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Prosopopée : définition simple et exemples | Figure de style

Publié le 19/11/2017 (m.à.j* le 19/11/2022)
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La prosopopée est un procédé par lequel on invoque et fait discourir un être qui est absent, mort, imaginaire, symbolique, inanimé ou une abstraction. Cet être agit, parle, répond ; il joue le rôle de confident, témoin, vengeur, juge, garant, etc. Cette figure de style recourt souvent à la personnification lorsqu’elle prête des qualités humaines (la parole, les émotions, etc.) à des choses inanimées. En outre, la prosopopée a une fonction allégorique : l’être inanimé invoqué représente une idée abstraite. Exemple :

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière. 

Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris;
J’unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris. 

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d’austères études; 

Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles!

Baudelaire, Fleurs du Mal, La Beauté

Baudelaire fait ici parler une abstraction, la beauté (ce qui fait aussi du poème une allégorie). Autre exemple :

– Bonjour, dit le renard.
– Bonjour, répondit poliment le petit prince, qui se retourna mais ne vit rien.
– Je suis là, dit la voix, sous le pommier.
– Qui es-tu ? dit le petit prince. Tu es bien joli…
– Je suis un renard, dit le renard.
– Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis tellement triste…
– Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas apprivoisé.

Saint-Exupéry, Le Petit Prince, XXI

Saint-Exupéry personnifie un renard qu’il fait discours. Ce renard est en outre l’allégorie du savoir. 

À lire en cliquant ici  : la liste de toutes les figures de style essentielles de la langue française

Effet de la prosopopée

La prosopopée met en scène un être proprement extraordinaire. En effet, elle fait intervenir dans un discours un être qui ne devrait pas pouvoir intervenir. Ainsi, la prosopopée théâtralise un récit et possède donc un fort effet de dramatisation. Cette figure de style est en outre une arme très efficace dans une argumentation : la prosopopée permet non seulement d’avoir recours à une autorité surplombante dans une discussion, mais aussi de ne pas prendre la responsabilité d’une argumentation (qui revient à l’être invoqué). La prosopopée peut enfin avoir une dimension parodique, comme chez Baudelaire qui fait parler une pipe :

Je suis la pipe d’un auteur ; 
On voit, à contempler ma mine 
D’Abyssinienne ou de Cafrine, 
Que mon maître est un grand fumeur.

Quand il est comblé de douleur,
Je fume comme la chaumine 
Où se prépare la cuisine
Pour le retour du laboureur.

J’enlace et je berce son âme 
Dans le réseau mobile et bleu 
Qui monte de ma bouche en feu,

Et je roule un puissant dictame 
Qui charme son coeur et guérit 
De ses fatigues son esprit.

 

Prosopopée et sermocination

Henri Suhamy, dans sons Que sais-je sur les figures de style, propose une définition plus restrictive de la prosopopée, qu’il entend comme la simple invocation d’un être absent ou inanimé. La sermocination serait alors le fait de donner la parole à cet être inanimé. On définit parfois la semocination comme une mise en scène dans laquelle le locuteur parle avec lui-même. 

Étymologie

Prosopopée vient du grec prosopôn, « la face, le visage, le front », et et de poieîn, « faire ».

Exemples de prosopopée

Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre. 
De notre mal personne ne s’en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Villon, Épitaphe 

Les devinettes de type « Qui suis-je » sont des prosopopées, car la devinette énonce elle-même les indices qui permettent de la résoudre. 

Le plus célèbre exemple de prosopopée est celui de Fabricius, dans le Discours sur les sciences et les arts (1750) de Rousseau : 

