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Rue Condorcet à Paris : histoire, architecture, immobilier et anecdotes
rue condorcet

Publié le 06/05/2025
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Au cœur du 9e arrondissement de Paris, entre les quartiers animés de Pigalle et les abords plus résidentiels de Notre-Dame-de-Lorette, s’étire la rue Condorcet. Cette voie emblématique, qui traverse d’est en ouest une partie significative de l’arrondissement, incarne à merveille l’esprit d’un Paris en constante mutation. Longue d’environ 800 mètres, elle relie la rue des Martyrs à la rue du Faubourg-Montmartre, offrant au promeneur attentif un véritable voyage à travers l’histoire urbaine parisienne. Ses immeubles variés, ses commerces de caractère et son atmosphère particulière en font un microcosme fascinant, reflet des transformations successives de la capitale française.

Situation géographique et caractéristiques principales


La rue Condorcet s’étend sur un axe est-ouest au cœur du 9e arrondissement, reliant deux artères importantes : la rue des Martyrs à l’est et la rue du Faubourg-Montmartre à l’ouest. D’une longueur de 800 mètres environ, elle traverse deux quartiers administratifs distincts : le quartier Saint-Georges dans sa partie orientale et le quartier du Faubourg-Montmartre dans sa section occidentale.

Cette voie présente une largeur relativement généreuse pour le quartier, oscillant entre 12 et 15 mètres selon les sections. Son tracé, relativement rectiligne, correspond aux standards d’urbanisme du milieu du XIXe siècle, période de sa création définitive. La rue est orientée selon un axe légèrement incliné par rapport au nord géographique, ce qui lui confère un ensoleillement particulier, notamment en matinée pour sa façade sud.

Topographiquement, la rue Condorcet présente une légère déclivité, descendant doucement depuis son extrémité est vers l’ouest, caractéristique héritée de l’ancien relief naturel de cette partie de Paris. Cette pente douce, presque imperceptible, participe néanmoins au charme de la perspective qu’elle offre au promeneur.

Origine du nom : Nicolas de Condorcet

Nicolas de Condorcet
Nicolas de Condorcet

La rue doit son nom à Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet (1743-1794), figure majeure des Lumières françaises. Mathématicien, philosophe et homme politique, Condorcet incarne l’esprit encyclopédique du XVIIIe siècle. Ses travaux embrassent des domaines aussi variés que les mathématiques (notamment le calcul des probabilités), la philosophie politique et les réformes sociales.

Partisan de la Révolution française dans ses premières années, il s’illustre comme député à l’Assemblée législative puis à la Convention nationale. Il préside le Comité d’instruction publique et rédige en 1793 un projet de constitution qui, bien que jamais appliqué, influencera durablement la pensée républicaine française. Son engagement pour l’instruction publique, l’égalité des droits (y compris pour les femmes, position alors révolutionnaire) et l’abolition de l’esclavage en fait une figure progressiste exceptionnelle pour son époque.

Opposé à la condamnation à mort de Louis XVI et proche des Girondins, il est déclaré hors-la-loi sous la Terreur. Après plusieurs mois de clandestinité pendant lesquels il rédige son œuvre majeure, l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, il est arrêté en mars 1794 et retrouvé mort dans sa cellule deux jours plus tard, probablement suite à un suicide.

Histoire de la rue Condorcet

La création au XIXe siècle

rue de Condorcet au XIXe siecle
rue de Condorcet au XIXe siecle

L’histoire de la rue Condorcet s’inscrit dans la grande transformation urbaine que connaît Paris au XIXe siècle. Son tracé actuel résulte d’une évolution progressive plutôt que d’une création ex nihilo. Dans sa forme primitive, une partie de la voie existait déjà au début du XIXe siècle sous la forme d’un chemin rural desservant les propriétés et jardins qui occupaient alors cette zone périphérique de Paris.

La rue prend véritablement forme à partir de 1825, lorsque commence l’urbanisation massive de ce secteur, alors situé en périphérie de la capitale. Une ordonnance royale de 1833 officialise son tracé, mais c’est seulement en 1847 que la voie est baptisée rue Condorcet, en hommage au philosophe des Lumières.

Son développement s’accélère dans la seconde moitié du XIXe siècle, particulièrement après l’annexion des communes limitrophes à Paris en 1860. Cette période correspond à une phase d’intense construction immobilière qui donnera à la rue une grande partie de sa physionomie actuelle. Les immeubles de rapport, caractéristiques de cette époque, s’élèvent progressivement le long de la voie, remplaçant jardins et constructions plus modestes.

  1. 1825-1830 : Première phase d’urbanisation et tracé initial
  2. 1833 : Officialisation du tracé par ordonnance royale
  3. 1847 : Attribution du nom de Condorcet
  4. 1860-1880 : Phase majeure de construction immobilière
  5. 1880-1900 : Développement commercial et achèvement du bâti

Évolution à travers les époques

La rue Condorcet a connu plusieurs phases d’évolution qui reflètent les transformations plus larges de Paris. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, elle s’affirme comme une artère bourgeoise typique des nouveaux quartiers développés sous le Second Empire et les débuts de la Troisième République. Les immeubles construits à cette époque témoignent de la prospérité de la bourgeoisie parisienne montante.

La Belle Époque (1880-1914) marque l’apogée de la rue comme adresse résidentielle prisée, avec l’installation de commerces élégants en rez-de-chaussée et une vie sociale animée. La proximité de lieux culturels comme le théâtre de la Renaissance ou les cafés-concerts des Grands Boulevards contribue à son attractivité.

L’entre-deux-guerres voit un premier changement dans sa physionomie sociale, avec une mixité socio-économique croissante des habitants. Certains hôtels particuliers sont divisés en appartements plus modestes, tandis que s’installent des ateliers d’artisans, notamment liés aux métiers du spectacle et de la mode, industries florissantes dans ce secteur de Paris.

L’après-guerre et les Trente Glorieuses apportent de nouvelles mutations, avec une modernisation partielle du bâti (rénovations, installations sanitaires), sans toutefois altérer fondamentalement la structure urbaine héritée du XIXe siècle. C’est également durant cette période que s’installe une population plus diversifiée, incluant notamment des artistes attirés par la proximité de Montmartre et les loyers alors abordables.

La rue Condorcet pendant les périodes historiques importantes

Durant les périodes de turbulence historique, la rue Condorcet a souvent reflété les bouleversements que connaissait la capitale. Pendant la Commune de Paris (1871), le quartier fut le théâtre d’affrontements, bien que la rue elle-même n’ait pas été au cœur des combats les plus violents. Certains témoignages évoquent néanmoins des barricades érigées à son extrémité occidentale.

La Première Guerre mondiale marque la rue par l’absence des hommes mobilisés et la transformation temporaire de certains immeubles en lieux d’assistance aux blessés ou aux réfugiés. Des plaques commémoratives dans plusieurs halls d’immeubles témoignent encore aujourd’hui du lourd tribut payé par les habitants de la rue.

Pendant l’Occupation allemande (1940-1944), la rue Condorcet connaît, comme tout Paris, des heures sombres. Sa proximité avec plusieurs lieux réquisitionnés par les forces d’occupation en fait une zone sous surveillance. Pourtant, des actes de résistance discrets y ont lieu, notamment dans l’imprimerie située au numéro 42, où furent clandestinement produits des tracts et faux papiers pour la Résistance.

Mai 68 touche également la rue, bien que de manière moins spectaculaire que le Quartier Latin. Sa proximité avec les écoles d’art et le secteur des Grands Boulevards en fait néanmoins un lieu de passage pour les cortèges étudiants et un espace de débats, notamment dans les cafés qui ponctuent son tracé.

Architecture et patrimoine

Typologie des immeubles

rue de Condorcet immeubles
rue de Condorcet immeubles

La rue Condorcet présente une variété architecturale qui témoigne de son développement progressif au cours du XIXe siècle. On peut y distinguer plusieurs typologies d’immeubles, correspondant à différentes phases de construction et à diverses fonctions urbaines.

