Charlemagne (~ 742 â 814), du latin Carolus Magnus, alias Charles Ier dit le Grand. Par convention, cet article parlera le plus souvent de Charlemagne. DĂšs PĂ©pin de Herstal, maire du palais de
La jeunesse de Charlemagne

Charlemagne est nĂ© Charles en 742 (voire 747 ou 748), dans lâOise ou dans lâAisne, fils aĂźnĂ© de PĂ©pin III, dit PