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Les 12 grandes lois fondatrices de la République française

Publié le 01/09/2017 (m.à.j* le 21/09/2022)
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La démission le 30 janvier 1879 de Mac Mahon de la présidence de la République marque l’avènement définitif des républicains à la tête du régime né le 4 septembre 1870 sur les cendres du Second Empire.

La nouvelle élite dirigeante se lance alors dans la réalisation d’une imposante œuvre législative dont le programme est d’enraciner la République en France. Les douze lois présentées ici ancrent la France dans l’ordre révolutionnaire, accroissent les libertés publiques et surtout, combattent la tutelle religieuse sur l’État et la société. Il ne faut pas oublier que l’Église d’alors est résolument anti-moderne, c’est-à-dire hostile au principe de libre détermination des communautés humaines, comme en témoigne le Syllabus de 1864. Comme le dit Marcel Gauchet :

La république c’est le régime de la liberté humaine contre l’hétéronomie religieuse.

Si la décennie fondatrice de 1880 (remarquablement exposée par Maurice Agulhon dans le premier tome de La République) est particulièrement prolifique, il faut près de 25 ans, au vote de la loi du 9 décembre 1905, pour parvenir à l’aboutissement de cette œuvre législative : la laïcité, l’avènement d’un État neutre, matrice véritable du régime républicain en France.

 

1. Loi du 14 février 1879 : la Marseillaise devient l’hymne national

loi 14 fevrier 1879 marseillaise
Rouget de Lisle chantant la Marseillaise

La Marseillaise (composée, pour rappel, par Rouget de Lisle en 1792), est choisie comme chant national le 14 juillet 1795. Comme chant révolutionnaire, elle est bien sûr interdite sous l’Empire et la Restauration. Reprise au cours des révolutions de 1830 et 1848 et pendant la Commune, il faut pourtant attendre la démission de Mac Mahon, président de la République royaliste, le 30 janvier 1879, pour qu’elle soit érigée comme le premier grand symbole de l’ordre républicain nouveau

Comme l’indique Bernard Richard dans son livre Les emblèmes de la République, la loi du 14 février 1879 déclare simplement que le décret du 26 Messidor an III (14 juillet 1795) est toujours en vigueur. Les Républicains se rattachent ainsi à la Révolution française. Ce choix n’est bien sûr pas unanime : les hommes de la droite refusent un chant au son duquel « leurs pères sont morts ». En outre, ce choix n’est pas dépourvu d’un paradoxe : la Marseillaise, chant révolutionnaire et longtemps subversif, devient un « chant officiel » avec tout ce que ce statut implique de solennité. 

 

2. Loi 6 juillet 1880 qui établit un jour de fête nationale annuelle : le 14 juillet

Loi 6 juillet 1880 14 juillet
Childe Hassam, Bastille Day, Rue Daunou (1910)

La République adopte le 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle.

Le 14 juillet est désormais le jour de la fête nationale. Après le choix de la Marseillaise comme hymne national, la IIIe République se rattache de nouveau par un grand symbole à la Révolution française. Mais quel 14 juillet fête-t-on ? La loi ne répond pas à cette question. Deux grands événements ont eu lieu à cette date : la célèbre prise de la Bastille en 1789 et, parfois oubliée, la Fête de la fédération de 1790. Cette omission est délibérée. 

Le député Benjamin Raspail propose dans un premier temps de fêter le 14 juillet 1789. Mais la commémoration d’une date entachée de sang suscite l’hostilité de la droite. Une proposition contraire est avancée : la célébration du 14 juillet 1790, jour de la Fête de la fédération,exalté par Marc Bloch dans L’Étrange Défaite, qui voit Louis XVI prêter serment à la Nation et à la Loi.

