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Olympe de Gouges : Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

Publié le 29/05/2019
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Les femmes jouent un rôle important pendant la Révolution de 1789. Elles participent aux journées révolutionnaires (comme celle du 5 octobre 1789) et certaines d’entre elles sont des figures influentes (Madame Roland, Claire Lacombe, Théroigne de Méricourt, Madame Necker, Etta Palm d’Aelders, etc.). Cependant, les femmes sont exclues de la participation directe à la vie politique. Certaines réformes leur profitent (comme l’instauration du divorce), mais elles sont, selon la distinction établie par Emmanuel-Joseph Sieyès (1748 – 1836) des citoyennes « passives », qui ne disposent pas du droit de vote. Elles sont confinées, idéologiquement, à la sphère privée, domestique.

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Septembre 1791 : déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges

Olympe de Gouges (1749 – 1793), écrivaine polygraphe, réclame l’égalité politique des femmes et des hommes dans une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (DDFC) qu’elle adresse à la reine, Marie-Antoinette (r. de 1774 à 1792). Elle réclame pour les femmes le droit de participer à la vie politique du pays, et de devenir ainsi de véritables citoyennes. Cette déclaration « joue la symétrie » (Geneviève Fraisse) avec la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC), votée par l’Assemblée nationale le 26 août 1789, et qui avait été présentée au roi, Louis XVI (1774 – 1792).

Article premier de la DDFC

La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

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Article premier de la DDHC

Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

La DDFC est remarquable pour son originalité. Par l’effet produit par sa forme d’abord. C’est un texte qui se veut fondamental, puisqu’il prétend fixer, comme la DDHC, des droits naturels, c’est-à-dire des droits que possèdent l’être humain du fait de sa simple appartenance à l’humanité (comme la liberté, ou la propriété).

Article II.

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la Femme et de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et surtout la résistance à l’oppression.

Olympe de Gouges ajoute une perspective de genre à l’œuvre révolutionnaire. L’égalité des femmes et des hommes découle de leur égalité en nature. La tyrannie qu’exerce l’homme sur la femme est artificielle : elle ne découle pas de la nature, elle est culturelle.

Article IV

La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison.

La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est singulière comme texte juridique, mais aussi par sa dimension pamphlétaire. Elle attaque la prétention des hommes à borner la liberté des femmes, « un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ». Rien ne justifie cette configuration, qui ne se retrouve même pas chez les animaux et les végétaux :

HOMME, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet empire tyrannique.

Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d’œil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et rends-toi à l’évidence quand je t’en offre les moyens ; cherche, fouille et distingue, si tu peux, les sexes dans l’administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d’œuvre immortel.

L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la Révolution, et réclamer ses droits à l’égalité, pour ne rien dire de plus.

La DDFC ne se contente donc pas de poser des principes universels abstraits. Ce texte se soucie de la réalité de la mise en œuvre des droits. Les hommes prétendent que les femmes sont extérieures à la sphère publique. Elles ont pourtant, dans les faits, une responsabilité politique, puisqu’elles peuvent monter, comme les hommes, sur l’échafaud.

Article X

Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales, la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune ; pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi.

Beaumarchais ne fait pas dire autre chose à Marceline dans Le Mariage de Figaro :

Dans les rangs même plus élevés, les femmes n’obtiennent de vous qu’une considération dérisoire ; leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes !

 III, 16

La femme doit donc pouvoir voter et être élue, avoir le droit, comme elle le dit à l’article X, de « monter à la Tribune ». Olympe de Gouges réclame un suffrage véritablement universel qui inclue les femmes :

Article VI

La loi doit être l’expression de la volonté générale ; toutes les Citoyennes et Citoyens doivent concourir personnellement ou par leurs représentants, à sa formation ; elle doit être la même pour tous : toutes les Citoyennes et tous les Citoyens, étant égaux à ses yeux, doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.

Les femmes font partie, avec les hommes, du souverain, et constituent avec eux la Nation :

Article III

Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n’est que la réunion de la Femme et de l’Homme : nul corps, nul individu, ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

 

Compléter la Révolution

La visée de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est singulière. Pour Olympe de Gouges, la Révolution ne saurait être complète si les hommes continuent à opprimer les femmes. Le texte de la DDHC prétend à l’universel mais, dans les faits, cette universalité est limitée. Cette déclaration emploie d’ailleurs « homme » (du latin homo) pour « genre humain ». Il fallait donc réaffirmer les droits de la femme par une nouvelle déclaration. Elle écrit dans son préambule adressé à la reine :

Cette révolution ne s’opérera que quand toutes les femmes seront pénétrées de leur déplorable sort, et des droits qu’elles ont perdus dans la société.

En d’autres termes, se battre pour l’émancipation féminine, c’est continuer la Révolution française. Sans le concours des femmes, la Constitution, qui fixe en droit l’œuvre révolutionnaire, est nulle, puisque la véritable majorité des individus qui composent la nation n’a pas coopéré à sa rédaction :

Article XVI

Toute société, dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ; la constitution est nulle, si la majorité des individus qui composent la Nation, n’a pas coopéré à sa rédaction.

 

Un geste inaugural de l’histoire du droit des femmes en France

Le texte d’Olympe de Gouges ne rencontre que peu d’écho à son époque. Rappel ironique de l’article X de sa DDFC, elle meurt guillotinée en 1793.

