Qui n’a jamais entendu ces trois bam résonner dans une salle de théâtre juste avant que le rideau ne s’ouvre ? Un silence feutré, l’attente suspendue… puis les trois coups frappés, comme pour dire : « Place au spectacle ». Ce petit rituel, que l’on croit souvent purement technique, cache en réalité une histoire bien plus spirituelle et symbolique qu’on ne l’imagine.
Pour en comprendre la portée, il faut remonter loin, très loin, à l’époque du théâtre religieux du Moyen Âge. À cette époque, les représentations n’avaient pas lieu dans des théâtres à l’italienne, mais sur des estrades en bois dressées devant les églises. On y jouait des “mystères”, des scènes religieuses destinées à instruire les fidèles. Avant chaque représentation, on frappait onze petits coups rapides. Pourquoi onze ? Parce qu’on soustrayait le traître Judas des douze apôtres. Ce détail donne déjà une idée de l’ambiance solennelle du moment.
Puis, trois coups plus lents et puissants suivaient. Un geste chargé de sens : on dit qu’il symbolisait la Trinité – le Père, le Fils et le Saint-Esprit. On marquait ainsi, en quelque sorte, l’entrée dans un espace sacré. On ne venait pas juste écouter une histoire, on assistait à quelque chose de plus grand, presque mystique.
Du rituel religieux à la mécanique du théâtre classique
Mais comment cette tradition médiévale a-t-elle traversé les siècles jusqu’à nos scènes modernes ? Tout simplement parce qu’elle a su s’adapter. Avec le développement du théâtre classique, ces coups n’ont pas disparu, mais ont été réutilisés à des fins plus pratiques.
Imaginez une salle bondée, des décors immenses, une machinerie aussi bruyante que complexe… Le régisseur, pour coordonner les machinistes avant le lever de rideau, utilisait ces mêmes coups. Les petits coups rapides servaient à signaler aux équipes techniques de se préparer. En retour, chaque groupe – du haut des cintres, de dessous la scène, ou des coulisses – répondait par un coup unique, confirmant qu’ils étaient en place. Ce système rudimentaire mais redoutablement efficace permettait d’assurer que tout le monde était prêt. Ce n’est qu’alors que les fameux trois coups étaient frappés pour annoncer que le spectacle pouvait commencer.
Un mélange d’efficacité logistique et de tradition symbolique, voilà le cocktail qui a permis à cette coutume de survivre aux siècles.
Une expression passée dans le langage courant
Aujourd’hui, “frapper les trois coups” ne se limite plus à la scène. L’expression a pris son envol dans le langage courant, bien au-delà des planches. Un politicien lance sa campagne électorale ? Il frappe les trois coups. Un festival ouvre ses portes ? Même chose. Un chef d’entreprise entame un nouveau projet ? Idem. Il s’agit désormais d’une formule pour signifier un commencement solennel, une façon de dire que “les choses sérieuses commencent”.
On la retrouve dans la presse, dans les discours officiels, et même dans les conversations informelles, comme un clin d’œil à une culture théâtrale profondément enracinée dans notre imaginaire collectif.