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« Je pense, donc je suis » – Cogito ergo sum (Descartes)

Publié le 01/02/2018 (m.à.j* le 03/03/2024)
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« Je pense, donc je suis » (cogito ergo sum) est une citation extraite du Discours de la Méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences de René Descartes (1596 – 1650) paru à La Haye (Provinces-Unies, actuels Pays-Bas) le 8 juin 1637. Fait exceptionnel pour l’époque, l’ouvrage est écrit en français, à l’image des Essais de Montaigne (1533 – 1592). Le Discours de la Méthode est en effet un discours, c’est-à-dire une forme de récit reproduisant une conversation entre esprits éclairés plutôt qu’un long manuel difficile à absorber Descartes y fait le récit d’une longue méditation, c’est-à-dire un exercice solitaire d’introspection, dans laquelle il explique comment il a mené sa raison.

« Je pense donc je suis » en latin

Cogito ergo sum

On emploie souvent le substantif « cogito » pour parler de l’énoncé « je pense, donc je suis ». « Cogito » est un verbe conjugué en latin qui signifie « je pense ».

 

« Je pense, donc je suis » : extrait du texte du Discours de la méthode

« Je ne sais si je dois vous entretenir des premières méditations que j’y ai faites ; car elles sont si métaphysiques et si peu communes, qu’elles ne seront peut-être pas au goût de tout le monde. Et toutefois, afin qu’on puisse juger si les fondements que j’ai pris sont assez fermes, je me trouve en quelque façon contraint d’en parler.

J’avais dès longtemps remarqué que, pour les mœurs, il est besoin quelquefois de suivre des opinions qu’on sait fort incertaines, tout de même que si elles étaient indubitables, ainsi qu’il a été dit ci-dessus ; mais, parce qu’alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensai qu’il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse, comme absolument faux, tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute afin de voir s’il ne resterait point, après cela, quelque chose en ma créance, qui fût entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu’il n’y avait aucune chose qui fût telle qu’ils nous la font imaginer.

Et parce qu’il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes, jugeant que j’étais sujet à faillir, autant qu’aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j’avais prises auparavant pour démonstrations.

Et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées, que nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi venir, quand nous dormons, sans qu’il y en ait aucune, pour lors, qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m’étaient jamais entrées en l’esprit n’étaient non plus vraies que les illusions de mes songes. Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité : je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais.

Puis, examinant avec attention ce que j’étais, et voyant que je pouvais feindre que je n’avais aucun corps, et qu’il n’y avait aucun monde, ni aucun lieu où je fusse; mais que je ne pouvais pas feindre, pour cela, que je n’étais point ; et qu’au contraire, de cela même que je pensais à douter de la vérité des autres choses, il suivait très évidemment et très certainement que j’étais ; au lieu que, si j’eusse seulement cessé de penser, encore que tout le reste de ce que j’avais jamais imaginé eût été vrai, je n’avais aucune raison de croire que j’eusse été : je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lieu, ni ne dépend d’aucune chose matérielle. En sorte que ce moi, c’est-à-dire l’âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu’elle est plus aisée à connaître que lui, et qu’encore qu’il ne fût point, elle ne laisserait pas d’être tout ce qu’elle est.

Après cela, je considérai en général ce qui est requis à une proposition pour être vraie et certaine; car, puisque je venais d’en trouver une que je savais être telle, je pensai que je devais aussi savoir en quoi consiste cette certitude. Et ayant remarqué qu’il n’y a rien du tout en ceci : je pense, donc je suis, qui m’assure que je dis la vérité, sinon que je vois très clairement que, pour penser, il faut être : je jugeai que je pouvais prendre pour règle générale, que les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies ; mais qu’il y a seulement quelque difficulté à bien remarquer quelles sont celles que nous concevons distinctement. »

René Descartes, Discours de la méthode, 1637, IVe partie

 

« Je pense donc, je suis » : signification & analyse

L’objectif épistémologique de Descartesle philosophe reconnaît l’importance de disposer d’une méthode pour accroître le savoir. Il cherche la vérité dans les sciences, et voulait être sûr de quand il l’avait trouvée et quand il ne l’avait pas trouvée. Le titre complet du Discours de la méthode dit d’ailleurs bien cet objectif :

Discours de la Méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences

Il faut donc mener une réflexion philosophique pour asseoir cette nouvelle science sur un savoir véritable, une science certaine. En effet, la science est-elle bien fondée ? Et si la façon dont nous faisions des sciences était corrompue, viciée de l’intérieur ? Et si la façon dont nous faisions des mathématiques, qui produisent un savoir que Descartes prend pour modèle, ne nous donnait que des vérités illusoires ?  La philosophie doit servir à fonder le savoir. En cela, l’objectif de Descartes est épistémologique, c’est-à-dire justifier et légitimer notre connaissance du monde.

Cette problématique apparaît dans le discours de la méthode, mais aussi dans les Méditations métaphysiques (1641) et les Principes de la philosophie (1644). Dans ces textes, Descartes se montre en train de suivre une méthode fondamentale pour s’élever depuis l’expérience du quotidien à des idées véritablement philosophiques. Il produit des guides que chacun peut suivre.

 

Le doute, chemin vers « je pense, je suis » 

Descartes conduit dans le Discours de la méthode une expérience de doute généralisé qu’il présente en ces termes :

[…] parce qu’alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensai qu’il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse, comme absolument faux, tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute afin de voir s’il ne resterait point, après cela, quelque chose en ma créance, qui fût entièrement indubitable

Discours de la méthode, IV

Ce doute demande donc un effort volontaire de la part de celui qui médite. Il n’est pas passif. Pour cette raison, on parle parfois de doute méthodique ou de doute hyperbolique (c’est-à-dire, exagéré, voir ici la définition d’hyperbole). C’est un instrument qui permet d’écarter tout ce qui n’est pas indubitable, tout ce qui peut donner prise au doute, pour parvenir à la vérité. La vérité est ce qui résiste au doute. Ce doute attaque même la vérité des mathématiques : en effet, qu’est-ce qui nous assure qu’un « malin génie », c’est-à-dire un dieu trompeur, ne fausse pas nos raisonnements ?

La méditation première des Méditations métaphysiques est une application de ce doute méthodique par lequel Descartes ruine deux fondements : la perception (ou « les sens ») et les vérités mathématiques (cliquez ici pour lire un article complet sur le sujet).

 

Je pense, donc je suis : le cogito

Au début de la IVe partie du discours, Descartes rencontre un premier principe de vérité : le fait que le sujet (c’est-à-dire la conscience humaine) applique l’instrument du doute, le doute méthodique, à sa propre existence, prouve paradoxalement son existence. Si « je » doute, il faut bien que je pense. Il arrive alors à cette conclusion :

Je pense, donc je suis 

Comment serait-il possible de douter s’il n’y avait pas de moi ? Le doute est le traître de la pensée : il la révèle. Pour reprendre les mots de Descartes : « pour penser, il faut être ». Si un malin génie me trompe, il faut qu’il trompe quelqu’un, et ce quelqu’un doit exister pour être trompé.

Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe; et qu’il me trompe tant qu’il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose.

Méditation seconde

Je peux douter de l’existence de mon corps, mais je ne peux pas douter de l’existence de ma pensée. Je ne suis ni illusion, ni chimère. Je ne peux jamais être en tort lorsque je pense que « je pense ». La pensée rend mon existence indubitableEn d’autres termes : tout ce qui pense existe. Si je ne pense plus, je cesse d’être. Par le fait même que je pense, je suis certain d’exister.

Je suis, j’existe : cela est certain ; mais combien de temps ? À savoir, autant de temps que je pense ; car peut-être se pourrait-il faire, si je cessais de penser, que le cesserais en même temps d’être ou d’exister.

Ibid

La pensée est un attribut du sujet (comme un adjectif pour un nom), c’est-à-dire ce qu’il lui appartient en propre :

et je trouve ici que la pensée est un attribut qui m’appartient : elle seule ne peut être détachée de moi.

