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Qu’est-ce que le sionisme ?

Publié le 25/06/2017
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Né au XIXe siècle, le sionisme est une idéologie et un mouvement culturel et politique dont l’objectif est de constituer un État souverain pour le peuple juif. Le sionisme a choisi la Palestine ou la terre d’Israël (Eretz Israël) comme territoire de cet État. Le territoire que recouvre effectivement la notion d’Eretz Israël est variable. Il peut correspondre aux yeux des nationalistes ou des religieux militants à un territoire qui s’étend au-delà des frontières internationalement reconnues de l’État d’Israël actuel. 

Le sionisme, jusqu’à la naissance d’Israël, est avant tout un mouvement qui fédère des Juifs d’Europe centrale et d’Europe de l’Est qui font face au problème de leur acceptation par les populations locales. Cette idéologie se construit en partie sur le refus de l’assimilation des Juifs dans les nations ou cultures locales, jugée impossible. Elle est accompagnée par l’idée que dans l’État des Juifs, ces derniers ne seraient pas coupés des fonctions productives (agriculture, industrie). Theodor Herzl (1860 – 1904), né à Budapest, est le fondateur du sionisme politique. 

L’objectif du sionisme a été atteint à la naissance de l’État d’Israël le 14 mai 1948. Son indépendance a été proclamée par David Ben Gourion (1886 – 1973).

Depuis, sionisme signifie plutôt soutenir ou aimer l’État d’Israël. 

 

Sionisme : étymologie

Le mot sionisme est un emprunt à l’allemand Zionismus. Il est formé à partir de Sion, une des collines de Jérusalem. Par extension, Sion désigne la ville entière de Jérusalem.

Le terme est utilisé pour la première fois le 1er avril 1890 par le journaliste Nathan Birnbaum (1864 – 1937) dans sa revue Selbstemancipation

Cet article est avant tout inspiré par le Que sais-je ? de Ilan Greilsammer sur le sionisme dont la lecture est recommandée. 

 

Les origines du sionisme

On peut voir sur cette image le président américain Theodore Roosevelt (1901 – 1909) demander au tsar de Russie Nicolas II (1894 – 1917) de cesser d’opprimer les Juifs | Wikimedia Commons | Le sionisme

1. La nostalgie pour Israël

Pourquoi le sionisme a-t-il fixé son aspiration à former un État sur le territoire de la Palestine ? L’aspiration à vivre sur le territoire qui forme aujourd’hui l’État d’Israël, ou la nostalgie pour ce territoire chez les Juifs de la diaspora, est un élément constitutif du judaïsme.

En effet, dans la Bible, la terre d’Israël (ou Canaan) est la terre promise aux patriarches. Mais l’installation du peuple hébreu sur ce territoire est fragilisée par les multiples invasions qu’il subit. Les Juifs de Jérusalem et du royaume de Juda subissent une déportation partielle (L’exil à Babylone) après l’invasion de leur territoire par Nabuchodonosor II (605 – 562 av. J.-C.). Le premier temple de Jérusalem (ou temple de Salomon) est alors détruit. Bien plus tard, la première guerre judéo-romaine (66 – 73 ap. J.-C.) entraîne la destruction du second temple de Jérusalem (ou temple d’Hérode), centre cultuel du judaïsme. Cet événement accélère le phénomène de dispersion des Juifs dans le monde.

Cet exil de la terre d’Israël est depuis un thème récurrent de la littérature rabbinique : on y conçoit une Jérusalem abstraite, vue comme paradisiaque. Le retour sur ce territoire fait alors l’objet d’une attente messianique : un messie apparaîtra et ramènera les Juifs sur la terre promise.

 

2. Les pogroms

Qu’est-ce qui a rendu si urgente la question de constituer un État pour les Juifs ? Les violences à l’encontre des Juifs sont nombreuses au cours de l’histoire européenne. Mais le terme de pogrom, d’origine russe, désigne plus spécifiquement les violences et massacres antisémites commis dans l’Empire russe, où se trouvait la plus grande communauté juive du monde à la fin du XIXe siècle. Les autorités russes ont orchestré ces massacres : les Juifs sont alors désignés comme responsables des tensions sociales qui font suite à l’assassinat du tsar Alexandre II (1855 – 1881). Une formule célèbre ramasse le programme du gouvernement : « Un tiers des Juifs sera converti, un tiers émigrera, un tiers périra. »

Ces pogroms se produisent régulièrement jusque dans les années 1920. Deux pogroms se distinguent par leur violence : ce sont ceux de Chisinau, capitale de l’actuelle Moldavie, en 1903 et 1905. Des assassinats et viols s’ajoutent à des attaques contre les biens.

