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Chateaubriand critique des encyclopédistes

Publié le 05/07/2017 (m.à.j* le 15/11/2023)
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François-René de Chateaubriand (1768 – 1848), n’a pas été qu’une des grandes plumes de la littérature française. Il a aussi été un homme impliqué dans la politique de son temps et un essayiste influent. Royaliste, naviguant entre conservatisme et libéralisme, il critique dans cet extrait de L‘Essai sur les révolutions (1797) l’esprit de destruction qu’il attribue aux encyclopédistes : ils ne peuvent, selon lui, que penser contre

Chateaubriand critique des encyclopédistes

Il serait impossible d’entrer dans le détail de la philosophie des encyclopédistes ; la plupart sont déjà oubliés, et il ne reste d’eux que la Révolution française. Traiter de leurs livres n’est pas plus facile ; ils n’y ont point exposé de systèmes complets. Nous voyons seulement, par plusieurs ouvrages de Diderot, qu’il admettait le plus pur athéisme, sans en apporter que de mauvaises raisons (cela n’est pas vrai de tous ses ouvrages, mais résulte de leur ensemble ; il est même déiste en plusieurs endroits de ses écrits ; il est difficile d’être conséquent). Voltaire n’entendait rien en métaphysique : il rit, fait de beaux vers, et distille l’immoralité. Ceux qui se rapprochent encore plus de nous ne sont guère plus forts en raisonnement. Helvétius a écrit des livres d’enfants, remplis de sophismes que le moindre grimaud de collège pourrait réfuter. J’éviter de parler de Condillac et de Mably, je ne dis pas de Jean-Jacques et de Montesquieu, deux hommes d’une trempe supérieure aux encyclopédistes. 

Quel fut donc l’esprit de cette secte ? La destruction. Détruire, voilà leur but ; détruire, leur argument. Que voulaient-ils mettre à la place des choses présentes ? Rien. C’était une rage contre les institutions de leur pays, qui, à la vérité, n’étaient pas excellentes ; mais enfin quiconque renverse doit rétablir, et c’est la chose difficile, la chose qui doit nous mettre en garde contre les innovations. C’est un effet de notre faiblesse que les vérités négatives sont à la portée de tout le monde, tandis que les raisons positives ne se découvrent qu’aux grands hommes. Un sot vous dira aisément une bonne raison contre, presque jamais une bonne raison pour. 

Ayant à parler ailleurs des encyclopédistes (à l’article du Christianisme), je finirai ici leur article, après avoir remarqué que, si l’on trouve que je parle trop durement de ces savants, estimables à beaucoup d’autres égards, et moi aussi je leur rends justice de ce côté-là. Mais j’en appelle à tout homme impartial : qu’ont-ils produit ? Dois-je me passionner pour leur athéisme ? Newton, Locke, Bacon, Grotius, étaient-ils des esprits faibles, inférieurs à l’auteur de Jacques le Fataliste, à celui des Contes de mon Cousin Vadé ? N’entendaient-ils rien en morale, en physique, en métaphysique, en politique ? J.-J. Rousseau était-il une petite âme ? Eh bien, tous croyaient au Dieu de leur patrie, tous prêchaient religion et vertu. D’ailleurs, il y a une réflexion désolante : était-ce bien l’opinion intime de leur conscience que les encyclopédistes publiaient ? Les hommes sont si vains, si faibles, que souvent l’envie de faire du bruit les fait avancer des choses dont ils ne possèdent pas la conviction ; et après tout je ne sais si un homme est parfaitement sûr de ce qu’il pense réellement. 

[…]

François-René de Chateaubriand, Essai sur les révolutions, Chap. XXV, Les Encyclopédistes, 1797