seconde Guerre mondiale. La firme accompagne également l’implantation de plusieurs entreprises américaines, dont IBM, sur le Vieux Continent. Enfin, elle assume une vocation sociale en accomplissant en 1954 sa première mission pro bono en faveur d’une organisation non-gouvernementale, le Comité international de la Croix-Rouge.

 

La naissance de grands concurrents


Le succès de McKinsey est tel qu’il inspire d’autres brillants esprits. En 1963, Bruce Henderson, ancien consultant d’Arthur Little, fonde le Boston Consulting Group. Doté d’une culture moins rigide et plus détendue que McKinsey, sans pour autant sacrifier la rigueur de ses méthodes de travail, ce nouveau cabinet de conseil en stratégie en devient rapidement le principal concurrent. Les deux rivaux se livrent une lutte acharnée, non seulement sur le marché du conseil mais également sur le terrain de la recherche en management. A la fameuse matrice du BCG sur la croissance de la part de marché des produits d’une entreprise répond ainsi le modèle attrait du marché/position concurrentielle de McKinsey. En 1973, enfin, un autre concurrent redoutable apparaît, le cabinet de conseil en stratégie Bain and Company.

 

Difficultés et réorganisation


McKinsey doit répondre à cet environnement de plus en plus concurrentiel. Dès 1971, le cabinet identifie ses faiblesses : s’étant lancé dans une course à l’expansion géographique, il a négligé une approche plus sectorielle du conseil tandis que son modèle généraliste ne correspond plus aux besoins des entreprises et autres organisations dans une économie de plus en plus complexe. Cette faiblesse le met en danger face aux méthodes rigoureuses et fortement quantitatives du BCG. A partir de 1976, le nouveau PDG de la firme Ron Daniel engage ainsi une réforme ambitieuse visant à la réorganiser autour de pôles correspondant aux différentes industries auxquelles McKinsey apporte son expertise.

 

Une mondialisation heureuse pour McKinsey


Les années 1980 sont une période de prospérité et de développement intense pour les cabinets de conseil en stratégie. Désormais, la profession de consultant est non seulement reconnue mais elle attire les meilleurs éléments, pour la plupart sortis de business schools ou d’écoles d’ingénieurs. Ils sont séduits par les opportunités et les hauts salaires offerts par le secteur mais aussi par la stimulation intellectuelle que leur promettent les grands cabinets de conseil.

Parmi ceux-ci, les mieux établis, au premier rang desquels McKinsey, profitent d’un nouveau contexte économique. Le développement des échanges mondiaux, la libéralisation des mouvements de capitaux et l’émergence de nouvelles puissances économiques offrent de nombreuses opportunités aux grandes firmes occidentales, pour peu que celles-ci se réorganisent efficacement et adoptent les bonnes stratégies.

Celles-ci leur sont fournies par les experts des plus grands cabinets de conseil. McKinsey ouvre ainsi de nouveaux bureaux aux Etats-Unis dans les années 1980, à Minneapolis notamment. Alors que l’entreprise comptait 537 membres en 1970, elle atteint la barre des 1300 en 1987. Elle connaît également des succès spectaculaires comme la modernisation de la ville de Glasgow. En parallèle, ses alumni essaiment dans d’autres secteurs où ils occupent les plus hauts postes.

McKinsey se voit d’ailleurs reprocher une certaine arrogance dans sa communication. Un consultant du prestigieux cabinet interroge par BusinessWeek en 1986 n’a-t-il pas affirmé qu’ « il ne reste plus que trois grandes institutions dans le monde : les marines, l’Église catholique et McKinsey. ». Signe de cette assurance extrême, à partir de la fin des années 1980, McKinsey se met à effectuer de plus en plus de recherches…sur son propre fonctionnement afin de l’offrir en exemple à ses clients.

 

Une diversification des consultants


La mondialisation et les évolutions des sociétés occidentales changent également le visage de la firme sur un autre point : la diversité. Si les premières femmes ont intégré McKinsey dans les années 1960, elles étaient encore rares deux décennies plus tard. Pire, au début des années 1990, au moment d’ouvrir un bureau en Afrique du sud, le cabinet ne compte aucun noir. L’ère de la mondialisation est donc également celle ou McKinsey tente d’élargir son recrutement aux nouveaux pays dans lesquels ses consultants opèrent.

En revanche, les standards en termes de recrutement s’élèvent continuellement : si dans les années 1960, sortir de la Harvard Business School pouvait suffire à être embauché par le cabinet, cela ne garantit même plus une invitation à un entretien aujourd’hui. La révolution technologique amorcée dans la Silicon Valley pousse en même temps McKinsey à recruter de plus en plus de consultants ayant des formations scientifiques ou technologiques de très haut niveau.