 

3. Le nationalisme

Le XIXe siècle est enfin un siècle dans lequel s’affirme le mouvement des nationalités : chaque nation constitue son identité et aspire à disposer d’elle-même, c’est-à-dire avoir son propre État. Ce mouvement se traduit par exemple par l’indépendance grecque en 1832, ou les unifications italienne (1861) et allemande (1871). Les Juifs d’Europe centrale et orientale, touchés par des discriminations et violence, ne sont pas épargnés par cette aspiration. 

 

Les prémices du sionisme ?


Il ne faut pas attendre le XIXe siècle pour voir des Juifs européens émigrer vers la Palestine. Au début du XVIIIe siècle, période de renouveau religieux dans le judaïsme, un groupe d’un millier de Juifs européens, menés par Judas HeHassid (1660 – 1700), débarque en Palestine ottomane et s’installe à Jérusalem. D’autres migrants s’installent à Safed ou Tibériade, qui deviennent des centres du hassidisme, un mouvement orthodoxe juif né au XVIIIe siècle.

Cependant, ces opérations se font dans des conditions économiques très précaires, ce qui n’assure pas leur développement. Ainsi, au début du XIXe siècle, on ne compte encore que 5000 Juifs en Palestine. Ce chiffre augmente tout au long du XIXe siècle, sans pour autant mettre en péril la majorité des musulmans sunnites (24 000 Juifs en 1880, pour environ 450 000 habitants).

 

Les premiers penseurs du sionisme


Les précurseurs du sionisme

Judah Alkalay (1798 – 1878), rabbin séfarade originaire de Sarajevo, propose le retour du peuple juif sur la terre d’Israël, mais dans une perspective messianique : les Juifs ne doivent pas rester les bras croisés dans l’attente de leur messie. Avec cet objectif en tête, il crée des sociétés pour le peuplement d’Eretz Israël (la terre d’Israël). Il visite Jérusalem en 1871 et s’y installe en 1874, sans pour autant réussir à créer des institutions pérennes pour soutenir la colonisation.

Zvi Hirsch Kalischer (1795 – 1874), rabbin orthodoxe d’éducation talmudique, établi à Torún (alors Thorn, en Prusse), est un commentateur des textes sacrés et de la philosophie juive et européenne. Il est comme Judah Alkalay un avocat du repeuplement de la terre d’Israël, qui permettrait à de nombreux Juifs d’Europe de l’Est de vivre de l’agriculture. Son magnum opusDerishat Zion (1862) plaide pour le retour des Juifs sur la terre promise par leur propre action, avec le soutien de grands philanthropes juifs d’Europe de l’Ouest comme Isaac Moïse Crémieux, Moses Montefiore ou Edmond James de Rothschild. Il propose de collecter de l’argent pour acheter des terres en Palestine, former les Juifs à l’agriculture et constituer une garde d’autodéfense.

Ces deux penseurs, résolument ancrés dans une tradition religieuse, préparent la réinterprétation du messianisme théologique juif (selon lequel le messie mènera les Juifs vers la terre promise) en un principe d’action séculier et émancipateur : ce sont aux Juifs, qui ne forment pas seulement la communauté des adeptes d’une religion mais un véritable peuple, à agir pour s’émanciper et créer leur propre pays sur la terre d’Israël.

 

Les premiers sionistes

Moses Hess (1812 – 1875), né dans une famille juive de Bonn, reçoit une éducation religieuse mais devient un penseur socialiste ami de Karl Marx. Influencé par les idées de la Révolution française, il fonde, intellectuellement du moins, le courant du sionisme socialiste. En effet, dans son ouvrage le plus célèbre, Rome et Jérusalem, publié en 1862, il propose le retour en Palestine du peuple juif pour y fonder une nation socialiste. Les Juifs vivraient du travail de la terre, vu comme un acte rédempteur.

Peretz Smolenskin (1840 – 1885), écrivain juif russe écrivant en hébreu (une langue alors en pleine renaissance), devient progressivement un avocat de la Haskalah (le mouvement des Lumières juives, cherchant à revivifier le judaïsme pour qu’il s’ouvre aux idées modernes), à travers son journal Ha-Shahar (Le Matin). Effrayé par la perspective d’un anéantissement des Juifs en Europe après les pogroms de 1881, il s’intéresse à la colonisation de la Palestine par les Juifs.

Eliezer Ben-Yehuda (1858 – 1922), né en Lituanie, reçoit une éducation religieuse qu’il complète par des études à la Sorbonne. Lecteur de Ha-Shahar en hébreu, il est sensibilisé à la cause sioniste. Ben-Yehuda est surtout le père de l’hébreu moderne, dont il fait une langue parlée, alors qu’elle était confinée à la littérature. Il en produit le premier dictionnaire moderne. Pour lui, la renaissance de l’hébreu est consubstantielle du projet sioniste. Il s’installe en Palestine en 1881. Son fils, Itamar Ben-Avi (né Ben-Zion Ben-Yehudadevient le premier locuteur natif de l’hébreu.

 

La naissance du sionisme pratique


 

La fondation des « Amants de Sion » : Hibbat Zion

Les pogroms de la fin du XIXe siècle en Russie provoquent une émigration importante des Juifs vers les États-Unis : 2,6 millions d’individus étaient partis pour ce pays jusqu’en 1914 (Greilsammer, Ilan. « Le mouvement Hibbat Zion, « Amour de Sion », Le sionisme. Presses Universitaires de France, 2005, p.26). Surtout, la question de constituer un État pour les Juifs devient une préoccupation qui dépasse le cercle des milieux intellectuels.

Un mouvement naît alors, celui des Hibbat Zion ou Hovevei Zion, soit les « Amants de Sion ». Ces organisations, qui se développent surtout en Russie et en Roumanie, ont pour projet d’acquérir des terres en Palestine pour préparer une colonisation. Le 6 novembre 1884, au congrès de Kattowitz (aujourd’hui Kattowice), organisé à l’initiative de Léon Pinsker (1821 – 1891) et Moshe Leib Lilienbllum (1843 – 1910), 36 délégués venant de Russie, d’Allemagne, de Roumanie, de France et d’Angleterre actent la fondation du mouvement. D’autres congrès, à Duskieniki en 1887 ou à Odessa parviennent à réunir de l’argent pour établir des colonies.

Cette voie vers l’accomplissement du sionisme est appelé « sionisme pratique » parce qu’il ne se soucie pas de constituer juridiquement un État reconnu par ses pairs avant d’entamer un processus de colonisation. 

 

Léon Pinsker (1821 – 1891)

Léon Pinsker, Juif originaire de la Pologne russe, est le fondateur des Amants de Sion. D’abord partisan du combat pour l’égalité des droits pour les Juifs, favorable à l’assimilation dans les cultures locales, il change d’avis après les pogroms de 1881.

En 1882, il publie son célèbre pamphlet Selbstemanzipation (Autoémancipation) dans lequel il plaide pour la constitution d’un État juif autonome face au problème insoluble de l’antisémitisme. Il n’emploie d’ailleurs pas ce dernier terme, mais lui préfère celui de « judéophobie », renvoyant au caractère médical, c’est-à-dire pathologique, de la phobie des Juifs, provoquée par le fait qu’ils n’ont pas d’État.

 

La première aliya

Plusieurs vagues de pionniers s’installent alors en Palestine pour former la première aliya, c’est-à-dire la première immigration. Plusieurs villes sont fondées : Rishon Letsion le 31 juillet 1882 ; Rosh Pina, en Galilée, par des familles émigrées de Roumanie, la même année ; Zikhron Ya’akov ; Petah Tikva ; etc. L’expulsion des Juifs de Moscou en 1891 provoque une nouvelle vague d’immigration.

Cette première vague d’immigration est appuyée par le banquier et philanthrope français Edmond James de Rothschild (1845 – 1934) qui envoie en contrepartie d’une aide financière des « fonctionnaires » français pour surveiller des colonies en grande difficulté économique.

Cette première immigration, qui a lieu entre 1882 et 1903, représente environ 25 000 personnes, qui arrivent en Palestine dans des conditions économiques difficiles et qui font face aux réticences du pouvoir ottoman.

 

Le sionisme spirituel d’Ahad Ha’am


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Asher Zvi Hirsch Ginsberg, alias Ahad Ha’am (1856 – 1927, son pseudonyme est tiré de la Genèse et signifie : « un homme du peuple »), est le fondateur du sionisme spirituel.

Opposé au sionisme pratique et au sionisme politique fondé par Théodor Herzl (c’est-à-dire le sionisme qui cherche avant tout à constituer juridiquement un État reconnu par les grandes puissances), il veut d’abord travailler à un renouveau culturel juif et développer la conscience nationale du peuple juif, mise à mal par le phénomène de diaspora, avant de vouloir constituer un État. 