L’opposition se divise donc entre monarchistes qui refusent 1789 mais sont prêts à accepter 1790, et républicains radicaux qui n’acceptent que 1789 ou le 22 septembre 1792 (date de la proclamation de la République).Pour dépasser cette opposition, la loi ignore délibérément de préciser quel 14 juillet est fêté. L’historien et académicien Henri Martin et rapporteur de la loi au Sénat, cité par l’ouvrage dans Les emblèmes de la République,  justifie 1789 comme la « victoire de l’ère nouvelle sur l’Ancien Régime » et 1790 comme la « consécration de l’unité de la France ».

Aujourd’hui, avec l’enracinement profond de la République dans les consciences, l’opinion ne retient que la commémoration de la prise de la Bastille. D’ailleurs, les Anglo-Saxons ne s’y trompent pas, nommant ce jour Bastille Day.

 

3. Loi 17 juillet 1880 qui abroge le décret du 29-12-1851 sur les cafés, cabarets et débits de boissons

Loi 17 juillet 1880 cafe cabaret
Toulouse-Lautrec, Au Moulin Rouge 1892

Par cette loi, la République facilite à l’extrême l’ouverture des débits de boisson. Elle favorise leur ouverture massive. Selon Jacqueline Lalouette :

Dans certains quartiers populaires, on compta en moyenne près de trois débits pour cinq immeubles.

Comme le rappelle Agulhon dans La République, le régime nouveau appréciait « tout ce qui se faisait de politique, de lecture de presse, de causeries informelles dans les cabarets ». La loi du 17 juillet 1880 est donc une grande loi de liberté publique. Elle revient sur les restrictions qui avaient cours sous les régimes précédents, quand on réprimait par des descentes de police la mauvaise pensée communiquée dans les cabarets, sous prétexte de morale. L’autorisation préalable à l’ouverture d’un débit de boisson est remplacée par une simple déclaration. Les cabarets renouèrent avec leur antique rôle comme le rappelle Henry-Melchior de Langle :

Leur cadre plus intime, leur atmosphère plus bohème que le café-concert, en même temps leur prix modique, leur rallièrent la sympathie des artistes et des étudiants.

 

4. Loi du 21 décembre 1880 dite « Camille Sée » sur l’enseignement secondaire des jeunes filles

loi camille see lycee
CES obtenu en 1895 par une lycéenne de 3e année alors âgée de 16 ans | Wikimedia Commons

78 ans après la création des lycées de garçon par la loi du 11 floréal de l’an X (1er mai 1802), les lycées de jeunes filles sont créés par la loi Camille Sée. L’année suivante, en 1881, la République crée l’École normale supérieure des jeunes filles de Sèvres, équivalent féminin de l’ENS de la rue d’ULM (écoles qui ont d’ailleurs fusionné depuis), dans le but de fournir les cadres de ces lycées. 

Les programmes des lycées de jeunes filles sont cependant différents de ceux des garçons. Surtout, la scolarité ne mène pas au bac, diplôme indispensable pour effecteur des études supérieures à l’université. On y trouve pas non plus l’enseignement du latin, ni du grec. Selon l’article 4 de la loi, l’enseignement comprenait :

1° L’enseignement moral ;
2° La langue française, la lecture à haute voix et au moins une langue vivante ;
3° Les littératures anciennes et modernes ;
4° La géographie et la cosmographie ;
5° L’histoire nationale et un aperçu de l’histoire générale ;
6° L’arithmétique, les éléments de la géométrie, de la chimie, de la physique et de l’histoire naturelle ;
7° L’hygiène ;
8° L’économie domestique ;
9° Les travaux à l’aiguille ;
10° Des notions de droit usuel ;
11° Le dessin ;
12° La musique ;
13° La gymnastique.

Cette loi est malgré elle un grand pas vers l’égalité des sexes : sa raison d’être est républicaine et antireligieuse. En effet, la République cherche d’abord à instruire les futures mères, les maîtresses de maisons, les épouses, pour qu’elles contribuent à l’enracinement de la « philosophie républicaine » dans les foyers. Les mères doivent instruire leurs enfants selon les valeurs de 1789. Cette loi a aussi une visée clairement antireligieuse. En effet, on ne trouve pas un enseignement religieux dans le programme, mais un enseignement moral. En outre, elle permet aux jeunes filles de fréquenter des lycées publics, c’est-à-dire non confessionnels. L’objectif est de soustraire les femmes à l’influence de l’Église. 