Ibid

 

Les caractéristiques du cogito (« je pense, donc je suis »)

L’énonciation du cogito (« je pense, donc je suis ») implique plusieurs conséquences logiques :

  • 1. Le cogito doit être énoncé à la première personne, par le « je ». L’expérience de la pensée se fait uniquement à la première personne. En effet, on ne peut être sûr d’une proposition comme « Michel pense, donc il existe », ou « Hélène pense, donc elle existe ». Cette idée ne résiste pas au doute méthodique.
  • 2. Le cogito doit être énoncé au présent. On ne peut pas dire « j’ai pensé jeudi dernier, donc j’existe ». En effet, cette idée peut être le fruit de notre imagination insérée par un dieu trompeur. Dès que je cesse de penser, je cesse d’exister.
  • 3. Le cogito peut être atteint par n’importe quel mode de pensée : le doute, l’affirmation, le déni, l’imagination, etc.

 

Le cogito implique-t-il un dualisme ?  

Le (« je pense, donc je suis ») institue une différence épistémologique entre la pensée et le corps. En d’autres termes, la façon selon laquelle notre connaissance s’organise distingue ce qui est de l’ordre de la pensée, et ce qui est de l’ordre du corps. Le doute vient des sens, de ce qui nous vient du corps, la pensée en est le remède. Le sujet est avant tout un sujet immatériel :

Je n’admets maintenant rien qui ne soit nécessairement vrai : je ne suis donc, précisément parlant, qu’une chose qui pense, c’est-à-dire un esprit, un entendement ou une raison, qui sont des termes dont la signification m’était auparavant inconnue.

Mais institue-t-il une différence ontologique entre le corps et l’esprit ?  En d’autres mots, « je pense, donc je suis »permet-il de dire que le corps et l’esprit sont des éléments différents l’un de l’autre dans leur être même, dans leur essence, dans ce qu’ils sont vraiment ? Y a-t-il un dualisme du corps et de l’esprit (on dit plus souvent de l’âme), qui seraient deux réalités distinctes ? Les conséquences du cogito, en réalité, ne vont pas jusque là. « Je pense, donc je suis » ne permet d’affirmer qu’une différence dans l’ordre de la connaissance : je sais que le fait que je pense est indubitable. Comme le dit Descartes au moment de sa méditation seconde, le reste ne lui est pas connu :

Mais aussi peut-il arriver que ces mêmes choses, que je suppose n’être point, parce qu’elles me sont inconnues, ne sont point en effet différentes de moi, que je connais ? Je n’en sais rien ; je ne dispute pas maintenant de cela, je ne puis donner mon jugement que des choses qui me sont connues : j’ai reconnu que j’étais, et je cherche quel je suis, moi que j’ai reconnu être.

Plus loin dans ses méditations, Descartes en dit plus sur sa conception de la relation entre l’âme et le corps. L’être humain est selon lui l’union d’une âme et d’un corps, les deux réalités ne sont pas séparées l’une de l’autre. L’ « homme véritable » est en réalité un mélange du corps et de l’esprit :

La nature m’enseigne aussi par ces sentiments de douleur, de faim, de soif, etc., que je ne suis pas seulement logé dans mon corps, ainsi qu’un pilote en son navire, mais, outre cela, que je lui suis conjoint très étroitement et tellement confondu et mêlé, que je compose comme un seul tout avec lui. Car, si cela n’était lorsque mon corps est blessé, je ne sentirais pas pour cela de la douleur, moi qui ne suis qu’une chose qui pense, mais j’apercevrais cette blessure par le seul entendement, comme un pilote aperçoit par la vue si quelque chose se rompt dans son vaisseau ; et lorsque mon corps a besoin de boire ou de manger, je connaîtrais simplement cela même, sans en être averti par des sentiments confus de faim et de soif. Car en effet tous ces sentiments de faim, de soif, de douleur, etc., ne sont autre chose que de certaines façons confuses de penser, qui proviennent et dépendent de l’union et comme du mélange de l’esprit avec le corps. Outre cela, la nature m’enseigne.

Méditation sixième

 

Le « je » du Cogito : une substance ?

Avec le Cogito, rien n’est dit de ce qu’est le sujet, le « je » du « je pense ». Rien n’est dit de cette substancec’est-à-dire de l’élément qui contient ce « je pense ». Au contraire, ce qu’est le « je » est inconnu. Descartes le dit lui-même dans sa méditation seconde :

Mais je ne connais pas encore assez clairement ce que je suis, moi qui suis certain que je suis ; de sorte que désormais il faut que je prenne soigneusement garde de ne prendre pas imprudemment quelque autre chose pour moi, et ainsi de ne me point méprendre dans cette connaissance, que je soutiens être plus certaine et plus évidente que toutes celles que j’ai eues auparavant.