Selon Ahad Ha’am, Eretz Israel doit être un centre spirituel pour les Juifs du monde entier plutôt qu’un foyer devant tous les accueillir. Il revient très critique de la situation de l’implantation juive après ses voyages de 1891 et 1893 en Palestine. Il dénonce la pauvreté spirituelle des colons et les tracasseries des fonctionnaires d’Edmond de Rothschild. En outre, il met en garde ses contemporains sur le fait qu’une population vit déjà sur cette terre : les Arabes palestiniens.

Il fonde en 1896 le mensuel de langue hébraïque Ha-Shiloah.

 

Le sionisme politique de Theodor Herzl


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Theodor Herzl (1860 – 1904), né à Budapest dans une famille juive de culture allemande, débute une carrière de journaliste après des études de droit. Il s’installe en 1891 à Paris comme correspondant du quotidien libéral viennois Neue Freie Presse. Séduit au départ par le modèle de la IIIe République, il change ensuite d’avis pour rejeter l’assimilationnisme. En effet, à Paris, il est aux premières loges pour assister aux déchaînements de l’Affaire Dreyfus. Surtout, il voit la montée de l’antisémitisme dans les pays de langue allemande, comme en témoigne l’élection du candidat antisémite Karl Lueger à la mairie de Vienne en 1897.

 

Der Judenstaat

L’Adresse aux Rothschild qu’il écrit à destination de cette famille en 1895 est reprise pour devenir Der Judenstaat, publié en 1896. Ce livre est un grand succès, traduit en 18 langues. Herzl y avance que l’assimilation des Juifs est impossible et qu’ils seraient toujours rejetés. Il faut donc constituer, avec le soutien des grandes puissances, un État moderne, occidental et à dimension sociale pour les Juifs. Cet objectif devrait être prioritaire par rapport à tout projet de colonisation ou à tout projet spiritualiste comme celui d’Ahad Ha’am. Une société des Juifs devrait contrôler le processus d’installation de l’État.

 

Le congrès de Bâle

Malgré plusieurs échecs, auprès de l’empire Ottoman notamment pour obtenir une concession de la Palestine aux Juifs ou auprès d’Edmond de Rothschild dont il n’obtient pas le soutien, Herzl réussit à organiser le 1er Congrès sioniste à Bâle en 1897. Un programme sioniste est adopté, rédigé par le penseur du sionisme Max Nordau (1849 – 1923), une organisation sioniste mondiale est créée, ainsi qu’une banque et une presse officielle.

 

Le projet Ouganda

Conformément à sa stratégie de recherche du soutien des grandes puissances, Herzl organise le 4ème congrès sioniste à Londres du 13 au 16 août 1900. Au 6ème congrès, du 23 au 28 août à Bâle, Herzl provoque un scandale en proposant le projet Ouganda, venant des Britanniques : Joseph Chamberlain offre en effet aux Sionistes des terres à coloniser dans le Kenya actuel. Si le lieu peut paraître étonnant, le pogrom de Chisinau qui eut lieu en avril de la même année pousse à réfléchir sérieusement à cette éventualité, comme solution provisoire avant de s’installer en Palestine. Cette proposition provoque de violents débats et une scission au sein du mouvement. Ce projet est finalement rejeté au 7ème congrès, en 1905.

 

Le sionisme synthétique


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Chaim Weizmann

Le sionisme synthétique cherche à concilier les projets du sionisme pratique qui prône la colonisation de la Palestine, et les ambitions du sionisme politique de Herzl. Chaim Weizmann (1874 – 1952), élu en 1920 à la tête de l’organisation sioniste mondiale, en est le grand représentant. Ce chimiste originaire de l’Empire russe, qui n’a jamais arrêté sa carrière universitaire, est l’avocat d’un judaïsme moderne et laïc. En 1901, avec Léo Motzkin (1867 – 1933), il crée la Fraction démocratique pour encourager la formation d’institutions sociales, culturelles et économiques en Palestine.

Installé à Manchester à partir de 1904, sujet britannique à partir de 1910, Weizmann noue d’étroites relations avec l’élite britannique, notamment Arthur James Balfour (1848 – 1930), grand dirigeant du parti conservateur, dont il obtient le soutien.

Il combat sa vie durant la conception militariste et nationaliste du sionisme et cherche à protéger les droits des Arabes. Mais, accusé de lenteur et d’inefficacité, son autorité décline progressivement à partir de la moitié des années 1920, même s’il devient le premier président de l’État d’Israël en février 1949.

 

La déclaration Balfour

Le lobbying de Weizmann porte ses fruits lorsque le 2 novembre 1917 est publiée la déclaration Balfour sur la constitution d’un foyer national pour le peuple juif. Arthur James Balfour, alors ministre des Affaires étrangères britannique, promet au peuple juif la constitution d’un État en Palestine, que son pays contrôlera à partir de septembre 1923 dans le cadre d’un mandat de la Société des Nations. Chaïm Weizmann plaide en outre pour le sionisme auprès de l’émir Faycal, alors porteur de l’aspiration à un État arabe uni.

 

L’antisionisme juif


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Des membres de Neturei Karta, groupe religieux antisioniste

L’antisionisme religieux

L’antisionisme religieux se trouve chez certains courants ultra-orthodoxes, hassidiques ou talmudistes, au sein desquels on considère que l’éloignement des Juifs de la « Terre promise » est un châtiment divin. Le projet sioniste contrevient en ce sens à la volonté de Dieu.

En outre, le laïcisme et le modernisme de nombreux leaders sionistes, ainsi que la répulsion de certains sionistes pour l’image du Juif dont la vie est centrée sur l’étude du livre, ne peut que répugner à certains religieux.

L’Agoudat Isräel est créée en 1912 à Kattowice avec pour objectif de combattre la modernité dans le judaïsme, dont le mouvement sioniste est un surgeon. Toutefois, leur opposition aux sionistes se modère dans les années 1930 devant la nouvelle montée de l’antisémitisme.

En 1938, un groupe fait scission de l’Agoudat Israël, les Neturei Karta, composé d’ultra-orthodoxes qui considèrent leur parti comme trop conciliant avec le sionisme. Ils militent aujourd’hui pour le démantèlement de l’État d’Israël.

 

L’antisionisme socialiste

L’antisionisme socialiste est représenté par le Bund, c’est-à-dire l’Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie, fondé à Vilnius en 1897. Influencé par le marxisme, les membres du Bund considèrent le sionisme comme un mouvement nationaliste et bourgeois qui détourne les prolétaires juifs du combat de classe.

 

En Europe de l’Ouest et aux États-Unis

Il faut noter en outre que, jusqu’à la fin de Deuxième Guerre mondiale, le judaïsme réformé d’Europe de l’Ouest et des États-Unis, sans être antisioniste, était plus sensible à l’idéal universaliste qu’au projet national du sionisme. En France, les Israélites, assimilés, ont pu percevoir le sionisme comme un danger pour leur intégration. 

 

L’autogouvernement juif

Une figure originale est celle de Simon Dubnow (1860 – 1941), promoteur de l’autogouvernement juif dans les pays où ils se trouvent. Mais cette perspective meurt avec les cadres dans lesquels elle aurait pu s’appliquer, c’est-à-dire les grands empires multinationaux.

 

Le sionisme socialiste


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David Ben Gourion

L’entre-deux-guerres voit une croissance importante du nombre de Juifs installés en Palestine mandataire (ou Yichouv). Ils sont environ 600 000 en 1940.

Malgré la présence d’institutions qui émanent du sionisme, comme la Asefat ha-nivharim (l’assemblée représentant les Juifs de la Palestine mandataire) depuis 1920 et l’Agence juive depuis 1929, ce sont les partis politiques qui dominent la vie sociale des Juifs de Palestine.

Parmi eux, le sionisme socialiste domine largement. Les colons des deuxième (1904 – 1914) et troisième aliya (après 1918) en gonflent les rangs. Si Moses Hess est le premier grand penseur du sionisme socialiste, la création des partis Poale Zion (Travailleurs de Sion), à la suite du refus du sionisme par le Bund, donne une impulsion définitive à ce mouvement. Les partis Poale Zion, qui se développent dans toutes les régions où la diaspora est présente (de New York à la Russie) font la synthèse du marxisme et du sionisme

 

Les penseurs du sionisme socialiste

Nahman Sirkin (1868 – 1924), dans La Questions juive et l’État des Juifs socialistes, publié en 1898, expliquait l’antisémitisme par le fait que les Juifs étaient coupés des activités productives.

L’oeuvre de Aharon David Gordon (1856 – 1922) développe l’idée d’une rédemption de l’être humain par le travail. Disciple de Tolstoï, il est à l’origine de la conception du nouvel hébreu, enraciné, rendu digne par le travail physique de la terre, qui s’oppose à l’image du Juif exilé, faible et misérable. Il influence la création des kibboutz, colonies agricoles et collectivistes qui se développent en Palestine. La première ferme collective (Kvoutza) est fondée en 1910 à Degania, dans la vallée du Jourdain.

Berl Katznelson (1887 – 1944) est un des militants les plus influents du sionisme socialiste. Parti pour la Palestine en 1908, il travaille alors dans les fermes collectives. Il fonde ensuite une coopération pour fournir des ingrédients à bas prix aux Juifs de Palestine, mais aussi des institutions culturelles, une assurance maladie, etc. En 1920, il est l’un des fondateurs de Histadrouth, le principal syndicat de travailleurs israéliens. Directeur de Davar, journal du syndicat, l’oeuvre de sa vie aura été d’essayer d’adapter le socialisme à un pays sans industrie ni prolétariat.

 

David Ben Gourion

David Ben Gourion (1886 – 1973) mène le sionisme à son but final, la création de l’État des Juifs. Avec lui, le caractère socialiste du sionisme socialiste passe au second plan devant l’impératif sioniste.  

Né David Grün en Pologne russe, il débarque en Palestine dès 1906 au cours la seconde aliya et devient un ouvrier agricole membre de Poalei Zion. Après la Première Guerre mondiale, il devient le premier secrétaire général de Histadrouth, et ce jusqu’en 1929. Il cherche alors à conquérir le pouvoir en unifiant le mouvement ouvrier. En 1930, il crée le parti Mapai (parti des ouvriers d’Eretz Israël) qui domine la vie politique israélienne jusqu’à la fin des années 1960 (quand il se fond dans le parti travailliste israélien actuel).

Pragmatique, il accepte le plan de partage de la Commission Peel de 1937, qui ne donnera pas de suite.

 

Conférence de Biltmore et indépendance d’Israël

En 1942, à la conférence de Biltmore en 1942 , Ben Gourion annonce clairement que le but du mouvement sioniste est la création d’un Commonwealth juif et démocratique en Palestine. Il pousse alors, après la Seconde Guerre mondiale, à l’immigration illégale en Palestine et incite à la lutte contre les Britanniques.

En 1947, il accepte le plan de partage de la Palestine et proclame la naissance de l’État d’Israël le 14 mai 1948.

 

Le sionisme religieux


Le premier grand religieux engagé dans le sionisme est Isaac Jacob Reines (1839 – 1915), rabbin orthodoxe lituanien, qui soutient l’action de Théodore Herzl. Il s’oppose en revanche au sionisme spirituel, considéré comme laïc. Contrairement aux Juifs médiévaux, il développe une théologie selon laquelle la main de Dieu se manifeste dans l’histoire.

Il fonde en 1902 à Vilnius le mouvement Mizrachi, une organisation sioniste religieuse avec l’idée que la Torah doit être au centre du sionisme. Un syndicat naît de ce mouvement en 1921, Hapoel Hamizrachi.

Après la Première Guerre mondiale, Abraham Itshak Kook (1865 – 1935) devient le leader du sionisme religieux. Émigré en Palestine en 1904, il développe une théologie selon laquelle le retour des Juifs en terre d’Israël prépare la venue des temps messianiques, en travailler la terre prépare la venue du messie. Conséquence logique, l’État d’Israël doit s’étendre sur toute la terre biblique.

 

Le sionisme nationaliste (ou révisionniste)


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Vladimir Zeev Jabotinsky

Le sionisme nationaliste est le fruit du changement de physionomie de la société des Juifs de Palestine mandataire.

En effet, les migrants de la quatrième (1924 – 1929, environ 67 000 personnes) et de la cinquième aliya (1929 – 1939, environ 250 000 personnes), et les Juifs fuyant la Deuxième Guerre mondiale (100 000 personnes), sont issus des classes moyennes urbaines. Ils apportent avec eux des capitaux qui permettent de développer la petite industrie.

Deux partis correspondant aux opinions politiques de ces nouveaux migrants apparaissent alors sur la scène politique de l’implantation juive : le parti des sionistes généraux, de tendance libérale, et le parti révisionniste (Hatzohar), en 1925, nationaliste et anti-communiste.

 

Le parti révisionniste et Jabotinsky 

La figure de proue du parti révisionniste est Vladimir Zeev Jabotinsky (1880 – 1940), juif originaire d’Ukraine et admirateur de l’Italie du Risorgimento. Son idée est d’ancrer le sionisme dans la culture occidentale et de créer un État juif « sur les deux rives du Jourdain », c’est-à-dire incluant la Jordanie actuelle. Le mouvement de jeunesse du révisionnisme est le Bétar, que Jabontinsky a fondé à Riga en 1923.

Le révisionnisme de Jabotinsky inspire la création de l’Irgoun Zvaï Leoumi (l’organisation militaire nationale) une organisation armée qui lance une politique d’actes terroristes, dont le célèbre attentat de l’hôtel King David à Jérusalem en 1946. Menahem Begin, premier ministre d’Israël de 1977 à 1983, en est le leader à partir de 1943. Ses anciens membres créeront en 1948 le parti Hérout (liberté) qui donnera ensuite naissance au Likoud en 1973, parti de la droite conservatrice et nationaliste.

 

Le sionisme et les Arabes palestiniens


Sionisme question arabe
Une réunion de protestataires arabes. Au premier plan, Amin al-Husayni, Musa al-Husayni et Raghib al-Nashashibi | Wikimedia Commons | Le sionisme

Le problème arabe est déjà perçu très tôt par Ahad Ha’am :

Nous avons l’habitude de croire, à l’étranger, que la Palestine est une terre presque entièrement désolée, un désert non cultivé, un champ en friche où quiconque désireux d’y acheter des terrains pourrait se rendre et en acquérir à sa guise. En réalité, elle ne l’est pas : sur cette terre, il est difficile de trouver un champ de terre arable non semée, il n’y a plus que des champs de sable et des collines pierreuses tout juste bons à des plantations, et encore après un long travail et de grands efforts pour les nettoyer et les remettre en état, inexploités pour le moment car les Arabes n’aiment pas trop investir dans le présent pour un avenir lointain. C’est pourquoi on ne trouve pas facilement de bonnes terres à acquérir. Ni les paysans ni même les propriétaires ne sont prêts à vendre de bon cœur une parcelle sans défauts. Nous avons l’habitude de croire à l’étranger que les Arabes sont tous des sauvages du désert, un peuple pareil à l’âne, incapables de voir et de comprendre ce qui se passe autour d’eux. C’est là une grande erreur. L’Arabe, comme tous les fils de Sem, a une intelligence aiguë et rusée […]. Les Arabes, notamment ceux des villes, voient et comprennent le sens de nos actions et de nos aspirations en Palestine, mais ils se taisent. Ils affectent de ne rien savoir car, pour le moment, ils ne voient dans notre action aucun danger pour leur avenir. Ils s’efforcent de nous exploiter au mieux, de tirer parti de ces nouveaux hôtes ; mais en secret ils se moquent de nous et rient sous cape. Les paysans sont bien contents de voir naître une colonie hébraïque car ils en retirent un meilleur salaire pour leur travail. Comme l’expérience le prouve, ils s’enrichissent d’année en année. Les grands propriétaires également nous accueillent à bras ouverts, car nous leur achetons un lopin de sable et de pierre à un prix qu’ils n’auraient jamais imaginé même en rêve. Mais le jour où la présence de notre peuple prendra une dimension telle qu’elle empiète, de peu ou de beaucoup, sur les positions des autochtones, ce n’est pas de bon gré qu’ils nous céderont leur place.

Dans Ahad Haam, Notes du premier voyage en Eretz Israël en 1891, traduit dans Denis Charbit, Sionismes, p. 394-395. cité par  Greilsammer, Ilan. « Le sionisme et la question arabe », Le sionisme. Presses Universitaires de France, 2005, pp. 93-101.

Ahad Ha’am n’est pas le seul à percevoir ce problème. Ainsi, au moment du débat sur le projet Ouganda, Israël Zangwill (1864 – 1926), sioniste anglais, défend la création d’un État juif en dehors de la Palestine avec l’organisation juive territorialiste, qu’il crée en 1905.

 

Les révoltes arabes

La déclaration Balfour du 2 novembre 1917 rend envisageable la création d’un État juif en Palestine, ce qui accroît la crainte des Arabes palestiniens. Ainsi, de grandes révoltes se produisent dès 1920. En août 1929, une grande révolte frappe les quartiers juifs de Jérusalem et de Hébron au cours de laquelle des Juifs sont massacrés et dans laquelle le grand mufti de Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini, joue un rôle important. Une grande révolte arabe se produit entre 1936 et 1939. Les Arabes palestiniens ont alors pour objectif de constituer un État arabe en Palestine et d’arrêter l’immigration juive.

Les révoltés arabes s’opposent aux forces d’autodéfense juive. Depuis 1909, une armée de défense juive existe en Palestine, nommée d’abord l’Hashomer, puis la Haganah à partir de 1921, dont le Palmach, corps d’élite, formera les futurs cadres de de l’État et l’armée israélienne (Tsahal) comme Moshe Dayan, Yitzhak Rabin ou Yigal Allon.

