Il y a des découvertes qui font lever un sourcil, puis carrément bondir la communauté scientifique ; c’est exactement ce qui vient de se passer avec le site de Gunung Padang, à l’ouest de Java. Imaginez : une colline volcanique que l’on croyait « simplement » sacrée par les populations locales et qui, soudain, serait requalifiée en pyramide la plus ancienne jamais bâtie par l’homme. De quoi donner des sueurs froides aux guides de Gizeh et réveiller l’Indiana Jones qui sommeille en chacun de nous.
Pourtant, avant de réserver votre billet pour Jakarta, un petit détour par les faits s’impose : entre enthousiasme débordant et prudence académique, l’affaire ressemble davantage à un casse-tête qu’à un triomphe assuré de l’archéologie.
Ce que dit l’étude
Menée par le géologue indonésien Danny Hilman Natawidjaja, l’équipe de recherche a multiplié les analyses de sous-surface : tomographie, radar pénétrant, carottages – toute la panoplie du parfait chasseur de pierres cachées. Résultat : quatre couches distinctes seraient imbriquées dans la colline, chacune affichant un âge canonique différent. La plus profonde aurait été aménagée dans une coulée de lave solidifiée ; les trois autres se succéderaient grosso modo de 27 000 à 3 100 ans avant notre ère.
Le point qui fait briller les yeux : l’idée qu’au Paléolithique, époque où Homo sapiens sillonnait encore la planète en petits groupes de chasseurs-cueilleurs, une société aurait disposé du savoir-faire – et des bras – nécessaires pour sculpter des blocs rectangulaires, les empiler et façonner une pyramide. Dans la série à succès « À l’aube de notre histoire », diffusée sur une célèbre plateforme de streaming, ces blocs sont montrés comme les vestiges d’une civilisation ancienne oubliée, sorte de chaînon manquant entre grotte et gratte-ciel.
Pour le quidam, l’hypothèse est séduisante : si nos ancêtres gravaient déjà la pierre avec autant de précision, toute notre chronologie architecturale est à refaire. Cela rappelle ce voisin qui affirme avoir retapé seul sa maison de campagne ; sur le papier, c’est impressionnant, mais quand on regarde de plus près, on se demande où sont passés les permis de construire…
Le scepticisme des archéologues
C’est ici que les bémols entrent en scène. Comme le souligne la revue Nature, dater une couche géologique ne revient pas à qualifier un mur d’ouvrage humain : encore faut-il dénicher des traces d’activités – charbon de bois, artefacts, restes d’os travaillés – prouvant qu’une main habile est passée par là. Selon Bill Farley, archéologue à la Southern Connecticut State University, les échantillons de Gunung Padang n’offrent… rien de tel. Les niveaux les plus anciens paraissent naturels, et nul n’a retrouvé la moindre datation au radiocarbone sur des outils ou des foyers pour étayer l’histoire d’une construction volontaire.
Autre frein : le contexte paléolithique. Bâtir une pyramide suppose une logistique colossale : extraction de blocs, transport, organisation sociale. Or, à 27 000 ans, l’archéologie mondiale n’a encore repéré ni ferme ni village, encore moins d’État capable de mobiliser des centaines de travailleurs. C’est un peu comme croire qu’un enfant de maternelle vous programme une application mobile : possible en théorie, très improbable en pratique.
En attendant le verdict scientifique
Faute de consensus, la revue Archaeological Prospection a déclenché une procédure de réexamen éthique, un peu comme un juge demandant des pièces complémentaires avant de trancher. Les images spectaculaires de la colline resteront, mais la prudence règne : tant que des preuves matérielles solides ne sortent pas du sol – tessons, charbons, voire une rampe de chantier fossilisée – la « pyramide » de Gunung Padang demeurera un objet de débat.
Faut-il pour autant enterrer l’affaire ? Pas si vite. Les progrès techniques d’imagerie souterraine promettent des découvertes inattendues, et l’Indonésie regorge de sites encore inexplorés. Mais, comme aime à le rappeler l’UNESCO, chaque site extraordinaire exige une démarche ordinaire : sondages rigoureux, revues par les pairs, confrontation aux bases de données existantes.
Alors, mythe ou réalité ? Pour l’heure, la pyramide de 27 000 ans reste en équilibre entre rêve d’anciennes civilisations et réalité géologique. Mais si l’histoire de l’archéologie nous apprend une chose, c’est qu’il suffit parfois d’un éclat d’obsidienne ou d’un simple foyer carbonisé pour faire basculer la balance. D’ici là, gardons l’œil ouvert, la boussole réglée… et la pelle rangée jusqu’à nouvel ordre.