Passé un certain âge, on a parfois l’impression de vivre un remake linguistique de « Chute libre » : on descend l’escalier, on descend en pression, on descend à la cave… et le doute surgit : devrait-on dire j’ai descendu ou je suis descendu ? Si cette hésitation vous colle à la semelle comme un chewing-gum, rassurez-vous : même les plus chevronnés des grammairiens s’y reprennent à deux fois avant de trancher. Suivez le guide, on range les idées dans le bon panier.
Quand les auxiliaires s’inversent
Traditionnellement, les verbes de mouvement – monter, sortir, passer, descendre – se conjuguent avec l’auxiliaire être. Rien d’anormal à prononcer : « Je suis descendu trop bas » ou « Tu es monté sur la scène ». Et pourtant, au détour d’un roman réaliste ou d’une chanson enfantine, surgissent des tournures à contre-emploi : « Il a monté en grade », « Elle a passé le pont », « J’ai descendu dans mon jardin ». La première réaction est souvent de crier à la faute ; la seconde d’ouvrir son dictionnaire : surprise, c’est tout à fait recevable, à condition de respecter une nuance capitale.
Le rôle décisif du complément d’objet direct
La clé réside dans le complément d’objet direct – ce fameux COD qui sert parfois d’épouvantail aux collégiens. Lorsque le verbe de mouvement porte un COD, il devient transitif : l’action ne se contente plus d’exister ; elle s’exerce sur quelque chose. C’est le cas dans « J’ai descendu les valises » : l’effort porte sur « les valises », le COD. Même logique pour « Il a monté l’escalier » ou « Elle a passé la frontière ». En l’absence de COD, le verbe redevient intransitif et reprend son auxiliaire originel : « Je suis descendu du train », « Nous sommes passés par là ».
L’Académie française confirme cette bascule : l’auxiliaire avoir accompagne le résultat d’une action sur un objet, tandis que être signale le simple déplacement du sujet. D’un point de vue pédagogique, c’est le fameux test : quoi ? Si l’on peut poser la question « j’ai descendu quoi ? », alors avoir s’impose ; sinon, être reste roi.
Héritage des siècles passés
Cette alternance ne date pas d’hier. Dans les textes classiques, avoir apparaissait plus fréquemment pour marquer l’action accomplie, être soulignant l’état résultant : Balzac raconte qu’on « a traversé la ville » avant d’expliquer pourquoi on « est arrivé » trop tard. Le Trésor de la langue française rappelle d’ailleurs que les romans naturalistes du XIXᵉ abusaient volontiers de ces inversions pour injecter une touche d’oralité. Aujourd’hui, l’usage s’est globalement standardisé, mais la littérature, la chanson – de « Gentil coquelicot » à certains titres contemporains – et même la presse continuent de raviver ces formes parfois jugées « désuètes ».
Mémoriser la règle : quelques astuces de terrain
- Visualisez l’objet : si vous imaginez un paquet, une valise, un
pont, l’auxiliaire avoir fera surface naturellement.
- Posez la question magique
: Quoi ? Si la réponse vient sans préposition, vous tenez votre COD.
- Relisez vos courriels
: un correcteur ne détecte pas
toujours cette nuance ; mieux vaut vérifier.
- Invoquez la logique
: être traduit un changement d’état ou de lieu ;
avoir souligne une action achevée.
- Écoutez la radio : les journalistes, tenus à une norme claire,
offrent un excellent terrain d’entraînement.
Au fond, la grammaire n’est pas plus rigide qu’un escalier de bois : elle grince parfois, mais porte toujours. Garder en tête la petite gymnastique COD / pas COD suffit la plupart du temps à éviter les chausse-trappes. Et si votre oncle lance encore « J’ai descendu à la cave » pour chercher le vin, ne le corrigez pas trop vite : dans sa bouche, c’était peut-être bel et bien une descente… de bouteilles.
Merci pour cet éclaircissement très utile. Par contre, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous quand vous prenez la presse pour exemple. En effet, nous voyons parfois dans les petits encadrés apparaissant en bas du téléviseur lors des informations des erreurs inacceptables pour des journalistes. Certains hommes politiques ne sont pas en reste non plus.
Cordialement