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Débarquement de l’armée française en Algérie : 14 juin 1830

Publié le 06/08/2019 (m.à.j* le 27/03/2023)
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Le 14 juin 1830, l’armée française commence son débarquement en Algérie, territoire sous autorité d’un régent, le dey d’Alger, alors Hussein Dey (régent depuis 1818), gouvernant depuis Alger au nom de l’Empire ottoman. C’est le point de départ de la conquête de l’Algérie par la France. Le corps expéditionnaire français, sous commandement du comte de Bourmont (1773 – 1846), fort de 35 000 hommes, 4000 chevaux et 70 000 tonneaux de matériels (Rémi Monaque), chiffres considérables, transporté par une armada de 11 vaisseaux, 24 frégates, 8 bombardes, 55 petits bâtiments et 678 navires marchands (ainsi que 7 petits navires à vapeur), avait appareillé de Toulon le 25 mai, sous la direction de l’amiral Guy-Victor Duperré (1775 – 1846). Après une première arrivée le long des côtes algériennes le 31 mai, l’armada avait dû rebrousser chemin vers les Baléares du fait du mauvais temps pour revenir le 12 juin.

Le débarquement est effectué à Sidi-Ferruch, presqu’île située à une trentaine de kilomètres à l’ouest d’Alger. Ce choix suit les recommandations d’un colonel du génie français, Vincent-Yves Boutin (1772 – 1815), qui avait effectué des observations en Algérie au cours d’une mission d’espionnage pour Napoléon Ier (1804 – 1815) en 1808. Il avait jugé l’attaque directe d’Alger impossible. L’opération, dont la dimension logistique est bien préparée par le baron d’Haussez (1778 – 1854), ministre de la marine, est un succès. Elle ne rencontre pas de véritable résistance de la part de la Régence.

Après un affrontement à Staoueli le 19 juin (contre une armée de 30 000 hommes selon De Bourmont, 50 000 selon Charles-André Julien [Rapporté à Benjamin Stora]), et à Sidi-Khalef le 24 juin, les Français mettent en place leur dispositif de siège sur le fort de l’Empereur, qui couvre Alger au sud, le 3 juillet. Bombardé à partir du 4 juillet, puis dévasté par l’explosion d’une poudrière, il est évacué le même jour par les troupes de la Régence.

Le 5 juillet, Alger est prise. Le dey signe l’acte de reddition. Le 10 juillet, le dey est contraint d’embarquer pour Naples. Les membres des milices turques sont expulsées vers l’Asie mineure. 

 

Pourquoi l’intervention militaire en Algérie ?

14 juin 1830 expédition d'alger
Le débarquement à Sidi-Ferruch, Pierre-Julien Gilbert

La décision d’une intervention militaire contre la Régence d’Alger est vraisemblablement prise en janvier 1830 par le roi Charles X (1824 – 1830) et par le président du Conseil des ministres, Jules de Polignac (1780 – 1847).

Elle est en général expliquée par les contentieux commerciaux qui altéraient les relations entre la France et la Régence. Le dey avait cherché en 1819 a majorer la redevance annuelle qu’il touchait pour les « concessions d’Afrique », privilèges commerciaux français dans la région de Bône (Annaba), notamment pour la pêche au corail à La Calle du Massacarès, récupérés en 1817. Il reproche en outre à la France de ne pas lui avoir remboursé des prêts faits sous le Directoire (1795 – 1799) par l’intermédiaire de deux commerçants juifs de Livourne, Joseph Cohen-Bacri et Michel Busnach, pour l’achat de blé algérien. La France, qui ne veut pas honorer cette dette, temporise, ce qui donne lieu à un incident diplomatique, « l’affaire du coup d’éventail », en avril 1827 : au cours d’un entretien avec le consul de France Pierre Deval (1758 – 1829), le dey perd patience et lui assène un coup de chasse-mouches. La France tente plusieurs fois de réparer cette injure. Mais en août 1829, La Provence, navire de guerre français qui quitte le port d’Alger sous pavillon parlementaire, est canonné par le dey.

Le gouvernement français aurait trouvé là l’occasion de mener une politique extérieure prestigieuse. La France cherche alors à retrouver son statut de grande puissance et à casser son isolement diplomatique né de la défaite de 1815. Elle intervient ainsi en Espagne en 1823 contre les forces libérales pour rétablir Ferdinand VII (1808 – 1813 – 1833) sur le trône, mais dirige surtout ses efforts contre l’Empire ottoman, en soutenant la politique d’expansion russe et en participant à la guerre d’indépendance grecque (bataille de Navarin en 1827, expédition de Morée, etc.). L’intervention lui donnerait l’occasion d’affirmer son influence en Algérie, avec laquelle le commerce était prospère au XVIII, et de peser en Méditerranée face à l’Angleterre. En outre, la conquête des « côtes barbaresques » pouvait être auréolée de l’objectif de libération de chrétiens réduits en esclavage au cours des activités de piraterie de la Régence, qui en tirait un revenu conséquent.