« Je suis, j’existe », ou « je pense, donc je suis », quoi que soit la substance qui existe.

Le philosophe anglais Bertrand Russell (1872 – 1970), dans son Histoire de la philosophie occidentale, a critiqué l’ajout d’un « je » du fait qu’on ne sait pas ce qu’est le « je ». Cette utilisation du « je » est selon lui est illégitime, Descartes aurait dû dire : « il y a des pensées ». On devrait dire « il y a de la faim » et pas « j’ai faim ». En effet, il ne donnerait aucune preuve que les pensées ont besoin d’un penseur.

Cependant, ce point de vue nie le fait que cette connaissance de l’existence est obtenue du point de vue du « je » L’énoncé « il y a de la faim », par exemple, ne signifie pas grand chose si on le détache de l’expérience de la conscience individuelle : on ne sait pas ce qu’est de la faim s’il n’y a pas un « je » qui a faim. Le « je » dans la conscience est la donnée première de l’expérience.

 

« Je pense, donc je suis » vers « je suis, j’existe » : inférence ou intuition ?

« Je pense, donc je suis » peut se présenter comme une inférence, c’est-à-dire un mouvement de la pensée qui part d’une assertion vraie (« je pense ») vers une conclusion également vraie (« donc, je suis »). Cependant, dans les Méditations métaphysiques, écrites en latin, Descartes change son énoncé et dit plutôt : Ego sum, ego existo, « je suis, j’existe » :

Mais je me suis persuadé qu’il n’y avait rien du tout dans le monde, qu’il n’y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprits, ni aucuns corps; ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n’étais point ? Non certes, j’étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j’ai pensé quelque chose. Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe; et qu’il me trompe tant qu’il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit.

Dans cette formule latine, ego sum, ego existo (« je suis, j’existe »), le « donc » de « je pense, donc je suis » a disparu. Il n’y qu’une apposition des deux énoncés. On peut émettre l’hypothèse que Descartes aurait fait la critique de la formule présente dans le Discours de la méthode (« je pense, donc je suis »): le cogito serait en réalité une intuition, une évidence en soi, une proposition indémontrable. Si je pense, c’est que je suis.

Cependant, « je suis, j’existe », même s’il ne contient pas la conjonction « donc », se place en conclusion d’un raisonnement que les Méditations construisent. Surtout, rien n’interdit le fait que cette inférence soit fondée par une intuition, comme le dit Descartes, dans ses réponses aux secondes objections des Méditations métaphysiques :

Mais quand nous apercevons que nous sommes des choses qui pensent, c’est une première notion qui n’est tirée d’aucun syllogisme : et lorsque quelqu’un dit, Je pense, donc je suis, ou j’existe, il ne conclut pas son existence de sa pensée comme par la force de quelque syllogisme, mais comme une chose connue de soi ; il la voit par une simple inspection de l’esprit : comme il paraît de ce que s’il la déduisait d’un syllogisme, il aurait dû auparavant connaître cette majeure, Tout ce qui pense est, ou existe : mais au contraire elle lui est enseignée de ce qu’il sent en lui-même qu’il ne se peut pas faire qu’il pense, s’il n’existe. Car c’est le propre de notre esprit, de former les propositions générales de la connaissance dès particulières.

 

Le cogito, une énoncé performatif ? La théorie de Hintikka

Dans un célèbre article de 1962 (Cogito, ergo sum: Inference or performance ?), le philosophie finlandais Jaakko Hintikka (1929 – 2015) renouvelle la vision du cogito en affirmant qu’il serait un énoncé performatifLa performativité, notion développée par le philosophe anglais John Langshaw Austin (1911 – 1960) caractérise un énoncé à la première personne qui ne décrit pas une action, ou ne constate pas un fait, mais qui par son énonciation exécute quelque chose, à l’image de phrases comme « je promets » ou « au nom de la loi, je vous arrête ». En une formule, la performativité, c’est « quand dire, c’est faire ». 