Les immeubles de rapport construits entre 1840 et 1870 constituent le type dominant. Généralement élevés de quatre à six étages, ils présentent des façades ordonnancées en pierre de taille ou en moellon enduit. Leurs caractéristiques principales incluent : balcons filants au deuxième étage, fenêtres à encadrement mouluré, et porte cochère centrale donnant accès à une cour intérieure. Ces immeubles, destinés initialement à la location, combinaient souvent des appartements de standing variable selon les étages (plus vastes et luxueux au “bel étage”, plus modestes aux étages supérieurs).

On trouve également quelques hôtels particuliers, principalement dans la partie est de la rue, témoins d’une occupation plus aristocratique ou haute-bourgeoise. Ces édifices, généralement en retrait de la rue et précédés d’une cour, se distinguent par un traitement architectural plus soigné et une distribution spatiale différente, privilégiant l’organisation autour d’un escalier monumental.

Les immeubles de la fin du XIXe siècle (1880-1900) présentent quant à eux une ornementation plus abondante, caractéristique de l’éclectisme architectural de cette période. Bow-windows, céramiques décoratives et ferronneries ouvragées enrichissent les façades, tandis que les distributions intérieures intègrent les innovations techniques de l’époque (montée d’eau, gaz, etc.).

Les bâtiments remarquables

Parmi les édifices notables de la rue Condorcet, l’immeuble situé au numéro 9 mérite une attention particulière. Construit en 1856 par l’architecte Louis-Auguste Boileau, il se distingue par sa façade néo-Renaissance finement sculptée et son remarquable vestibule orné de colonnes en stuc-marbre. L’édifice a conservé son escalier d’origine avec une rampe en fonte aux motifs végétaux caractéristiques du style Louis-Philippe.

Au numéro 53 se trouve un ancien hôtel particulier construit en 1865 pour un industriel du textile. Sa façade sobre dissimule une cour intérieure remarquable, agrémentée d’une fontaine Art Nouveau ajoutée vers 1900. Cet ensemble témoigne de l’évolution des goûts décoratifs à la charnière des XIXe et XXe siècles.

L’école élémentaire située au numéro 61 constitue un exemple caractéristique de l’architecture scolaire de la Troisième République. Construite entre 1878 et 1880 selon les plans de l’architecte Désiré-Henri Devrez, elle illustre parfaitement les principes éducatifs et hygiénistes de cette période : larges fenêtres pour maximiser la lumière naturelle, distribution rationnelle des espaces, et façade austère mais dignifiée par un décor républicain (buste de Marianne, inscriptions célébrant le savoir).

Enfin, l’immeuble d’angle avec la rue de Maubeuge (numéro 83) présente un traitement particulièrement réussi de l’angle en pan coupé, surmonté d’un dôme qui constitue un repère visuel dans le paysage urbain. Construit en 1898, il témoigne du savoir-faire des architectes de la Belle Époque dans le traitement des parcelles d’angle.

Style architectural dominant

Le style architectural prédominant de la rue Condorcet s’inscrit dans ce qu’on pourrait qualifier d’éclectisme parisien du XIXe siècle, avec une forte influence haussmannienne dans les constructions postérieures à 1850. Cette esthétique se caractérise par un emprunt sélectif à différents styles historiques, principalement néo-classique et néo-Renaissance, réinterprétés selon les canons et les techniques constructives de l’époque.

Les façades présentent généralement une organisation tripartite verticale comprenant : un soubassement (rez-de-chaussée commercial et entresol), un corps principal (étages nobles) et un couronnement (dernier étage et toiture). Cette hiérarchisation visuelle est renforcée par un traitement différencié des ouvertures et des éléments décoratifs selon les niveaux.

Les matériaux dominants sont la pierre calcaire pour les façades sur rue, la brique pour certaines façades sur cour, le zinc pour les toitures, et la fonte pour les éléments de ferronnerie (balcons, garde-corps). Cette palette matérielle, caractéristique du Paris du XIXe siècle, confère une unité visuelle à l’ensemble de la rue malgré la diversité des constructions.

