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Depuis quand Lyon est-elle française ?

Publié le 29/08/2022
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Lyon a été rattachée à la France à la suite d’un long processus enclenché au XIIIe siècle. Aucune date de rattachement ne fait consensus, puisque ce processus a été progressif. Lyon et le Lyonnais étaient, avant leur rattachement au royaume de France, des territoires de l’Empire (Saint-Empire), sous l’autorité de l’empereur des Romains (ou empereur du Saint-Empire). Après le partage de l’Empire carolingien décidé par le traité de Verdun de 843, Lyon se trouvait en effet dans les limites de la Francie médiane ou Lotharingie, puis dans le royaume d’Arles ou royaume de Bourgogne, qui fut intégré à l’Empire en 1032. Le Lyonnais était toutefois un territoire frontalier, très proche des terres dévolues à Francie occidentale, ancêtre de la France. En outre, et surtout, le centre du pouvoir impérial était très éloigné de la ville, et l’autorité de l’empereur était toute théorique. La réalité du pouvoir était aux mains, depuis le IXe siècle, de l’archevêque de la ville. Cette situation de fait passa dans le droit par la bulle d’or émise par Frédéric Barberousse en 1157, qui confirmait l’autorité politique de l’archevêque sur Lyon et le pays lyonnais. Ce texte fut confirmé en 1184. Au XIIe siècle, l’indépendance de l’archevêque était presque complète.

En plus d’être une ville d’Empire, Lyon entretenait des relations très étroites avec la papauté, qui y agissait comme sur ses terres. Le pape y avait organisé deux des trois conciles du XIIIe siècle (le premier en 1245 pour la déposition de Frédéric II, et le deuxième en 1274). Lyon occupait en effet une position centrale dans la Chrétienté, libre de fait du pouvoir impérial et proche du royaume de France qui pouvait servir de refuge en cas de conflit avec l’empereur. Au reste, en 1079, Grégoire VII avait accordé à l’archevêque la dignité de « primat des Gaules ».

Par convention, et à la suite d’une thèse de l’historien Pierre Bonasseux de 1874, l’intégration de Lyon au royaume de France est parfois datée de 1312, lorsque le dirigeant de la ville, l’archevêque Pierre de Savoie (de 1308 – 1332), perdit sa juridiction temporelle (son pouvoir en tant que souverain) au profit du roi de France, Philippe le Bel (1285 – 1314). Cependant, l’autorité royale était établie dans la ville depuis plus longue date à la faveur des conflits entre les notables de la ville (« les bourgeois »), l’archevêque et le chapitre de chanoines.

En 1137, Louis VII (1137 – 1180) reçut l’hommage du comte de Forez. En 1239, Saint Louis acheta le comté de Mâcon, qui rapprochait le domaine royal de Lyon. Le bailli de Mâcon, installé en 1259, intervint ainsi plusieurs fois en Lyonnais, jusqu’à ce que la papauté demande la fin de ces empiètements.

En 1271, après une vacance de cinq ans du siège épiscopal qui favorisa l’émergence d’un conflit local, les notables de la ville (cives) produisirent une déclaration, scellée avec le sceau de la ville, dans laquelle ils proclamèrent être « du ressort du roi », ce qui signifie qu’ils s’attribuaient le droit de lui présenter leurs appels. Le roi, Philippe III (1270 – 1285), accepta la demande, et dépêcha des officiers dans la ville ainsi qu’un « gardiateur », un officier chargé de veiller au respect des droits des particuliers. La juridiction de la ville était aux mains du roi. Cette demande fut toutefois invalidée par le Parlement de Paris. Mais le roi obtint mieux, en contraignant l’archevêque Pierre de Tarentaise (le futur pape Innocent V) à lui prêter hommage, en échange du départ des officiers royaux et la restitution de sa juridiction. Ainsi, l’archevêque de Lyon se plaçait symboliquement sous la protection du roi de France, qui devenait son suzerain.

