394 Vues
Enregistrer

Martin Luther King (1929 – 1968)

Publié le 22/06/2018
1 commentaire

Martin Luther King (1929 – 1968) est la figure la plus célèbre du mouvement de lutte pour les droits civiques aux États-Unis, c’est-à-dire la lutte des Noirs étasunien pour l’égalité politique et sociale. 

Martin Luther King est un homme du Sud

Martin Luther King est né le 15 janvier 1929 à Atlanta, capitale de l’État de Géorgie, au sud des États-Unis. Il grandit donc dans une région marquée par la ségrégation (du latin segregatio « séparation ») raciale.

Après la guerre de Sécession (1861 – 1865), les États-Unis adoptent le 6 décembre 1865 un XIIIe amendement à leur constitution qui abolit l’esclavage :

Ni esclavage ni servitude involontaire, si ce n’est en punition d’un crime dont le coupable aura été dûment convaincu, n’existeront aux États-Unis ni dans aucun des lieux soumis à leur juridiction.

Les Noirs sont désormais tous des citoyens. Mais cette abolition ne donne pas naissance, bien sûr, à une Amérique fraternelle et débarrassée du racisme.

En se fondant sur des doctrines raciales et des interprétations particulières de la Bible, les états issus des États confédérés d’Amérique (l’État sécessionniste battu par le Nord à l’issue de la guerre de Sécession) ont édicté à partir de la fin du XIXe siècle une série de normes distinguant les citoyens américains selon leur couleur de peau (Jim Crow Laws). L’organisation suprémaciste (qui affirme qu’il y a une hiérarchie entre les races) blanche Ku Klux Klan y a un temps fait régner la terreur.

Cette ségrégation raciale sépare Noirs et Blancs dans tous les lieux publics, du restaurant à l’école, des transports en commun aux toilettes. Elle est bien sûr mise en place au détriment des Noirs américains. Ceux-ci sont empêchés de voter par des règlements qui conditionnent insidieusement ce droit (par des tests d’alphabétisation par exemple). En 1940, leur espérance de vie est de dix ans inférieure à celle des blancs.

Martin Luther King est un pasteur influencé par Gandhi et Thoreau

La famille de Martin Luther King, d’un milieu relativement privilégié de pasteurs, le nomme en l’honneur du fondateur du protestantisme, le prédicateur allemand Martin Luther (1483 – 1546). Il est donc baigné dans le christianisme dès son enfance. À la suite de ses études de théologie au Crozer Theological Seminary à Chester, en Pennsylvanie, il part pour l’université de Boston afin de faire un doctorat théologie systématique qu’il termine ne 1955. Entre-temps, en 1953, il épouse Coretta Scott (1927 – 2006), future militante elle aussi. 

Au cours de ses études, il découvre Gandhi (1869 – 1948), dont le militantisme non-violent contre la domination britannique sur l’Inde par des marches et des boycotts l’influence profondément. Il lit aussi Henry David Thoreau (1817 – 1862), écrivain célèbre dans son pays et théoricien de La Désobéissance civile (1849). Il devient en outre membre de la National Association for the Avancement of Colored People (NAACP), la plus puissante association afro-américaine de lutte contre la discrimination raciale.

Martin Luther King retourne ensuite dans le Sud pour vivre à Montgomery, l’ancienne capitale des États confédérés, dans l’Alabama, pour devenir pasteur de la Dexter Avenue Baptist Church.

Pour soutenir Rosa Parks, Martin Luther King dirige le boycott de Montgomerry

Le 5 décembre 1955, dans un bus de Montgomery, Rosa Parks (1913 – 2005) refuse de céder sa place à un Blanc. Les « nègres » (negroes), tels qu’ils sont appelés alors, devaient selon le règlement de la compagnie s’asseoir au fond du bus et laisser leur place si un blanc la souhaitait. Elle est arrêtée. Cette affaire va permettre à Martin Luther King de révéler tous ses talents de leader et d’orateur. Le jeune homme de 26 ans prend alors la tête d’un mouvement de boycott du système de bus de Montgomery par les Noirs américains qui dure 381 jours. Ce mouvement est non-violent, conformément au message de Gandhi. Martin Luther King, pour mettre en place ses techniques de résistance non-violentes, bénéficie aussi des conseils du militant Bayard Rustin (1912 – 1987).

Cette action est redoutable. Les Noirs américains représentent alors 40% de la population de la ville et sont presque tous contraints d’utiliser le système de bus de la ville. La plupart sont pauvres et ne peuvent se payer une voiture. C’est donc une perte de revenu importante qui risque de provoquer la faillite de la compagnie de bus.