 

5. Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

Loi du 29 juillet 1881 liberte presse

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

La loi du 29 juillet 1881, toujours en vigueur aujourd’hui, est la grande loi de liberté sur la presse en France. Elle dispose en son article 1er que :

L’imprimerie et la librairie sont libres.

Elle ne maintient qu’une contrainte, le droit de réponse, en son article 13 (modernisé) :

Le directeur de la publication sera tenu d’insérer dans les trois jours de leur réception, les réponses de toute personne nommée ou désignée dans le journal ou écrit périodique quotidien sous peine de 3 750 euros d’amende sans préjudice des autres peines et dommages-intérêts auxquels l’article pourrait donner lieu.

Le racisme, l’injure et la diffamation sont en revanche condamnés.

Comme le précisent Ivan Chupin, Nicolas Hubé et Nicolas Kaciaf dans L’Histoire des médias en France, la presse jouit d’un régime dérogatoire : elle est protégée des menaces administratives. Elle ne dépend plus du ministère de l’Intérieur mais de celui de la Justice pour la répression des infractions. 

La liberté de la presse est une suite logique de l’affirmation en France du suffrage universel masculin. Puisque tous les hommes sont habilités à voter, tous doivent pouvoir disposer d’une information libre.

La presse d’opinion est libérée et cherche à toucher les classes populaires. Les républicains veulent mobiliser les masses rurales. La gauche dispose de L’Humanité, seul titre au tirage nombreux. Depuis 1876, la presse est considérée comme un apostolat par le Saint-Siège : le journal La Croix est fondé en 1883 et se révèlera un acteur majeur de l’antidreyfusisme au cours de l’Affaire.

La presse à bon marché est une promesse tacite de la République au suffrage universel. Ce n’est pas assez que tout citoyen ait le droit de voter. Il importe qu’il ait la conscience de son vote, et comment l’aurait-il si une presse à la portée de tous, du riche comme du pauvre, ne va chercher l’électeur jusque dans le dernier village ? 

Propos rapportés d’Eugène Pelletan, rapporteur de la loi, cité par Patrick Eveno dans La Presse

En 1894, on compte 299 quotidiens pour un tirage à 9,5 millions d’exemplaires, dans un pays de 40 millions d’habitants. Quatre titres dominent, Le Petit Parisien, Le Journal, Le Petit Journal et Le Matin. Ils tirent ensemble quatre millions d’exemplaires chaque jour. Seules les « lois scélérates » de 1893-1894 répriment la presse anarchiste suite à plusieurs attentats. En outre, monde politique et monde journalistique sont imbriqués : on passe d’un statut à l’autre, et le journal sert souvent d’organe fédérateur à un bloc politique. 

 

La loi Gayssot du 13 juillet 1990

Modification majeure de la loi du 29 juillet 1881, la loi Gayssot introduit un article 24 bis qui punit d’un an emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la contestation de l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité. Cette modification a été depuis très critiquée, par l‘historien Pierre Nora notamment. 

 

6. Loi du 16 juin 1881 établissant la gratuité absolue de l’enseignement primaire dans les écoles publiques

Article 1er :

Il ne sera plus perçu de rétribution scolaire dans les écoles primaires publiques, ni dans les salles d’asiles publiques. Le prix de pension dans les écoles normales est supprimé.

Cette loi fait suite à la loi Guizot de 1833 qui permettait à des familles hors d’état de payer les rétributions de voir leurs enfants admis dans des écoles, et à la loi Falloux de 1850 qui permettait à toutes les communes d’ouvrir des écoles gratuites à condition d’y pourvoir sur leurs propres ressources. Une loi du 10 avril 1867 permettait aux communes d’établir la gratuité absolue de la scolarité en levant un impôt de 4 centimes. Dès 1880, 5,6 millions d’enfants sont scolarisés dans des écoles maternelles et primaires privées ou publiques. Il reste cependant 600 000 enfants non scolarisés à cette date. La loi du 16 juin 1881 vient couronner cette œuvre séculaire en imposant la gratuité.