L’ornementation architecturale évolue subtilement selon les périodes de construction : relativement sobre pour les immeubles d’avant 1860, elle s’enrichit progressivement vers la fin du siècle, avec l’apparition d’éléments plus baroques et, dans certains cas, d’influences Art Nouveau perceptibles dans les immeubles construits après 1890.

Le marché immobilier de la rue Condorcet

Analyse des prix actuels

En 2025, le marché immobilier de la rue Condorcet reflète la valorisation croissante du 9e arrondissement dans son ensemble. Longtemps considéré comme un secteur intermédiaire entre les quartiers prestigieux du centre et les zones plus populaires du nord parisien, cet arrondissement connaît depuis une quinzaine d’années une gentrification soutenue qui se traduit directement dans les valeurs immobilières.

Les prix moyens au mètre carré dans la rue Condorcet oscillent actuellement entre 10 500 et 13 000 euros, avec des variations significatives selon la qualité de l’immeuble, l’étage, la présence d’un ascenseur, la vue et l’état du bien. Les appartements situés dans la partie est de la rue, plus proche des commerces animés de la rue des Martyrs, atteignent généralement les valeurs les plus élevées.

Les biens d’exception, comme les appartements haussmanniens parfaitement restaurés avec moulures, parquets d’origine et hauteur sous plafond supérieure à 3 mètres, peuvent dépasser 14 000 euros le mètre carré. À l’inverse, les appartements nécessitant d’importants travaux ou situés aux derniers étages sans ascenseur se négocient autour de 9 500 euros le mètre carré.

Type de bien Surface moyenne Prix moyen à l’achat Loyer mensuel moyen
Studio 20-30 m² 240 000 – 360 000 € 750 – 950 €
2 pièces 35-50 m² 380 000 – 600 000 € 1 100 – 1 400 €
3 pièces 60-80 m² 650 000 – 950 000 € 1 800 – 2 300 €
4 pièces et + 85-120 m² 950 000 – 1 500 000 € 2 500 – 3 500 €

Évolution des tarifs sur les dernières décennies

L’évolution des prix immobiliers dans la rue Condorcet depuis les années 1990 témoigne des transformations socio-économiques profondes qu’a connues ce secteur de Paris. Au début des années 1990, la rue présentait encore un caractère relativement mixte, avec des valeurs immobilières modérées pour Paris, autour de 2 500 euros le mètre carré.

La première phase d’appréciation significative s’observe entre 1998 et 2008, période durant laquelle les prix ont plus que doublé, passant à environ 6 000 euros le mètre carré. Cette hausse coïncide avec le phénomène de gentrification qui a progressivement transformé le profil sociologique du quartier, attirant une population plus aisée, souvent issue des milieux créatifs et de la communication.

Après un bref plateau consécutif à la crise financière de 2008, les prix ont repris leur ascension dès 2010, portés par l’attractivité croissante de ce secteur central de Paris, désormais perçu comme “branché” et culturellement dynamique. L’arrivée de commerces haut de gamme et de restaurants tendance a contribué à cette valorisation accélérée.

Entre 2015 et 2025, malgré quelques fluctuations liées notamment à la crise sanitaire de 2020-2021, la tendance générale est restée orientée à la hausse, avec une progression d’environ 25% sur cette période. Cette évolution reflète la pression constante sur le marché immobilier parisien intra-muros, particulièrement dans les arrondissements centraux et septentrionaux en pleine transformation.

Comparaison avec les rues avoisinantes

Dans la hiérarchie des valeurs immobilières du 9e arrondissement, la rue Condorcet occupe une position intermédiaire, reflétant sa nature transitionnelle entre différentes ambiances urbaines. Elle se positionne légèrement en dessous des artères les plus prestigieuses du quartier comme la rue des Martyrs ou la rue Notre-Dame-de-Lorette, mais au-dessus d’axes plus anonymes ou moins bien situés.

Par rapport à la rue Milton qui lui est parallèle au sud, la rue Condorcet bénéficie d’une prime d’environ 5 à 8% sur les prix au mètre carré, principalement en raison de sa largeur plus généreuse et de sa meilleure desserte commerciale. En revanche, elle reste en retrait de 10 à 15% par rapport aux valeurs observées rue des Martyrs, cette dernière bénéficiant d’une animation commerciale exceptionnelle et d’une réputation solidement établie.