L’intervention en Algérie s’expliquerait aussi par des motifs de politique intérieure. Charles X, hostile aux concessions libérales, gouverne sans majorité à la Chambre des députés avec Polignac (depuis août 1829), un ultra-royaliste, ce qui le réduit à l’impuissance. Le gouvernement est enfermé dans un conflit avec l’opposition parlementaire, qui culmine par une dissolution de la Chambre le 16 mai 1830, puis une convocation pour de nouvelles élections le 23 juin et 3 juillet. Polignac aurait ainsi eu besoin du prestige d’une victoire militaire dans l’entre-deux pour renforcer sa position face à l’opposition. La nouvelle est connue le 9 juillet, trop tard pour empêcher la victoire des partisans de la prérogative parlementaire.

Cependant, selon David Todd, l’intervention de l’Algérie pourrait aussi et surtout s’expliquer comme projet colonial. En effet, l’expédition d’Alger aurait été la réalisation d’une idée formulée dès le début du XIXe siècle, que l’on retrouve notamment chez Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (1754 – 1838), dans un Essai sur les avantages à retirer de colonies nouvelles dans les circonstances présentes (1797) ou chez Polignac dans un rapport de septembre 1814, pour doter la France d’établissements sur la côte algérienne. La France pourrait y pratiquer une agriculture intensive, notamment de coton, et compenser les pertes américaines.

Ce projet de colonisation de l’Algérie se retrouve d’ailleurs chez des auteurs libéraux, bien que les « libéraux » de la Chambre des députés, aient été, par tactique politique, opposés à l’intervention en Algérie. Ainsi, l’économiste Jean-Baptiste Say (1767 – 1832), par ailleurs industriel du coton, dans la seconde édition de son Traité d’économie politique (1814), prévoit la fondation de nouvelles colonies dans des contrées voisines de l’Europe. Le Suisse Jean de Sismondi (1773 – 1842), écrit, lui, que :

Le royaume d’Alger ne fera pas seulement une conquête ; ce sera une colonie, ce sera un pays neuf sur lequel le surplus de la population et de l’activité françaises pourra se répandre. […] Les vieilles nations de l’Europe, tout comme celles de l’antiquité, ont besoin de débouchés où elles puissent verser tout l’excédant de population et de vie que crée en elles la civilisation.

De l’expédition d’Alger, 1830 

Les résultats médiocres de la politique d’influence la France de la Restauration en Algérie renforcent la virtualité du projet colonial. Un rapport du ministère des Affaires étrangères 1824 préconisait ainsi d’établir la souveraineté française autour du comptoir colonial dont elle dispose à La Calle, en soulignant le potentiel agricole d’une telle installation coloniale, et en faisant valoir les nouveaux avantages commerciaux et territoriaux que la France pourrait tirer de la Régence. En 1826, le consul Deval fait fortifier les magasins français à La Calle pour y manifester la souveraineté française, ce qui alarme le Dey. Cette opération serait la véritable raison de la montée des tensions entre la Régence et la France. Le Dey aurait d’ailleurs reproché à Deval ces fortifications après l’avoir frappé avec son chasse-mouches. En octobre 1827, le ministre de la Guerre Aimé Marie Gaspard de Clermont-Tonnerre (1779 – 1865) propose dans un rapport la conquête de l’Algérie, en la justifiant par les quantités de blé et plantes coloniales que la France pourrait y produire. D’autres rapports, à la veille de l’expédition, plaident pour la colonisation, notamment de la bande allant de Stora à la régence de Tunis, dont les terres sont fertiles.

 

Vers la colonisation de l’Algérie

Si le projet français en Algérie n’est pas clairement défini par ses initiateurs, la prise d’Alger est suivie, de fait, par une colonisation. Le pays est progressivement conquis par l’armée française, au cours de campagnes violentes où se multiplient les exactions. La conquête fait face à une forte résistance indigène, dont la plus remarquable est celle de l’émir Abd el-Kader (1808 – 1883), qui ne dépose les armes que le 23 décembre 1847, ce qui n’arrête pas les résistances. La IIe République fait en 1848 de l’Algérie un territoire français constitué de trois départements, administrés par des préfets, alors que les colons européens sont 100 000. 

L’Algérie moderne n’accède à l’indépendance que le 5 juillet 1962, après une guerre de sept ans contre la France (1954 – 1962). 

 

À lire

  • Rémi Monaque, Une Histoire de la marine de guerre française
  • Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour et Sylvie Thénault dans Histoire de l’Algérie à la période coloniale, 1830-1880 : la conquête coloniale et la résistance des Algériens
  • Benjamin Stora, Histoire de l’Algérie coloniale (1830-1954)
  • David Todd, Retour sur l’expédition d’Alger : les faux-semblants d’un tournant colonialiste français, Monde(s) 2016/2 (N° 10)