Le successeur du Philippe III, Philippe le Bel (1284 – 1314), poursuivit sous son règne l’effort de pénétration du royaume à Lyon. Ainsi, après qu’un arbitrage pontifical a réglé un nouveau conflit entre l’archevêque et les chanoines en septembre 1290, les derniers récupérant un tiers de la juridiction, les bourgeois de la ville se tournèrent à nouveau vers le roi de France. Le roi leur offrit son soutien et profita de l’occasion pour réaffirmer les droits juridictionnels du royaume de France dans le Lyonnais, en ordonnant au bailli de Mâcon de recevoir les appels des sentences prononcées par l’archevêque ou par le chapitre. Philippe le Bel prit la ville « sous sa garde » le 4 mai 1292. Il déclara surtout que Lyon était située dans les limites royaume, et que les bourgeois étaient ses sujets qu’il avait le devoir de protéger. Il nomma un nouveau gardiateur. En 1294, le roi s’empara de deux possessions de l’Église, le château et le port de Condrieu, en arguant du fait que le chapitre de Lyon y offrait l’asile à des adversaires du roi.

Le pape Boniface VIII (1295 – 1303), qui était un ancien chanoine lyonnais, jeta l’interdit sur la ville, ce qui signifie que les cérémonies religieuses ne pouvaient y être tenues (il n’est levé définitivement qu’en 1304). En 1301, après la dégradation de ses relations avec le roi de France, il dénonça, entre autres, dans la bulle Ausculta, fili, la politique française à Lyon, et rappela que la ville n’était pas située dans les limites du royaume. Toutefois, l’avantage français était déjà trop grand, et le fut encore plus à l’avènement d’un pape d’influence française, Clément V (1305 – 1314), qui se fit d’ailleurs couronner à Lyon à la demande du roi, avant de s’installer en 1309 à Avignon. Deux actes diplomatiques pris par Philippe le Bel marquèrent l’avancée de la prise de du roi sur Lyon. La « Petite Philippine » confirmait à l’Église de Lyon la possession du comté de Lyon et de leurs droits, mais c’est le roi en tout que souverain qui l’accorde. La « Grande Philippine », acte plus long daté de septembre, organisait la juridiction de l’Église entre l’archêvéché et le chapitre, et rappelait surtout que celle-ci s’exerçait sous la supériorité du roi.

L’autorité royale était déjà bien établie sur Lyon lorsque intervint le transfert de 1312. Celle-ci faisait suite au refus de l’archevêque Pierre de Savoie, en janvier 1310, de prêter serment au roi lors d’un entretien avec Guillaume de Nogaret. Il se retrancha alors dans son château de Pierre-Scize, mais cette « rébellion » prit fin après un siège de trois mois par l’armée royale. Après le concile de Vienne, l’archevêque fut contraint d’« abandonner ses droits » dans une déclaration solennelle, en transférant sa juridiction et son « imperium » (son pouvoir judiciaire et politique) au roi, et fut envoyé en résidence surveillée en Île-de-France. Le chapitre cathédral fit de même huit jours plus tard. Mais ce transfert, qui ne changea pas la donne, n’eut lui-même rien de définitif, puisque huit ans plus tard, par la déclaration du 4 avril 1320, le roi transportait à l’archevêque la juridiction et ses revenus, charge bien lourde et peu rémunératrice pour les officiers royaux. L’archevêque devait prêter hommage au roi, qui conservait dans la ville des officiers, et la possibilité de recevoir les appels

La pénétration française avait été favorisée par la vacance du siège impérial après la fin du règne de Frédéric II en 1250, qui fut suivi d’un long « interrègne » jusqu’en 1273. L’empereur Henri VII de Luxembourg (1312 – 1313) s’adressa aux citoyens de Lyon comme à ses fidèles sujets, mais cette déclaration est sans conséquence.

La réunion de Lyon à la France n’entraîna pas de révoltes au XIVe siècle, mais des incidents entre l’archevêché et le roi. L’archevêque Charles III d’Alençon (1365 – 1375) se vit confisquer sa juridiction temporelle par Charles V (1364 – 1380) après avoir protesté contre les empiètements des officiers royaux et avoir excommunié le bailli. L’archevêque Philippe de Thurey (1389 – 1415) tenta lui aussi de résister au roi, avant de céder. Selon l’historien Bruno Galland, le poids du patriciat urbain (des bourgeois) et l’absence d’une véritable identité provinciale du Lyonnais facilitèrent son intégration au royaume.

Le rattachement de Lyon eut une grande valeur symbolique pour la royauté française. Celle-ci intégrait en effet en son sein un archevêché doté d’une dignité éminente, la primatie des Gaules, ces dernières étant identifiées à la France par la propagande royale. Le roi pouvait se poser, en quelque sorte, comme le chef d’une Église « nationale », l’Église gallicane.

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