 

7. Loi Jules Ferry du 28 mars 1882 sur l’école primaire obligatoire

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En classe, le travail des petits, Jean Geoffroy, © Photo RMN-Grand Palais – J.-G. Berizzi

Corollaire de la loi précédente : l’école peut-être obligatoire car il existe partout une école gratuite. L’école primaire obligatoire concerne les enfants de six à treize ans, des deux sexes et sanctionne les manquements répétés. La possibilité est laissée aux enfants d’étudier chez eux ou dans une école « libre », c’est-à-dire privée (confessionnelle souvent). L’obligation ne porte donc pas sur la fréquentation d’une l’école publique. La scolarité se termine par l’obtention d’un certificat d’étude.

Article 4 : 

L’instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus ; elle peut être donnée soit dans les établissements d’instruction primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute autre personne qu’il aura choisie. Un règlement déterminera les moyens d’assurer l’instruction primaire aux enfants sourds-muets et aux aveugles.

Cette loi est en outre une grande loi laïque. La loi Camille Sée cherchait à soustraire les futures mères à l’influence de l’Église. Les lois du 16 juin 1881 et du 28 mars 1882 permettent à nombre d’enfants de fréquenter une école publique soustraite de la tutelle religieuse. En effet, l’enseignement remplace l’instruction religieuse par une instruction morale et civique. Selon l’article 1, l’enseignement comprend :

  • l’instruction morale et civique ;
  • la lecture et l’écriture ;
  • la langue et les éléments de la littérature française ;
  • la géographie, particulièrement celle de la France ;
  • l’histoire, particulièrement celle de la France jusqu’à nos jours ;
  • quelques leçons usuelles de droit et d’économie politique ;
  • les éléments des sciences naturelles physiques et mathématiques, leurs applications à l’agriculture, à l’hygiène, aux arts industriels, travaux manuels et usage des outils des principaux métiers ;
  • les éléments du dessin, du modelage et de la musique ;
  • la gymnastique ;
  • pour les filles, les travaux à l’aiguille.

Ce n’est cependant pas une loi qui cherche à entraver la liberté de culte. En effet, en son article 2, elle dit :

Les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine, en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s’ils le désirent, à leurs enfants, l’instruction religieuse en dehors des édifices scolaires. L’enseignement religieux est facultatif dans les écoles privées.

En outre, dans son application, la loi est pragmatique : on ne retire pas brutalement crucifix des murs des classes et n’interdit pas dans toutes les écoles l’évocation de Dieu. Liberté est laissée aux croyants d’envoyer leurs enfants dans des écoles confessionnelles. Cette œuvre de laïcisation est complétée par la loi René Goblet du 30 octobre 1886 sur l’organisation de l’enseignement primaire qui précise en son article 17

Dans les écoles publiques de tout ordre, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque.

 

8. Loi du 21 mars 1884 relative à la création de syndicats professionnels, dite loi Waldeck-Rousseau

loi waldeck rousseau syndicats
La grève au Creusot, Jules Adler, 1899, Photo (C) RMN-Grand Palais / Benoît Touchard

La loi Waldeck-Rousseau est la première loi à autoriser les syndicats en France. Elle abroge la célèbre loi le Chapelier du 14 juin 1791, qui interdisait toutes les associations professionnelles et fait suite à la loi Ollivier du 25 mai 1864 qui supprimait le délit de coalition et reconnaissait le droit de grève. Loi libérale, elle ôte la nécessité d’une autorisation gouvernementale en son article 2

Les syndicats ou associations professionnelles, même de plus de vingt personnes exerçant la même profession, des métiers similaires, ou des professions connexes concourant à l’établissement de produits déterminés, pourront se constituer librement sans l’autorisation du Gouvernement.