 

Brith Shalom

Face à cette opposition grandissante des Arabes, Brit Shalom est créée en 1925 par des Juifs de Jérusalem. Cette association, fondée par Judah Leon Magnes (1877 – 1948), recteur de l’université de hébraïque de Jérusalem, est soutenue par intellectuels comme Arthur Ruppin, Martin Buber ou Gershom Scholem, et propose la création d’un État bi-national sur la base d’une égalité entre Juifs et Arabes. Mais cette proposition rencontre l’hostilité des Juifs de Palestine.

 

Raidissement révisionniste et hésitations socialistes

Le sionisme révisionniste de Jabotinsky croit tout accord impossible et entreprend de développer la force armée des Juifs pour tenir en honneur les Arabes. Puisque les Arabes sont opposés à toute création d’un État Juif, il demande en outre la totalité de la terre biblique d’Israël, Jordanie actuelle incluse. 

Le sionisme socialiste est encore divisé sur la question : Ben Gourion est un temps partisan d’un État bi-national, jusqu’à la révolte arabe de 1936.

 

Le sionisme aujourd’hui


Le 29 novembre 1947, le plan de partage de la Palestine est approuvé par l’Assemblée générale de l’ONU. Il donne à la création de l’État d’Israël une légitimité internationale. La naissance de l’État d’Israël est proclamée le 14 mai 1948 par Ben Gourion. Cette déclaration d’indépendance affirme le caractère juif et démocratique de l’État d’Israël.

Une guerre civile éclate dès le lendemain de l’approbation du plan de partage, le 30 novembre 1947, jusqu’à la proclamation de l’État d’Israël. La fin du mandat britannique en Palestine donne naissance à la première guerre israélo arabe, jusqu’au 10 mars 1949. La victoire israélienne entraîne un immense exode des Arabes palestiniens (parfois nommé la Nakba, c’est-à-dire la catastrophe).  

 

La loi du retour

Le sionisme ayant atteint son but, la création d’un État juif en terre d’Israël, il doit alors se trouver d’autres objectifs.

L’objectif subsidiaire logique est l’immigration de toute la diaspora juive dans l’État d’Israël, c’est-à-dire favoriser l’aliya. Le 5 juillet 1950 est votée la loi du retour, extrêmement favorable aux immigrants juifs : la nationalité leur est à accordée automatiquement, sauf à certains criminels.

 

La poursuite de l’aliya

Dès la naissance d’Israël, dans les années 1948-1949, plus de 200 000 immigrants débarquent, surtout des rescapés de la Shoah en Europe. Dans les années 1950, les immigrants, environ 250 000, viennent surtout des pays arabes, notamment du Yémen (opération « Tapis volant »), d’Irak (opération Ezra et Néhémie) et du Maghreb après les indépendances, à l’exception de l’Algérie.

En 1975, les Juifs éthiopiens, appelés les Falashas, sont reconnus comme Juifs par les autorités religieuses israéliennes. En 1984 et 1991, deux ponts aériens font migrer une partie d’entre eux en Israël. Ils sont aujourd’hui près de 135 000.

Dans les années 1990, avec les chute de l’URSS, de nombreux Juifs soviétiques émigrent vers Israël, et représentent aujourd’hui la principale communauté du pays.

 

Problématiques actuelles du sionisme

Aujourd’hui, le réservoir semble s’être tari : il n’y a plus guère d’espoir de faire immigrer en masse les Juifs américains ou d’Europe de l’Ouest (Royaume-Uni et France) vers Israël. 

Le débat porte plutôt sur les territoires conquis à la suite de la guerre des Six Jours (1967), la Cisjordanie en particulier, territoire sur lequel devrait se fonder un État palestinien. En effet, au mépris du droit international, Israël permet depuis la guerre l’implantation de colonies israéliennes sur ce territoire. 

Des sionistes religieux ou nationalistes souhaitent conserver ce territoire. Un nouvel élan religieux pousse des colons à s’y installer. Ils y voient la reproduction de la geste des premiers pionniers juifs en Palestine. Le néo-sionisme, représenté un temps par Gush Emunim, fondé par des adeptes du rabbin Zvi Yehouda Kook (1891 – 1982), voit dans la colonisation et la culture de la terre de Cisjordanie une nouvelle façon de travailler à la venue du messie. Mais l’implantation juive en Cisjordanie ne se réduit pas à une colonisation religieuse : elle est aussi composée d’idéalistes, ou d’Israéliens fuyant la cherté des prix de l’immobilier et qui trouvent dans les colonies des maisons à prix réduits. 

Le caractère juif de l’État d’Israël peut aussi poser question au regard de la très importante minorité arabe israélienne vivant dans le pays.

 


Cet article est avant tout inspiré par le Que sais-je ? de Ilan Greilsammer sur le sionisme dont la lecture est recommandée.