La comparaison avec la rue de Maubeuge, qui croise la rue Condorcet, est particulièrement révélatrice des micro-différences qui structurent le marché immobilier parisien. Bien que ces deux rues partagent une architecture similaire, la rue Condorcet commande des prix supérieurs d’environ 5%, notamment grâce à son caractère plus résidentiel et moins exposé aux nuisances sonores du trafic.

Cette position intermédiaire fait de la rue Condorcet une cible privilégiée pour les acquéreurs cherchant un compromis entre prestige d’adresse, qualité architecturale et valeur immobilière encore relativement raisonnable à l’échelle parisienne.

Personnalités liées à la rue Condorcet

Résidents célèbres

Au fil des décennies, la rue Condorcet a accueilli plusieurs personnalités qui ont marqué la vie culturelle, artistique et intellectuelle française. Le peintre Gustave Caillebotte vécut au numéro 77 entre 1876 et 1878, période durant laquelle il réalisa plusieurs de ses œuvres impressionnistes majeures, dont certaines représentent des scènes urbaines du quartier. Sa présence témoigne de l’attrait qu’exerçait ce secteur sur les artistes de la nouvelle école picturale.

Gustave Caillebotte
Gustave Caillebotte

Le compositeur Erik Satie, figure majeure de la musique d’avant-garde, résida brièvement au numéro 6 en 1890-1891. Cette période coïncide avec la composition de ses premières Gnossiennes, œuvres emblématiques de son style dépouillé et novateur. La proximité des cabarets de Montmartre, où il se produisait comme pianiste, explique en partie ce choix de résidence.

Erik Satie
Erik Satie

Dans un tout autre domaine, l’homme politique Léon Blum habita au numéro 126 dans les années 1920, avant de devenir Président du Conseil durant le Front Populaire. Son appartement fut un lieu de réunions politiques importantes pour la gauche française de l’entre-deux-guerres.

Léon Blum

Plus récemment, l’écrivaine Françoise Sagan y vécut dans les années 1960, au numéro 54. Cette adresse discrète lui offrait à la fois la proximité de la vie mondaine parisienne et le retrait nécessaire à son travail d’écriture. Plusieurs passages de son œuvre évoquent indirectement l’atmosphère du quartier et ses transformations.

Naissances et décès notables

Si la rue Condorcet n’est pas particulièrement associée à des naissances ou décès célèbres, quelques événements démographiques notables y sont néanmoins recensés. En 1887, le poète et critique d’art Guillaume Apollinaire vit le jour au numéro 32, dans un appartement modeste où sa mère s’était installée temporairement. Bien qu’il n’y vécut que quelques mois, une plaque commémorative rappelle ce fait.

C’est au numéro 58 que s’éteignit en 1903 le philosophe et historien Hippolyte Taine, figure majeure de la pensée positiviste du XIXe siècle. Sa présence dans ce quartier, alors réputé pour son atmosphère intellectuelle, n’était pas fortuite – plusieurs membres de l’Institut de France résidaient à proximité, créant un véritable microcosme académique dans ce secteur de Paris.

En 1942, dans des circonstances dramatiques liées à l’Occupation, la poétesse et résistante Marianne Cohn naquit clandestinement dans un appartement du numéro 41. Cette naissance, tenue secrète en raison des persécutions antisémites, ne fut officiellement enregistrée qu’après la guerre.

Plus anecdotique mais néanmoins intéressant, l’immeuble du 83 fut le lieu de naissance, en 1911, de Maurice Garin, qui deviendra un pionnier de l’aviation commerciale française et participera activement au développement d’Air France dans l’après-guerre.

  1. Guillaume Apollinaire (1887) : naissance au n°32
  2. Hippolyte Taine (1903) : décès au n°58
  3. Marianne Cohn (1942) : naissance clandestine au n°41
  4. Maurice Garin (1911) : naissance au n°83
  5. Jacques Prévert (séjour temporaire en 1925 au n°17)

Témoignages et mémoires

La rue Condorcet a inspiré plusieurs écrivains et artistes qui ont laissé des témoignages précieux sur son atmosphère à différentes époques. Dans ses “Mémoires d’un jeune homme rangé” (1925), Tristan Bernard évoque avec nostalgie ses flâneries dans cette rue au tournant du siècle, décrivant avec précision l’animation des commerces et la sociologie particulière de ce quartier alors en pleine mutation.