La loi ne s’applique pas, à l’époque, aux fonctionnaires et agents de l’État. Article 3

Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles.

Comme le rappelle François Ewald dans Le Modèle républicain, la loi Waldeck-Rouseau est une loi qui cherche à établir un équilibre entre le capital et le travail, en offrant un contrepoids favorable aux travailleurs. L’esprit de la loi va plus loin : intégrer la classe ouvrière à la société libérale et républicaine nouvelle. Le syndicat doit favoriser la fraction modérée du mouvement ouvrier. Il doit être l’école de l’ouvrier, il doit discipliner la grève. Dans une circulaire adressée aux préfets en 1884, rapportée par Gérard Vindt, Waldeck-Rousseau déclare d’ailleurs que le but de la création des syndicats est d’ailleurs de :

dresser une barrière devant l’armée du désordre : partisans de régimes déchus, partisans de la révolution sociale.

La CGT est créée le 23 septembre 1895 à Limoges : la première centrale syndicale est née (c’est-à-dire un groupement national de syndicats). De nombreuses bourses du travail s’étaient développées auparavant en France, où les ouvriers d’une localité pouvaient se réunir pour défendre leurs intérêts et partager des offres d’emplois.

 

9. Loi 5 avril 1884 relative à l’organisation municipale

Loi 5 avril 1884 maire

La Révolution française a créé les communes par la loi du 14 décembre 1789. La loi du 5 avril 1884 poursuit cette œuvre en approfondissant les libertés locales : elle définit les principes d’organisation des communes et leurs compétences. Une institution primordiale de la démocratie apparaît : le maire élu indirectement par ses administrés (et non plus nommé, option favorisée par la droite) par un conseil municipal renouvelé tous les six ans. En plus d’être un représentant de l’État (exécution des lois, tenue de l’état civil, police administrative), le maire est investi du pouvoir exécutif dans la commune et exécute les décision du conseil municipal. Exception notable : Paris n’a pas de maire jusqu’en en 1975.

 

10. Loi « Naquet » du 27 juillet 1884

Le divorce est introduit en France à la Révolution par la loi du 20 septembre 1792, après l’instauration du mariage civil par la Constitution du 3 septembre 1791. Si le mariage est un simple contrat, rien n’empêche sa dissolution. L’indissolubilité ne concerne que le mariage religieux. Le divorce est toutefois aboli pendant la Restauration par la loi Bonald du 8 mai 1816. Il faut attendre 68 ans et la loi Naquet du 27 juillet 1884 pour voir son rétablissement. Ses conditions sont cependant loin d’être libérales. En effet, on ne peut divorcer que pour des motifs précis : 

  • adultère ;
  • condamnation à une peine afflictive et infamante ;
  • excès, sévices et injures graves. 

Motif supplémentaire : le divorce peut être acquis après trois ans de séparation de corps. Mais l’adultère féminin est plus sévèrement réprimé que l’adultère masculin. En effet, l’objectif n’est pas d’ébranler la domination masculine, mais de soustraire une institution fondamentale de la société à la tutelle religieuse, celle de l’Église en particulier. La République suit les traces de la Révolution en faisant du mariage un simple contratLa femme est néanmoins protégée de la dépendance financière, le plaignant ayant droit à une pension et à la garde des enfants. Le mari ne peut plus répudier sa femme. 

Le divorce entre dans les moeurs, et seul Vichy durcit ses conditions en l’interdisant aux couples mariés depuis moins de trois ans, sans toutefois l’interdire. La loi du 11 juillet 1975 adoptée sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing réforme profondément le divorce et rétablit le divorce par consentement mutuel.

 

11. Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association

Dans les pays démocratiques, la science de l’association est la science mère ; le progrès de toutes les autres dépend des progrès de celle-là.

Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome 2, Partie II

La loi du 1er juillet 1901 institue une des libertés publiques les plus vivaces aujourd’hui : celle de s’associer. Elle ne rétablit pas les corporations d’Ancien Régime, mais des entités fondées sur la liberté des individus égaux, celle de s’associer ou de se dissocier en vue de poursuivre un objet défini autre que de partager des bénéfices. Article 1 :

L’association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices […]

Cet article, très laconique, laisse une grande liberté aux individus. L’article 2 confirme le caractère très libéral de la loi, qui laisse les individus libres de toute intervention de la puissance publique : 

Les associations de personnes pourront se former librement sans autorisation, ni déclaration préalable […]

La loi laisse enfin une grande liberté statutaire.

Bien sûr, cette loi n’est pas dépourvue d’un caractère antireligieux, bien au contraire. Elle est même clairement discriminatoire à l’égard des congrégations religieuses en ses articles 13 à 18

Article 13. Aucune congrégation religieuse ne peut se former sans une autorisation donnée par une loi qui déterminera les conditions de son fonctionnement.

Art.14 Nul n’est admis à diriger, soit directement, soit par personne interposée, un établissement d’enseignement, de quelque ordre qu’il soit, ni à y donner l’enseignement, s’il appartient à une congrégation religieuse non autorisée.

Art.16 Toute congrégation formée sans autorisation sera déclarée illicite.

Cette crainte des congrégations religieuses explique d’ailleurs l’adoption tardive de cette loi. Elle fait suite, d’ailleurs, à l’Affaire Dreyfus, dans laquelle elles avaient joué un rôle majeur (les assomptionnistes notamment, par l’intermédiaire de leurs organes de presse Le Pèlerin et La Croix). Contrairement à la volonté de Waldeck-Rousseau, alors président du Conseil, l’application de cette loi sera très rigoureuse : aucune demande d’autorisation de formation de congrégation religieuse n’est acceptée, à l’exception de celles des missionnaires d’Outre-Mer (cf. La République, p.173). En outre, les écoles tenues par des congrégations sont fermées et le droit d’enseigner à titre privé aux anciens membres des congrégations dissoutes est soumis à des obstacles. 

Autre conséquence notable de cette loi : l’organisation de partis politiques. Le Parti radical est crée dès 1901, ainsi que l’Alliance démocratique.

 

12. Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’Etat

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La France était depuis 1801 sous le régime du concordat de Napoléon. Il reconnaissait quatre cultes, financés et organisés par la puissance publique : catholique, calviniste, luthérien et israélite.

La loi du 9 décembre 1905 (portée par Aristide Briand) vient prolonger en quelque sorte la lutte portée à l’antidreyfusisme, identifié à l’armée et au catholicisme, auquel la loi de 1901 avait cherché à porter un premier coup. Nombre de publications catholiques, comme La Croix ou Le Pèlerin, s’étaient développées contre les révisionnistes, les Juifs, la franc-maçonnerie, etc. Nombre d’officiers impliqués dans l’Affaire étaient sortis de collèges catholiques.

Elle couronne surtout le combat pour l’émancipation du corps social du religieux, initié dès l’avènement des Républicains à la tête du régime. Selon les mots de Michel Winock, dans L’Invention de la démocratie :

La laïcité est devenue un combat contre l’intransigeance catholique ; elle devient la base de la culture républicaine.

L’Église comme corps constitué est vue comme l’ennemi de l’émancipation politique des hommes. La loi dit en son article 2 :

La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. […]

L’État devient laïc. Toutefois, la laïcité n’est pas le refus du fait religieux mais le rejet de la tutelle ecclésiastique sur la société politique et sur la société civile. Souvent occulté, l’article premier de la loi est très libéral :

La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. […]

La République garantit à chacun de pouvoir exercer son culte. L’article 2 précise :

Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. 

Les biens détenus par l’église deviennent en outre propriété de l’État, ce qui, paradoxalement, les libère d’une très lourde charge d’entretien.

Le caractère laïc de la République est désormais inscrit dans la Constitution française du 4 octobre 1958 dans son premier article :

La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.

Exceptions : en Alsace-Moselle, où le régime du Concordat est toujours en vigueur, et dans certains territoires d’Outre-mer.