Les Noirs américains se déplacent donc à pieds pendant toute la durée du boycott et étendent l’opération aux commerces qui ne les soutiennent pas. Martin Luther King devient alors la cible des partisans de la ségrégation. Sa maison subit un attentat à la bombe. Le Klu Klux Klan multiplie les provocations. Mais son combat est couronné de succès : en décembre 1956, la Cour suprême des États-Unis déclare que les lois ségrégationnistes de l’Alabama sont inconstitutionnelles.

Martin Luther King, président de la Southern Christian Leadership Conference (SCLC)

En janvier 1957, Martin Luther King co-fonde la Southern Christian Leadership Conference (SCLC), avec Bayard Rustin notamment. Cette organisation, dont il devient le premier président, a pour objectif de tabler sur le succès du boycott de Montgomery pour étendre la lutte non-violente à d’autres villes américaines. Une des priorités est d’obtenir un véritable droit de vote pour les Afro-américains.

Le nom de cette organisation révèle l’évolution du combat de Martin Luther King : aucune référence n’est faite à la couleur de peau (contrairement à la National Association for the Avancement of Colored People). Le combat contre la ségrégation doit être un combat commun à tous les chrétiens.

Après avoir publié son premier livre Stride Toward Freedom (1958), qui revient sur le boycott de Montgomery, Martin Luther King part en 1959 pendant cinq semaines en Inde où il rencontre la famille de Gandhi et le Premier ministre Nehru (1889 – 1964). Il cherche alors à approfondir sa connaissance des stratégies de lutte non-violente pour les exporter aux États-Unis. Au reste, le sort réservé aux populations intouchables n’a pu que lui remémorer le sort des Noirs américains. Ces individus hors-caste et considérés comme impurs par la religion hindouiste y sont marginalisés.

En 1959, Martin Luter King quitte la Dexter Avenue Baptist Church et s’installe à Atlanta, sa ville d’origine, dans laquelle le siège de la SCLC est installé.

La SCLC lance alors plusieurs campagnes de protestation, parfois sans succès comme à Atlanta en 1961. La police n’a pas cherché à se confronter aux marcheurs, ce qui a cassé l’élan de la campagne. Ailleurs, les autorités préfèrent laisser les compagnies de bus faire faillite plutôt que de céder, ou cèdent très vite aux demandes pour empêcher le développement d’un mouvement.

La SCLC est en conflit sporadique avec les étudiants de la Student Nonviolent Coordinating Committee (SNCC). Les deux organisations reconnaissent toutefois la nécessité de lancer une campagne victorieuse.

Martin Luther King, emprisonné pendant la campagne de Birmingham en 1963

En avril 1963 à Birmingham, dans l’Alabama, Martin Luther King dirige des manifestations massives contre la ségrégation dans le monde du travail. Le conflit se cristallise autour du refus du commissaire à la sécurité publique, Eugene Connor (« Bull » Connor), de permettre des négociations entre les commerçants du centre-ville et la communauté noire-américaine pour l’offre de nouveaux emplois. En outre, George Wallace (1919 – 1998), gouverneur de l’Alabama, est un partisan déterminé de la ségrégation raciale.

La police de cette ville est alors réputée pour son hostilité aux Noirs américains. Elle réagit violemment aux manifestations. Pour disperser les marcheurs, elle lâche des chiens et utilise des canons à eau. Le récit des abus de la police fait alors le tour du monde. La lutte du mouvement pour les droits civiques est propulsée sur le devant de la scène.

Martin Luther King, incarcéré, publie sa Letter from a Birmingham Jail, dans laquelle il révèle le sens de la non-violence :

Peut-être demanderez-vous : « Pourquoi l’action directe ? Pourquoi ces occupations, ces cortèges et autres manifestations ? Ne vaut-il pas mieux négocier ? ». Vous avez raison d’en appeler à la négociation. En vérité, elle est l’objectif même de l’action directe dont le but est de créer un tel état de crise, de susciter une telle tension que la société, après avoir obstinément refusé de négocier, se trouve contrainte d’envisager cette solution.

