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Qu’est-ce qu’un empereur romain ?

Publié le 01/09/2016 (m.à.j* le 30/05/2022)
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Les empereurs romains dirigent l’empire romain depuis l’avènement du premier d’entre eux, Auguste (27 av. J.C.) jusqu’à 476 en Occident, et 1453 en Orient. Mais la charge d’empereur romain est difficile, voire insupportable. Sa légitimité à gouverner est faible. Sa mission est pleine de contradictions. 

Cet article est une synthèse de l’article du même nom de Paul Veyne que vous pourrez retrouver dans L’Empire gréco-romain.

 

1. L’empereur romain est un simple mandataire du peuple


La culture générale - carte empereur romain
L’Empire romain (rouge) et ses clients (rose) en 117 après. J.-C. à son apogée, pendant le règne de l’empereur Trajan. | Wikimédia Commons

 

L’Empire n’appartient pas à l’empereur romain…

Les rois de France d’Ancien Régime sont propriétaires par héritage de leur royaume. Ils le reçoivent, car c’est leur patrimoine familial.

Ce n’est pas le cas des empereurs romains. L’empereur n’est pas le propriétaire des terres sur lesquelles Rome exerce son pouvoir.

 

…car il n’est pas un roi

L’empereur est officiellement un mandataire chargé par la République romaine de la diriger.

La République, car il n’y a pas d’ « Empire » romain au sens juridique ou constitutionnel. Les Romains ne nomment pas leur propre pays « Empire ». Pour eux, Rome est une République, avec à sa tête, à partir d’Auguste, un dirigeant absolu.

Il n’y a pas non plus de titre d’ « empereur ». L’empereur se fait appeler Auguste, César ou Imperator et dispose d’une série de pouvoirs qui le placent à la tête de l’Empire.

En théorie, le peuple romain a délégué son pouvoir, sa souveraineté, à un individu qu’il a choisi. Cette idée est restée en vigueur jusqu’à la fin de l’empire byzantin, en 1453. L’Empereur romain est le champion de la République. Dans l’idéologie impériale, cet individu est en théorie au service de la République. Il règne pour les Romains. Il protège la République romaine.

Les Romains détestent le mot de « roi ». Le dernier roi romain, Tarquin le Superbe, est renversé en 509 av. J.C. Le concept de royauté fait figure de repoussoir. Les Romains ne se veulent esclaves de personne.

 

2. La légitimité de l’empereur romain est fragile


empereur romain
Auguste, premier empereur romain, du 16 janvier 27 av. J.-C. au 19 août 14 ap. J.-C / Wikimédia Commons

Puisque Rome est une République, l’empereur doit susciter un certain consensus pour régner. Aucune intronisation juridique, qui fournirait une légitimité solide, ne valide son avènement. Ainsi, la salutation par l’armée et par le Sénat (l’assemblée composée par des membres des grandes familles) fait les empereurs. Il est supposé adoubé par la volonté populaire. C’est de là qu’il tire sa légitimité. Cependant, au IVe siècle, l’armée prend une place de plus en plus prépondérante dans le choix des empereurs. Le fondement de cette légitimité est fragile. Les deux tiers des Augustes et des Césars sont morts de mort violente. Mandataire du peuple, l’empereur romain suscite d’autant plus de mécontentements lorsqu’il échoue à sa mission, comme défendre les frontières de l’Empire contre les Barbares.

 

Un risque mortel : la guerre civile

À chaque changement de règne, tout peut s’effondrer. Si l’empereur n’est que le mandataire du peuple, chacun peut alors prétendre à la charge.Dix-sept empereurs se succèdent donc au IIIe siècle ! Quatorze meurent assassinés. On compte aussi au cours de ce centenaire quarante « usurpateurs », c’est-à-dire des candidats malheureux. Pour éviter ce risque, on acceptait de fait qu’un descendant du prince régnant succède à son père. Rome est une société aristocratique : la pratique de l’hérédité est admise par l’opinion. Mais cette règle d’accession n’était inscrite dans aucun texte de loi. Elle ne réussit jamais à être naturelle et automatique : la République impériale serait redevenue un royaume.

 

3. Peu légitime, l’empereur romain est néanmoins tout puissant


Il n’empêche, légitimité fragile ou pas, l’empereur est tout puissant. Son pouvoir est absolu, illimité et sans partage. Il n’a aucun compte à rendre.