En conséquence, les énoncés performatifs échappent aux catégories du vrai et du faux, car leur simple énonciation réalisent un acte qu’ils valident par le même fait. Il n’y a pas vérifier leur véracité, comme pour un constat (quand  je dis « je promets de revenir », on ne peut pas dire que le fait « d’avoir promis de revenir » est vrai ou faux, c’est juste un fait).

Or, pour Hintikka, le cogito relève du performatif. Descartes, au début de la méditation seconde, dit d’ailleurs :

enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je prononce, ou que la conçois en mon esprit.

Hintikka écarte l’interprétation du cogito comme inférence, qui est selon lui réductrice et partielle. En effet, « je pense, donc je suis » ou « je suis, j’existe » réaliserait l’existence par le fait même de penser. L’action de penser fait existerMais « penser » produit-il vraiment de « l’être » ? Penser ne produit-il pas autre chose que de la pensée ? Le cogito est une ouverture à un certaine connaissance indubitable : mon existence par le fait que je pense. Mais il est plus délicat d’affirmer que « penser » produit de l’existence. (Vous trouverez ici un article critique de la théorie de Hintikka.)

 

« Je pense, donc je suis » : fondement d’une méthode

La manière dont est saisi le cogito sert de fondement au discernement de toute vérité. Descartes dit, dans ses Principes de la philosophie (1.7), que la vérité du cogito est « la première et la plus certaine qui se présente à celui qui conduit ses pensées par ordre.» Le cogito peut-il alors permettre de découvrir d’autres vérités ? 

Je suis certain que je suis une chose qui pense ; mais ne sais-je donc pas aussi ce qui est requis pour me rendre certain de quelque chose ?

Méditation troisième

Descartes reprend la méthode qui lui a permis de trouver le cogito pour essayer de trouver d’autres vérités : elles doivent êtres aussi nécessaires, claires et distinctes.

Et partant il me semble que déjà je puis établir pour règle générale, que toutes les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement, sont toutes vraies.

Ibid

Bref, une idée évidente ne peut pas être fausse, sauf si la raison est viciée. Dans ce dernier cas, toute quête de la vérité serait illusoire. Mais pour que le cogito puisse obtenir ce statut de point d’appui, il faudrait qu’il soit une vérité permanente et toujours vraie. Or, on l’a vu, dès que je cesse de penser, je cesse d’exister. Et s’il existait des moments où je ne pensais plus ?

Je suis, j’existe : cela est certain ; mais combien de temps ? À savoir, autant de temps que je pense ; car peut-être se pourrait-il faire, si je cessais de penser, que le cesserais en même temps d’être ou d’exister.

Méditation seconde

En outre, le cogito tourne autour de lui-même : je suis certain de mon existence, mais c’est tout. Je ne peux pas prouver le monde. C’est pourquoi, dans sa méditation troisième, Descartes va tenter de prouver l’existence de Dieu, pour pouvoir étendre son raisonnement au monde.

je dois examiner s’il y a un Dieu, sitôt que l’occasion s’en présentera ; et si je trouve qu’il y en ait un, je dois aussi examiner s’il peut être trompeur : car sans la connaissance de ces deux vérités, je ne vois pas que je puisse jamais être certain d’aucune chose.

 

« Je pense, donc je suis » : naissance de l’idéalisme moderne

Avec « je pense, donc je suis », Descartes fonde l’idéalisme moderne en ce qu’il entérine la primauté de la pensée, de l’esprit, du sujet pensant, par rapport au monde, à la matière, aux sens. Descartes, le premier, fait du « je » le début du savoir. En effet, il initie un mouvement de réorientation de la perspective de la philosophie en la dirigeant vers le sujet pensant. L’investigation philosophique cherchait autrefois la « substance », le « sujet » du monde en-dehors de la conscience individuelle. On partait des choses pour étudier leur essence pour enfin comprendre le sujet humain comme réalité intelligible. Avec Descartes, l’investigation part de la conscience individuelle :

Descartes est dans les faits le vrai fondateur de la philosophie moderne en tant qu’elle prend la pensée pour principe. L’action de cet homme sur son siècle et sur les temps nouveaux ne sera jamais exagérée. C’est un héros. Il a repris les choses par le commencement et il a retrouvé le vrai sol de la philosophie auquel elle est revenue après un égarement de mille ans.

Hegel, Leçons sur l’histoire de la philosophie, La philosophie moderne