Source

Une victoire pour Martin Luther King

Le 11 juin, le président des États-Unis, John Fitzgerald Kennedy (1961 – 1963), réagit. Il s’adresse à la télévision au peuple américain et annonce que la demande des droits civique sera prise en compte :

Nous prêchons la liberté à travers le monde, ce en quoi nous croyons fermement, et nous chérissons la liberté qui est la nôtre. Mais, pouvons-nous affirmer au monde, et surtout entre nous, que nous sommes le pays de la liberté, mais pas pour les Noirs ? Que nous n’avons pas de citoyens de seconde classe, sauf les Noirs ? Que nous n’avons aucun système de classe sociale, de caste, aucun ghetto, ni concept de race supérieure, sauf en ce qui concerne les Noirs ?

Le 3 juillet 1964 est signé le Civil Rights Act qui met fin aux discriminations fondées sur la race, la couleur, la religion ou la nationalité. Le Voting Rights Act d’août 1965 met fin aux barrières empêchant les Afro-américains de voter, aux niveaux local et national. 

Martin Luther King a un rêve : « I have a dream »

Dans un célèbre discours prononcé devant le mémorial Abraham Lincoln le 28 août 1963 à l’issue de la March on Washington for Jobs and Freedom, Martin Luther King partage sa vision d’une Amérique fraternelle et libérée des inégalités raciales. Excellent orateur, Martin Luther King joue sur l’anaphore I have a dream (« je rêve », « j’ai un rêve ») pour transmettre son message :

[…]

Je vous le dis ici et maintenant, mes amis, bien que, oui, bien que nous ayons à faire face à des difficultés aujourd’hui et demain je fais toujours ce rêve : c’est un rêve profondément ancré dans l’idéal américain. Je rêve que, un jour, notre pays se lèvera et vivra pleinement la véritable réalité de son credo : “ Nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes que tous les hommes sont créés égaux ”.

Je rêve qu’un jour sur les collines rousses de Géorgie les fils d’anciens esclaves et ceux d’anciens propriétaires d’esclaves pourront s’asseoir ensemble à la table de la fraternité.

Je rêve qu’un jour, même l’État du Mississippi, un État où brûlent les feux de l’injustice et de l’oppression, sera transformé en un oasis de liberté et de justice.

Je rêve que mes quatre petits-enfants vivront un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés sur la couleur de leur peau, mais sur la valeur de leur caractère. Je fais aujourd’hui un rêve !

Je rêve qu’un jour, même en Alabama, avec ses abominables racistes, avec son gouverneur à la bouche pleine des mots “ opposition ” et “ annulation ” des lois fédérales, que là même en Alabama, un jour les petits garçons noirs et les petites filles blanches pourront se donner la main, comme frères et sœurs. Je fais aujourd’hui un rêve !

Je rêve qu’un jour toute la vallée sera relevée, toute colline et toute montagne seront rabaissées, les endroits escarpés seront aplanis et les chemins tortueux redressés, la gloire du Seigneur sera révélée à tout être fait de chair.

[…]

Source

Pénétré d’espérance chrétienne, le discours se termine sur un appel à la fraternité :

Quand nous permettrons à la cloche de la liberté de sonner dans chaque village, dans chaque hameau, dans chaque ville et dans chaque État, nous pourrons fêter le jour où tous les enfants de Dieu, les Noirs et les Blancs, les Juifs et les non-Juifs, les Protestants et les Catholiques, pourront se donner la main et chanter les paroles du vieux Negro Spiritual : “ Enfin libres, enfin libres [Free at last], grâce en soit rendue au Dieu tout puissant, nous sommes enfin libres ! ”.”

Mais, comme un symbole des limites de son action, un attentat commis par des suprémacistes blancs à Birmingham contre une église afro-américaine tue quatre fillettes.

Martin Luther King, prix Nobel de la paix en 1964

Martin Luther est élu homme de l’année du Time Magazine en 1963. Un an plus tard, il reçoit le prix Nobel de la paix, à 35 ans. Le prix Nobel de la paix récompense un homme toujours fidèle à l’idéal de non-violence, à une époque qui est, quant à elle, violente.

Une fin de vie controversée

En mars 1965, pour lutter contre les pratiques discriminatoires empêchant le droit de vote des Noirs américains, trois marches sont organisées de Selma à Montgomery, dans l’Alabama. Martin Luther y participe. Les protestataires sont reçus avec violence par la police locale. Mais le Voting Right d’août 1965 met fin à la plupart des pratiques qui empêchaient le vote. 

Martin Luther King s’installe ensuite à Chicago, dans le ghetto noir américain de West Side, pour propager ses méthodes au Nord. Il souhaite désormais étendre le domaine de sa lutte.

Il veut s’attaquer à une forme discrimination qui n’avait pas été attaquée par le mouvement des droits civiques : la pauvreté. Ainsi, il lance en 1968 la Poor Peoples Campaign, une campagne de boycott et de sit-ins pour que le gouvernement prenne en compte le sort des indigents. 

