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Gradation : définition · effets · exemples (figure de style)

Publié le 26/08/2017
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La gradation est une figure de style par laquelle on ordonne les termes d’une phrase qui évoquent une idée similaire selon une progression ascendante ou descendante. En d’autres mots, une même idée peut être exprimée avec plus ou moins de force grâce à une énumération de termes qui peuvent gagner ou perdre en intensité, en nombre, en taille, etc. Les termes qui se suivent dans une gradation progressent par le sens. Exemple :

C’est un roc ! c’est un pic ! c’est un cap !
Que dis-je, c’est un cap ? … c’est une péninsule !

Rostand, Cyrano de Bergerac, I, 4

Cyrano de Bergerac parle de son gros nez par des métaphores désignant un élément toujours plus important en dimension. On parlera souvent de gradation ascendante pour désigner une gradation qui gagne en intensité. Autre exemple :

Ça dure bien toute une nuit à brûler, un village, même un petit, à la fin, on dirait une fleur énorme, puis rien qu’un bouton, puis plus rien.

Céline, Voyage au bout de la nuit

Dans cet exemple, on parlera d’une gradation descendante, car la comparaison perd en intensité : fleur, bouton puis rien.

Vous trouverez en cliquant ici la liste de toutes les figures de style essentielles de la langue française.

 

La gradation : une figure d’amplification

La gradation est une figure d’amplification qui produit un effet de dramatisation. Elle permet de donner plus d’intensité à l’expression et de rythme à la phrase.

 

Gradation ascendante et descendante : attention !

Il est courant de distinguer la gradation ascendante de la gradation descendante. Mais attention : cette distinction est parfois malaisée. Il en est ainsi de l’exemple suivant :

Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;

Racine, Phèdre, I, 3, Phèdre

On pourrait parler formellement d’une gradation descendante : le teint de Phèdre se dégrade. En même temps, sa faiblesse augmente car elle commence à rougir puis finit par pâlir ! Avons-nous alors affaire à une gradation ascendante ? En définitive, les deux cas s’appliquent :

Le crescendo stylistique sert à dépeindre le decrescendo des forces de Phèdre.

Gradus

 

 Accumulation et énumération

Contrairement à l’accumulation ou à l’énumération, les termes d’une gradation progressent de manière ascendante ou descendante.

Français, Anglais, Lorrains, que la fureur rassemble […]

Voltaire, Henriade, une asyndète

L’énumération « Français », « Anglais », « Lorrains » ne comporte pas de progression (ni en intensité, ni en taille, etc.). Ce n’est donc pas une gradation. Attention : Cependant, il n’est pas toujours aisé de distinguer une gradation d’une énumération ou d’une accumulation.

Oui je vais te tuer, monseigneur, vois-tu bien ?
Comme un infâme ! comme un lâche ! comme un chien !

Hugo, Ruy Blas, V, 3, Ruy Blas

Doit-on on voir une progression dans l’insulte avec la succession des termes « infâme », « lâche » puis « chien » ? Il faudrait considérer alors qu’ « infâme » est une injure moins forte que « chien », ou le contraire.

 

Gradation et bathos

On parle de bathos lorsque la progression de la gradation est cassée par un terme inverse. La chute en devient inattendue, car la gradation ne va pas à son terme. Exemple :

Alfred De Musset, esprit charmant, aimable, fin, gracieux, délicat, exquis, petit.

Victor Hugo

Autre exemple

Je suis perdu, je suis assassiné, on m’a coupé la gorge, on m’a dérobé mon argent.

Molière, L’Avare, IV, 7, Harpagon

Étymologie

Gradation vient du terme de rhétorique latin gradatio, venant lui-même de gradus, c’est-à-dire « degré ».

 

Exemples de gradation

Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passés au fil de l’épée

Montaigne, Essais, I, 31

Je me meurs ; je suis mort ; je suis enterré

Molière, L’Avare, IV, 7, Harpagon

Quelle chimère est-ce donc que l’homme ? Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige ?

Pascal, Pensées

Va, cours, vole et nous venge

Corneille, Le Cid

Vous voulez qu’un roi meure, et pour son châtiment
Vous ne donnez qu’un jour, qu’une heure, qu’un moment.

Racine, Andromaque, IV,3 Oreste

Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ;

La Fontaine, La Laitière et le Pot au lait

Marchez, courez, volez où l’honneur vous appelle.

Boileau, Le Lutrin, III

Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées.

Voltaire, CandideChapitre III

Cet extrait de Voltaire est aussi une antiphrase.

Le fleuve naît, gronde et s’écoule
La tour monte, vieillit et s’écroule

Lamartine, Le chêne

Quand on m’aura jeté, vieux flacon désolé
Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé

Baudelaire, Le Flacon

Elles piaillaient, beuglaient, hurlaient

Baudelaire, Le Vieux Saltimbanque

Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !

Rostand, Cyrano de Bergerac, II, 8, Cyrano

Ah ! Oh ! Je suis blessé, je suis troué, je suis perforé, je suis administré, je suis enterré

Jarry, Ubu Roi, IV, 4, Père Ubu

On tue un homme, on est un assassin. On tue des millions d’hommes, on est un conquérant. On les tue tous, on est un dieu.

Jean Rostand

Ils s’accrochent, ils mordent, ils lacèrent, ils en bavent.

Céline, Voyage au bout de la nuit