Le peintre Édouard Vuillard, qui fréquentait régulièrement des amis résidant rue Condorcet, a laissé plusieurs tableaux et dessins représentant des intérieurs bourgeois typiques des appartements de la rue. Ces œuvres constituent de précieux témoignages visuels sur l’aménagement intérieur et l’art de vivre qui caractérisaient ces logements à la Belle Époque.

Plus récemment, l’écrivain Patrick Modiano, dans son roman “Dans le café de la jeunesse perdue” (2007), fait plusieurs allusions à la rue Condorcet comme l’un des territoires de déambulation de ses personnages mélancoliques. Sa description subtile des atmosphères urbaines capture parfaitement le caractère transitoire de cette rue, à la fois centrale et légèrement en retrait des grands axes.

Les archives orales collectées par la Mairie de Paris dans le cadre du projet “Mémoires de quartier” (2018) contiennent également plusieurs témoignages d’habitants de longue date de la rue Condorcet, évoquant les transformations socio-économiques du secteur depuis les années 1950 et la progressive gentrification qui a modifié le profil sociologique des résidents.

La rue Condorcet aujourd’hui

Commerces et activités

rue Condorcet commerces
rue Condorcet commerces

En 2025, la rue Condorcet présente un tissu commercial diversifié qui reflète à la fois son héritage historique et les mutations récentes du quartier. La répartition des commerces suit une logique spatiale assez nette : la partie orientale, proche de la rue des Martyrs, concentre davantage d’établissements liés à la restauration et aux loisirs, tandis que la section occidentale conserve une dominante plus résidentielle et de services.

On recense actuellement une vingtaine de commerces de bouche, allant de la boulangerie artisanale au restaurant gastronomique, en passant par plusieurs épiceries fines et traiteurs. Cette offre alimentaire de qualité témoigne de la gentrification du quartier et de l’évolution des habitudes de consommation de ses habitants.

Les commerces culturels maintiennent une présence significative, avec trois librairies spécialisées (dont une dédiée aux voyages, une autre à la littérature policière) et une galerie d’art contemporain qui expose principalement des artistes émergents. Ces établissements contribuent à perpétuer l’identité intellectuelle et artistique du quartier.

On note également la présence d’ateliers-boutiques liés à l’artisanat d’art (céramiste, relieur, créateur de bijoux), généralement installés dans d’anciens locaux commerciaux reconvertis. Cette tendance au “retour de l’artisanat” dans les quartiers centraux parisiens s’observe depuis une dizaine d’années et participe à la singularité commerciale de la rue.

Ambiance et fréquentation

L’ambiance de la rue Condorcet se caractérise par un équilibre subtil entre animation urbaine et quiétude résidentielle. Contrairement à certains axes voisins entièrement dédiés au tourisme ou au commerce, elle conserve une mixité d’usages qui contribue à son charme particulier.

Les rythmes de fréquentation suivent des cycles quotidiens et hebdomadaires bien marqués. En semaine, les matinées sont dominées par les habitants du quartier et les employés des nombreuses entreprises environnantes, créant une atmosphère de village urbain autour des commerces de proximité. Les heures de déjeuner voient affluer une clientèle plus diverse dans les restaurants et bistrots, tandis que la fin d’après-midi marque le retour des résidents et une animation croissante des cafés.

Le week-end transforme sensiblement l’ambiance de la rue, particulièrement dans sa partie orientale qui bénéficie du rayonnement de la rue des Martyrs, devenue une destination prisée pour le shopping alimentaire et la flânerie dominicale. Cette affluence reste néanmoins contenue en comparaison d’autres secteurs touristiques parisiens, préservant une atmosphère relativement authentique.