Ô Fabricius ! qu’eût pensé votre grande âme si, pour votre malheur, rappelé à la vie, vous eussiez vu la face pompeuse de cette Rome sauvée par votre bras, et que votre nom respectable avait plus illustrée que toutes ses conquêtes ? « Dieux ! eussiez-vous dit, que sont devenus ces toits de chaume et ces foyers rustiques qu’habitaient jadis la modération et la vertu? Quelle splendeur funeste a succédé à la simplicité romaine? quel est ce langage étranger? quelles sont ces mœurs efféminées? que signifient ces statues, ces tableaux, ces édifices ? Insensés, qu’avez-vous fait ? Vous, les maîtres des nations, vous vous êtes rendus les esclaves des hommes frivoles que vous avez vaincus ! Ce sont des rhéteurs qui vous gouvernent ! C’est pour enrichir des architectes, des peintres, des statuaires et des histrions, que vous avez arrosé de votre sang la Grèce et l’Asie ! Les dépouilles de Carthage sont la proie d’un joueur de flûte ! Romains, hâtez-vous de renverser ces amphithéâtres ; 108 brisez ces marbres, brûlez ces tableaux, chassez ces esclaves qui vous subjuguent, et dont les funestes arts vous corrompent. Que d’autres mains s’illustrent par de vains talents; le seul talent digne de Rome est celui de conquérir le monde, et d’y faire régner la vertu. Quand Cinéas prit notre sénat pour une assemblée de rois, il ne fut ébloui ni par une pompe vaine, ni par une élégance recherchée ; il n’y entendit point cette éloquence frivole, l’étude et le charme des hommes futiles. Que vit donc Cinéas de si majestueux ? O citoyens ! il vit un spectacle que ne donneront jamais vos richesses ni tous vos arts, le plus beau spectacle qui ait jamais paru sous le ciel : l’assemblée de deux cents hommes vertueux, dignes de commander à Rome et de gouverner la terre. »
Mais franchissons la distance des lieux et des temps, et voyons ce qui s’est passé dans nos contrées et sous nos yeux ; ou plutôt, écartons des peintures odieuses qui blesseraient notre délicatesse, et épargnons-nous la peine de répéter les mêmes choses sous d’autres noms. Ce n’est point en vain que j’évoquais les mânes de Fabricius; et qu’ai-je fait dire à ce grand homme, que je n’eusse pu mettre dans la bouche de Louis XII ou de Henri IV ? Parmi nous, il est vrai, Socrate n’eût point bu la ciguë ; mais il eût bu, dans une coupe encore plus amère, la raillerie insultante, et le mépris pire cent fois que la mort.

Rousseau, Discours sur les sciences et les arts

Les constitutions américaine et française font parler le peuple dans leurs préambules : 

  • Nous, le peuple des États-Unis, en vue de former une union plus parfaite, d’établir la justice, d’assurer la paix intérieure, de pourvoir à la défense commune, de développer la prospérité générale et d’assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre postérité, nous ordonnons et établissons la présente Constitution pour les États-Unis d’Amérique.
  • Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004.

Victor Hugo imagine un discours de Salomon dans son poème Le Groupe des Idylles, tiré du recueil La Légende des siècle (1859 – 1883) : 

Je suis le roi qu’emplit la puissance sinistre ;
Je fais bâtir le temple et raser les cités ;
Hiram mon architecte et Charos mon ministre
Rêvent à mes côtés ;

L’un étant ma truelle et l’autre étant mon glaive,
Je les laisse songer et ce qu’ils font est bien ;
Mon souffle monte au ciel plus haut que ne s’élève
L’ouragan libyen ;

Dieu même en est parfois remué.
Fils d’un crime,
J’ai la sagesse énorme et sombre ; et le démon
Prendrait, entre le ciel suprême et son abîme,
Pour juge Salomon.

C’est moi qui fais trembler et c’est moi qui fais croire ;
Conquérant on m’admire, et, pontife, on me suit ;
Roi, j’accable ici-bas les hommes par la gloire,
Et, prêtre, par la nuit ;

J’ai vu la vision des festins et des coupes
Et le doigt écrivant Mané Thécel Pharès,
Et la guerre, les chars, les clairons, et les croupes
Des chevaux effarés ;

Je suis grand ; je ressemble à l’idole morose ;
Je suis mystérieux comme un jardin fermé ;
Pourtant, quoique je sois plus puissant que la rose
N’est belle au mois de mai,

On peut me retirer mon sceptre d’or qui brille,
Et mon trône, et l’archer qui veille sur ma tour,
Mais on n’ôtera pas, ô douce jeune fille,
De mon âme l’amour ;

On n’en ôtera pas l’amour, ô vierge blonde
Qui comme une lueur te mires dans les eaux,
Pas plus qu’on n’ôtera de la forêt profonde
La chanson des oiseaux.

Gisèle, personnage d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs (1919), doit écrire une composition dans laquelle Sophocle console Racine de l’insuccès d’Athalie :

Mon cher ami, excusez-moi de vous écrire sans avoir l’honneur d’être personnellement connu de vous, mais votre nouvelle tragédie d’Athalie ne montre-t-elle pas que vous avez parfaitement étudié mes modestes ouvrages ? Vous n’avez pas mis de vers dans la bouche des protagonistes, ou personnages principaux du drame…

On trouve aussi une prosopopée de la Terre dans Les Tragiques d’Aubigné, de la Nature dans La Maison du berger de Vigny, des Lois dans le Criton de Platon, sur le bien-fondé de la fuite de Socrate emprisonné, etc. Plus récemment, Michel Sardou a fait parler le paquebot Le France dans sa chanson : 

Ne m’appelez plus jamais France
La France, elle m’a laissé tomber