C’est le rituel immuable de chaque été : maillots, lunettes de soleil… et quête du hâle parfait. Pourtant, malgré les avertissements répétés sur le cancer de la peau, beaucoup de Français continuent de s’exposer sans retenue. Entre les invitations familiales à la plage et les posts Instagram vantant le “bronze naturel”, arborer une peau dorée reste un gage de vitalité et de succès social.
Un siècle de basculements : du teint pâle au hâle généralisé
Pendant des siècles, la blancheur immaculée symbolisait l’aristocratie : qui travaillait dehors avait un teint hâlé, synonyme de labeur. Tout change au début du XXᵉ siècle, quand les vacances balnéaires se démocratisent. Coco Chanel popularise le teint ensoleillé après un séjour sur la Côte d’Azur, et les congés payés de 1936 transforment le bronzage en emblème de loisir et de liberté.
À partir des années 1960, la France aménage ses rivages pour retenir ses vacanciers, tandis que le bronzage de masse devient une religion estivale. C’est aussi à cette époque que le dermatologue américain Thomas B. Fitzpatrick établit, en 1975, une classification des types de peau et de leurs risques face aux ultraviolets. La prise de conscience des dangers ne survient réellement qu’au début des années 1990, avec l’introduction systématique des écrans solaires à haut indice (SPF 30, puis SPF 50) et le lancement des premières campagnes nationales de prévention dès 1996.
Un paradoxe alarmant : la prévention n’arrête pas l’augmentation des cancers
Malgré plus de vingt ans de messages de santé publique, le risque de mélanome reste plus présent que jamais : l’incidence de ce cancer cutané a été multipliée par trois en trente ans en France. En 2023, on comptait près de 18 000 nouveaux cas de mélanomes. Comment expliquer ce paradoxe ? D’abord, le bronzage est profondément ancré dans l’imaginaire collectif : un teint hâlé est la preuve qu’on a pleinement profité de ses vacances. Ensuite, les croyances sur les bienfaits du soleil (synthèse de vitamine D, amélioration de l’humeur) persistent, malgré les preuves scientifiques de ses dangers.
Soleil 365 jours par an : la menace ne se limite pas aux plages
Beaucoup pensent que le risque UV se cantonne à l’été et aux activités balnéaires. Or, le rayonnement solaire peut être tout aussi intense lors d’une randonnée ou d’une simple balade en ville au printemps. Un ami adepte des sorties forestières m’a raconté s’être brûlé lors d’un déjeuner en terrasse en mai, persuadé qu’il était hors saison.
Les réseaux sociaux, accélérateurs de tendance
Instagram, TikTok, Snapchat… Les influenceurs rivalisent de filtres “sun-kissed” et d’astuces bronzage. Dans cette course esthétique, chacun veut afficher son hâle le plus doré. Les images partagées sur les réseaux sociaux alimentent une compétition implicite : “Regardez comme j’ai bien profité !” Mais, dans un monde idéal, ces mêmes plateformes pourraient relayer les messages de prévention et leur responsabilité éthique serait engagée.
Un enjeu générationnel et climatique
Le défi reste avant tout culturel : face à la tradition du bronzage, les messages de prévention peinent à toucher les plus jeunes, convaincus que “le soleil, c’est la santé”. Reste à espérer que la génération des “enfants de la crème solaire” finisse par adopter de meilleures pratiques.
Enfin, l’augmentation des vagues de chaleur et l’intensification du rayonnement, conséquence du réchauffement climatique, pourraient jouer en faveur de comportements plus prudents. Dans les pays méditerranéens, où l’ombre et la sieste sont coutumières, on sait qu’il faut mériter le soleil : peut-être y trouverons-nous un modèle plus responsable.