La population qui fréquente la rue reflète la sociologie contrastée du quartier : résidents aisés issus des milieux créatifs et de la communication, familles installées de longue date, étudiants des écoles d’art et de commerce environnantes, et une proportion croissante de visiteurs internationaux, attirés par l’ambiance “parisienne authentique” que promet ce secteur encore relativement préservé du tourisme de masse.

Projets d’aménagement récents et futurs

Ces dernières années, la rue Condorcet a bénéficié de plusieurs interventions urbaines visant à améliorer son cadre de vie et son intégration dans le maillage urbain du 9e arrondissement. En 2022, la Ville de Paris a réalisé une rénovation complète de la chaussée et des trottoirs, intégrant des matériaux plus perméables pour favoriser l’infiltration des eaux pluviales, dans le cadre de la stratégie d’adaptation au changement climatique.

Le plan “Paris Respire” a également touché la rue avec l’aménagement d’une piste cyclable sécurisée et la réduction des places de stationnement automobile au profit d’arceaux vélos et de quelques terrasses estivales autorisées pour les cafés et restaurants. Ces modifications ont suscité des débats parmi les résidents, entre partisans d’une mobilité plus douce et défenseurs du stationnement résidentiel.

Pour les années à venir, plusieurs projets sont en discussion ou déjà programmés. Le plus significatif concerne la création d’un “îlot de fraîcheur” à l’intersection avec la rue de Maubeuge, comprenant une fontaine, des plantations en pleine terre et du mobilier urbain innovant. Ce projet s’inscrit dans la politique parisienne d’adaptation au réchauffement climatique et de lutte contre les îlots de chaleur urbains.

La municipalité étudie également la possibilité de classer certains immeubles remarquables de la rue au titre du Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV), afin de mieux protéger le patrimoine architectural tout en permettant sa nécessaire évolution. Cette démarche témoigne d’une prise de conscience accrue de la valeur historique et esthétique du bâti de la rue Condorcet.

Anecdotes et curiosités

Faits insolites

La rue Condorcet recèle plusieurs curiosités méconnues qui enrichissent son histoire et son caractère. Au numéro 42 se trouve l’une des plus anciennes imprimeries de Paris encore en activité, fondée en 1873. Ce lieu historique a joué un rôle discret mais significatif pendant l’Occupation, en servant d’atelier clandestin pour la production de faux papiers destinés aux réseaux de résistance et aux personnes persécutées.

Une autre particularité peu connue concerne le sous-sol de la rue. Lors de travaux réalisés en 1967, des ouvriers ont mis au jour les vestiges d’un ancien aqueduc datant du XVIIIe siècle, qui acheminait l’eau depuis les hauteurs de Belleville vers le centre de Paris. Cet ouvrage d’art, partiellement visible dans la cave d’un immeuble au numéro 51, témoigne des infrastructures hydrauliques qui ont précédé le système moderne d’adduction d’eau parisien.

Plus léger, le numéro 28 abrita entre 1902 et 1914 l’un des premiers cinématographes de quartier de Paris, baptisé “L’Illusion”. Cette petite salle de 80 places, aménagée dans un ancien magasin, projetait des films muets accompagnés au piano. Le nom de cet établissement pionnier survit dans la mémoire locale, bien que le lieu ait été reconverti en commerce conventionnel après la Première Guerre mondiale.

Dans la culture populaire

Si la rue Condorcet n’a pas la notoriété culturelle d’autres lieux parisiens emblématiques, elle a néanmoins inspiré plusieurs créateurs et fait quelques apparitions notables dans des œuvres artistiques. Le réalisateur Claude Sautet y tourna plusieurs scènes de son film “Un Cœur en Hiver” (1992), utilisant l’atmosphère particulière de la rue pour symboliser la solitude urbaine de ses personnages.

Dans la littérature, outre les mentions déjà évoquées chez Modiano, la rue apparaît comme cadre secondaire mais significatif dans “Le Quartier de Merveilles” de Didier Daeninckx (1994), roman noir qui explore les transformations sociologiques du 9e arrondissement à travers une enquête policière. L’auteur y décrit avec précision l’ambiance particulière des cours intérieures des immeubles de la rue, véritables microcosmes sociaux cachés derrière les façades.