 

L’imperium : les pouvoirs de chef de guerre

L’empereur dispose en effet de l’imperium. Ce concept juridique contient la conception romaine du pouvoir : celle d’un chef de guerre sur le champ de bataille. L’empereur décide de la paix, de la guerre, il lève des l’impôts et décide des dépenses. Aucun pouvoir ne limite le sien. Tout ce que fait l’empereur est légal : il peut légiférer par simple rescrit ou édit. Surtout, il a droit de vie et de mort sur ses sujets. Même les sénateurs peuvent être condamnés par l’empereur sans jugement.

 

Rien ne peut freiner une tyrannie impériale

Pire encore, rien ne peut freiner les tendances tyranniques d’un empereur. Il n’y a pas de « lois fondamentales » comme dans l’Ancien Régime. Le rôle de l’empereur est indéterminé, mais immense. Bref, l’empereur est un mandataire, mais un mandataire au pouvoir absolu. La contradiction est forte : il peut tout faire, mais ce n’est qu’un simple citoyen qui doit régner en conséquence. Un citoyen à la qualité de roi.

 

4. Tout-puissant, l’empereur romain n’est pourtant que l’égal des sénateurs


La culture générale - Sénat empereur romain
Représentation d’une séance du Sénat sur la toile « Cicéron dénonce Catilina » de Cesare Maccari / Wikimédia Commons

Le Sénat représente une caste privilégiée qui n’est pas au service de l’empereur.Une bonne politique impériale consiste pour l’empereur à faire coïncider sa politique avec les vues du Sénat. Se conformer aux volontés du Sénat, c’est se conformer aux volontés de la caste dirigeante de Rome. Il est donc logique qu’un bon empereur pour les Romains doive traiter les sénateurs comme ses pairs, au moins dans les formes. En échange ceux-ci laissent « le monarque » gouverner. Mais si l’empereur commence à se donner l’apparat d’un roi ou d’un dieu, il peut alors éveiller la méfiance du Sénat, qui sentirait ses intérêts de classe menacés. L’équilibre difficile à respecter pour l’empereur, qui dispose d’un pouvoir absolu pour diriger un immense empire.

 

Une relation infernale entre l’empereur et le Sénat

La culture générale - empereur romain domitien
Sous Domitien, empereur de 81 à 96, la méfiance généralisée prend toute sa dimension. Il meurt d’ailleurs assassiné. | Wikimédia Commons

Cette situation favorise bien sûr la mise en place d’un état de méfiance permanente entre l’empereur et le Sénat. Simple mandataire, l’empereur romain craint toujours les usurpateurs qui prétendent pouvoir mieux gouverner que lui. En outre, toute constitution d’une opposition « sénatoriale » à l’empereur est impossible : il dispose de l’imperium. Le contester, c’est trahir. Les sénateurs préfèrent se dénoncer entre eux. Purges, suicides forcés et meurtres judiciaires ne manquaient pas.

 

5. L’empereur romain, un mandataire adulé par le peuple


Nominalement, l’empereur n’était qu’un simple citoyen mandaté pour diriger la République.Dans la réalité, il doit être père de ses sujets. Sa fonction le rend supérieur au commun. Auprès des masses, l’empereur est un monarque. Chaque année, tous les habitants prêtent serment à l’empereur. Faire accepter au peuple de prêter serment ne peut être possible qu’auprès d’une population disposée à accepter que l’empereur soit un monarque. Il lie inconditionnellement de fidèles sujets à une famille régnante pour laquelle ils ont le devoir de mourir.

 

Conclusion : un enfer de contradictions


L’empereur romain est certes à la tête d’une République, mais il dispose de pouvoirs militaires illimités. Aucune fonction précise ne lui est assignée, sinon de diriger Rome. Dans ces conditions, il est difficile d’éviter des tyrans : aucune limite juridique ne peut freiner ce pouvoir. D’autres éléments viennent rendre encore plus difficile la fonction : l’empereur, tout-puissant, n’est finalement considéré, dans l’idéologie, théoriquement, que comme le pair des sénateurs (un primus inter pares). Il a le pouvoir de les massacrer, mais il est censé poursuivre une politique voulue par eux. Cette situation contradictoire ne peut mener qu’à la suspicion entre la personne de l’empereur et les sénateurs.

Enfin, simple citoyen et mandataire du peuple, le rôle de l’empereur fait qu’il est adulé comme un Dieu. Chaque citoyen lui voue un culte, le culte impérial, et un cérémonial lui donne une qualité d’être supérieur des êtres ordinaires. Pourtant, en se comportant comme un roi ou un Dieu, il risque de s’attirer l’hostilité des Romains qui détestent l’idée même de royauté.