 

Le temps des remises en question


Dès le début des années 1980, Bower, retiré des affaires, se plaint de la croissance spectaculaire de son ancienne entreprise, estimant que celle-ci accepte des commandes d’un trop grand nombre de clients et doit désormais arrêter son développement. D’autres critiques, y compris d’alumni, visent davantage la méthode McKinsey. Ainsi, Jon Katzenbach estime que le cabinet valorise trop l’intelligence analytique au détriment de la créativité alors que de plus en plus d’entreprises sont à la recherche d’idées innovantes. En outre, corsetés par les puissantes traditions de l’entreprise, ses consultants auraient tendance à rapidement se transformer en clones malgré des études ou des expériences professionnelles très diverses.

 

Des échecs majeurs ?


Certaines missions du cabinet, en outre, ont parfois débouché sur d’étranges résultats. Dans les années 1980, alors qu’ils aidaient AT&T à anticiper ses retours sur investissement dans la téléphonie mobile, les consultants de McKinsey estimaient que ce dernier marché ne comprendrait pas plus d’un million d’utilisateurs en 2000 (les téléphones portables étaient alors chers et peu commodes) ! À la même époque, la réorganisation de General Motors afin de l’adapter à la concurrence japonaise fut aussi considérée comme un échec retentissant. Si la plupart des clients de McKinsey se déclarent satisfaits de son travail, il convient de noter qu’aucun n’a intérêt à admettre le contraire compte tenu des dépenses astronomiques engagées pour faire appel au cabinet.

À l’inverse, les entreprises de l’économie numérique, qui ont le plus révolutionné la science du management à partir des années 1990 n’ont généralement pas fait appel aux cabinets de conseil en stratégie. De manière paradoxale, ceux-ci sont désormais les plus chauds partisans de la numérisation des organisations.

 

Plusieurs scandales


Certains scandales touchent également McKinsey dans les années 2000 comme l’affaire Enron, entreprise qu’il conseillait et qui fait faillite en 2001. On découvre alors que la firme avait pour habitude de maquiller certaines de ses pertes en gains via des manipulations comptables.

McKinsey sort presque indemne de ce séisme financier qui, à l’inverse, provoque la chute du cabinet d’audit et de conseil Andersen. Entre 2009 et 2012, une autre affaire affecte plus sérieusement la firme, dont l’un des anciens « managing directors », Rajat Gupta, est mis en cause. En 2012, celui-ci – qui a également été membre de nombreux conseils d’administration dont celui de Goldman Sachs, autre grand symbole du capitalisme américain – est reconnu coupable de délit d’initiés et condamné à deux ans de prison. Ce scandale intervient au moment où la crise économique, qui sévit depuis 2008, entraîne une méfiance généralisée à l’encontre des sociétés multinationales.

 

 

McKinsey, ou le succès des philosophes-roi des affaires


Quelle que soit la valeur ajoutée réelle de ses analyses, le succès de McKinsey du point de vue de son propre développement est réel. Encore aujourd’hui, l’attrait que le cabinet suscite auprès des meilleurs étudiants et professionnels du monde entier ne saurait nous surprendre.

D’après une étude de 2008 publiée par USA Today, un employé de McKinsey a une chance sur 690 de devenir un jour PDG d’une grande entreprise, contre une sur 2150 pour Deloitte, deuxième de ce classement. 70 alumni du cabinet ont dirigé ou dirigent aujourd’hui une société du classement fortune 500.

Peut-être plus significatif encore, une aura mystique continue d’entourer cette entreprise si célèbre aux pratiques pourtant opaques. Pour les étudiants d’écoles de commerce ou d’ingénieurs, ce sont en particulier les très difficiles entretiens d’embauche de McKinsey (la procédure de recrutement compte cinq phases en tout comprenant sélection de CV, test et divers entretiens) avec leurs études de cas qui font l’objet de fantasmes.

Loin de se cantonner aux grandes entreprises privées, McKinsey demeure également une marque très appréciée du secteur public. En 2012, le candidat républicain à l’élection présidentielle américaine Mitt Romney en fait ainsi un argument de campagne en promettant de faire appel au cabinet pour réformer l’administration publique américaine. C’est également McKinsey qui élabore le plan de diversification économique de l’Arabie saoudite à partir de 2015 ou encore la communication du Vatican en 2013. C’est également un alumni de poids, Kito de Boer, qui dirige aujourd’hui le Quartet pour la paix au Moyen-Orient…qui ne brille pas spécialement par sa réussite.

En dépit de son image d’entreprise arrogante, loin d’être infondée, l’entreprise a su évoluer et faire preuve de flexibilité afin de s’adapter aux évolutions de son temps. Elle a été la première a appliquer la méthode scientifique au management des entreprises, à faire le pari du développement international ou à faire confiance à de jeunes surdoués sortis de l’université. Sous la direction de Fred Gluck (1988-1994), elle a définitivement tourné le dos à sa culture généraliste pour devenir un gigantesque cabinet de consultants dotés d’une forte expertise sectorielle, une évolution qui tranche avec le modèle mis en place par Bowers. Cette flexibilité semble ainsi garantir le succès à long terme des « business philosopher-kings » comme les appelait un journaliste américain.

 

À lire