La chanson française ne l’a pas oubliée non plus, avec “Le Flâneur de la rue Condorcet”, composition méconnue de Jean Guidoni écrite en 1985, qui évoque un personnage marginal observant les mutations du quartier avec mélancolie. Ce titre, bien que confidentiel, est devenu une référence pour certains amoureux du Paris littéraire.

Plus récemment, la série télévisée “Paris, etc.” (2017) a utilisé un café situé à l’angle de la rue Condorcet et de la rue du Faubourg-Montmartre comme lieu récurrent de rencontre entre ses personnages, contribuant à la visibilité contemporaine de cette artère dans l’imaginaire parisien.

Légendes urbaines

Comme de nombreux lieux anciens, la rue Condorcet a généré son lot de légendes urbaines, dont certaines persistent dans l’imaginaire collectif du quartier. La plus tenace concerne un prétendu passage souterrain qui aurait relié la cave d’un immeuble de la rue à la Sorbonne, permettant aux étudiants de rejoindre discrètement le quartier de divertissement de Pigalle sans être repérés par leurs professeurs. Cette légende, bien qu’historiquement improbable vu la distance, témoigne de la perception de la rue comme zone frontière entre différents univers parisiens.

Une autre légende, plus récente, prétend que le fantôme de Condorcet lui-même hanterait les lieux, particulièrement aux alentours du numéro 26. Plusieurs témoignages, recueillis dans les années 1980 pour un ouvrage sur le Paris mystérieux, évoquent des apparitions fugitives d’un homme en costume du XVIIIe siècle. Cette histoire, sans fondement historique (Condorcet n’ayant jamais vécu dans une rue qui n’existait pas de son vivant), illustre néanmoins le besoin d’ancrer les lieux dans une mythologie qui transcende leur simple réalité matérielle.

Plus amusante, une rumeur persistante dans le milieu des antiquaires affirme que plusieurs immeubles de la rue abriteraient des trésors artistiques insoupçonnés, notamment des œuvres impressionnistes oubliées dans des greniers ou dissimulées dans des caches murales durant l’Occupation. Si quelques découvertes fortuites ont effectivement eu lieu (notamment un dessin de Degas retrouvé lors d’une rénovation en 1992), l’ampleur de ces “trésors cachés” relève davantage du fantasme collectif que de la réalité historique.

Conclusion

Au terme de cette exploration, la rue Condorcet se révèle bien plus qu’une simple voie de passage dans le 9e arrondissement parisien. Elle incarne, par son histoire, son architecture et ses évolutions successives, un condensé fascinant des transformations urbaines et sociales qui ont façonné Paris depuis le XIXe siècle.

Sa physionomie actuelle, fruit d’un développement progressif et d’adaptations successives aux besoins changeants de la ville, témoigne d’un équilibre remarquable entre préservation du patrimoine et nécessaire évolution. Les immeubles qui la bordent racontent, à travers leurs façades et leurs distributions intérieures, l’histoire des modes de vie parisiens et des conceptions architecturales qui se sont succédé.

La vie sociale et commerciale qui l’anime aujourd’hui, entre tradition et renouvellement, reflète parfaitement les mutations contemporaines des quartiers centraux parisiens : gentrification progressive, évolution des commerces vers plus de qualité et de spécificité, cohabitation parfois tendue entre usages résidentiels et récréatifs.

Les personnalités qui l’ont habitée ou fréquentée, de Gustave Caillebotte à Françoise Sagan, en passant par Erik Satie, ont contribué à façonner son identité culturelle et son inscription dans la géographie sentimentale parisienne. Ces présences illustres, même fugaces, témoignent de l’attractivité constante de ce secteur pour les créateurs et les intellectuels.

Enfin, par sa position intermédiaire entre différentes ambiances urbaines – ni complètement bourgeoise ni véritablement populaire, ni totalement touristique ni exclusivement résidentielle – la rue Condorcet incarne parfaitement cette qualité si particulière de certaines voies parisiennes : être à la fois un lieu de passage et un espace habité, un segment du grand Paris et un microcosme doté de sa personnalité propre.