La DDFC n’est pas le seul texte à avoir réclamé l’égalité entre les hommes et les femmes. Dès 1622, Marie de Gournay (1565 – 1645) en avait formulé explicitement l’idée dans L’Égalité des hommes et des femmes. Elle a notamment été suivie par le philosophe François Poullain de la Barre (1647 – 1723) qui a publié en 1673 un discours sur L’Égalité des deux sexes […]. En 1790, au début de la Révolution, Nicolas de Condorcet (1743 – 1794) a publié Sur l’admission des femmes au droit de cité, qui a eu de l’influence sur Olympe de Gouges. Mary Wollstonecraft ( 1759 – 1797) a publié en 1792 un essai novateur en Défense des droits de la femme.

Cependant, la DDFC peut figurer comme l’un des gestes inauguraux de l’histoire de l’émancipation des femmes en France, en ce qu‘il réclame clairement des droits pour les femmes, ainsi que d’un mouvement qui n’existe pas encore à la Révolution, le féminisme.

Les femmes ont obtenu en France le droit de vote par l’ordonnance du 21 avril 1944. Elles ont voté pour la première fois le 29 avril 1945. Auparavant, le gouvernement de Front populaire de Léon Blum avait nommé pour la première fois, en 1936, trois femmes au gouvernement comme « sous-secrétaires d’État » (Cécile Brunschvicg, Irène Joliot-Curie et Suzanne Lacore). Germaine Poinso-Chapuis est la première femme a avoir reçu le titre de ministre en France, comme ministre de la santé publique et de la population, du 24 novembre 1947 au 26 juillet 1948.

 

Le texte de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

À décréter par l’assemblée nationale dans ses dernières séances ou dans celle de la prochaine législature.

Préambule

Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la Nation, demandent à être constituées en Assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaltérables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration constamment présente à tous les membres du corps social leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes et ceux du pouvoir des hommes, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, des bonnes mœurs et au bonheur de tous. En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage dans les souffrances maternelles reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les droits suivants de la femme et de la citoyenne :

Article 1

La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Article 2

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la femme et de l’homme. Ces droits sont : la liberté, la prospérité, la sûreté et surtout la résistance à l’oppression.

Article 3

Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n’est que la réunion de la femme et de l’homme ; nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Article 4

La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison.

Article 5

Les lois de la nature et de la raison défendent toutes actions nuisibles à la société ; tout ce qui n’est pas défendu par ces lois sages et divines ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elles n’ordonnent pas.

Article 6

La loi doit être l’expression de la volonté générale : toutes les citoyennes et citoyens doivent concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation ; elle doit être la même pour tous ; toutes les citoyennes et citoyens étant égaux à ses yeux doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.

Article 7

Nulle femme n’est exceptée ; elle est accusée, arrêtée, et détenue dans les cas déterminés par la loi : les femmes obéissent comme les hommes à cette loi rigoureuse.

Article 8

La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nulle ne peut être punie qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée aux femmes.

Article 9

Toute femme étant déclarée coupable, toute rigueur est exercée par la loi.

Article 10

Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même fondamentales ; la femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit également avoir celui de monter à la tribune, pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi.

Article 11

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de la femme, puisque cette liberté assure la légitimité des pères envers leurs enfants. Toute citoyenne peut donc dire librement : je suis mère d’un enfant qui vous appartient, sans qu’un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité ; sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans des cas déterminés par la loi.

Article 12

La garantie des droits de la femme et de la citoyenne nécessite une utilité majeure ; cette garantie doit être instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de celles à qui elle est conférée.

Article 13

Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, les contributions des femmes et des hommes sont égales ; elle a part à toutes les corvées, à toutes les tâches pénibles, elle doit donc avoir de même part à la distribution des places, des emplois, des charges, des dignités et de l’industrie.

Article 14

Les citoyennes et citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique. Les citoyennes ne peuvent y adhérer que par l’admission d’un partage égal, non seulement dans la fortune, mais encore dans l’Administration publique et de déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée de l’impôt.

Article 15

La masse des femmes, coalisée pour la contribution à celle des hommes, a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

Article 16

Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. La constitution est nulle si la majorité des individus qui composent la Nation n’a pas coopéré à sa rédaction.

Article 17

Les propriétés sont à tous les sexes réunis ou séparés : elles sont pour chacun un droit inviolable et sacré ; nul ne peut être privé comme vrai patrimoine de la nature, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

Postambule et Contrat social de l’Homme et de la Femme disponibles ici.

 

À lire

  • Sophia Aboudrar, Construction normative et féminité, Olympe de gouges, ou la portée du modèle déclaratif, L’Année sociologique 2003/1 (Vol. 53)
  • Olivier Blanc, Olympe de Gouges : 1748-1793, des droits de la femme à la guillotine
  • Évelyne Morin-Rotureau (direction), Combats de femmes 1789-1799
  • Jacques Rancière, La Haine de la démocratie
  • «Femme, réveille-toi !»: Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne et autres écrits, Présentation de Martine Reid
  • Michèle Riot-Sarcey, Histoire du féminisme, I. Des femmes en Révolution
  • Yannick Ripa, Les femmes, actrices de l’histoire France, de 1789 à nos jours, Chapitre 2 – La Révolution française, l’espoir déçu des femmes
  • Les Chemins de la philosophie, France Culture, Les droits de l’homme : …Et des femmes ?, Avec Geneviève Fraisse