Mais les méthodes de Martin Luther King sont de plus en plus contestées. En effet, à la fin des années 1960 émerge le concept de Black Power. Ce terme, rendu célèbre par Stokely Carmichael, membre du SNCC, pendant la March Against Fear de juin 1966, recouvre l’idée que les Noirs américains doivent être plus actifs et radicaux dans leur lutte contre les discriminations. La non-violence ne peut plus suffire. 

Malcom X (1927-1965) devient pour un temps le porteur d’une idéologie d’auto-défense et de nationalisme afro-américain. Les Noirs américains urbanisés du Nord des États-Unis sont plus sensibles à ce message qu’à la modération de Martin Luther King. 

Il s’aliène en outre un partie de l’opinion noire-américaine, notamment la partie la plus patriote, en s’attaquant à la politique étrangère américaine au Vietnam (discours du 4 avril 1967 à New York, Beyond Vietnam: A Time to Break Silence).

Enfin, son activisme et son hostilité à la guerre du Vietnam suscitent l’hostilité du directeur du FBI, John Edgar Hoover (qui le croit sous influence communiste et essaie de le pousser au suicide). Ses relations avec le président Lyndon Johnson (1963 – 1969), qui a remplacé Kennedy après son assassinat en novembre 1963, sont mauvaises. 

Avant son assassinat, Martin Luther King n’est donc pas une figure dont l’aura suscite une approbation unanime. Son combat, qui a dépassé le cadre de la lutte pour les droits civiques, lui a attiré une prévisible animosité. Le combat contre la pauvreté ou contre « l’impérialisme américain » relèvent de choix idéologiques qui peuvent faire l’objet de discussions, ce qui n’est pas le cas du combat contre la ségrégation raciale.

Martin Luther King, assassiné le 4 avril 1968

Au printemps 1968, Martin Luther King est à Memphis, dans le Tennessee, pour soutenir des grévistes noirs-américains. Une marche devient violente et se termine en pillages. Il accepte de revenir à Memphis si la non-violence est respectée pour une marche prévue le 5 avril. Des négociations sont en cours avec le juge. 

Andrew Young, futur ambassadeur de Jimmy Carter à l’ONU et futur maire d’Atlanta, vient l’informer dans son hôtel, le Lorraine Motel, de l’avancée des négociations. Alors qu’il sort sur un balcon devant sa chambre, il est abattu. Il a 39 ans. Comme Gandhi, un prêcheur de la non-violence meurt dans la violence. Une véritable détresse s’empare du pays. Des émeutes éclatent partout. Le président Johnson appelle à un jour de deuil national.

L’assassin est rapidement identifié : James Earl Ray. Il est arrêté le 8 juin à Londres puis condamné en mars 1969 à 99 ans de prison après avoir plaidé coupable pour éviter la peine de mort. Mais il n’a jamais avoué pleinement avoir été à l’origine de ce meurtre. Il publie même un livre en 1992, Who killed Martin Luther King, Jr?  The True Story by the Alleged Assassin, dans lequel il diffuse l’idée d’une conspiration, sans donner trop de détails.  Il meurt en prison en 1998. 

Martin Luther King : une figure universelle

Après sa mort, Martin Luther King devient un symbole. Sa figure universelle incarne la lutte optimiste pour une société fraternelle et antiraciste. Chacun peut se reconnaître en lui. Son anaphore, « I have a dream », résonne encore dans la mémoire collective. En témoigne l’institution d’un jour férié aux États-Unis au jour de son anniversaire, fêté le troisième lundi de janvier depuis 1986. Cette transmutation de l’homme en symbole se fait néanmoins au prix d’un certain affadissement du personnage. On oublie au cours de l’opération les aspects les plus critiques de son discours. 

Enfin, même si Barack Obama (2008 – 2016), président métis d’ascendance européenne et africaine a été élu président des États-Unis, la marche vers l’égalité est loin d’être terminée. Aujourd’hui, le problème des violences policières à l’encontre des Noirs américains reste saillant (voir le mouvement Black Lives Matter) et des émeutes éclatent régulièrement. La pauvreté terrasse toujours une communauté dont le poids démographique se réduit devant la croissance de la communauté hispanique et de la communauté asiatique. 

En mai 2018, cinquante ans après la mort de Martin Luther King, le chanteur Childish Gambino produit une chanson à succès dénonçant le climat de violence qui touche les Noirs américains.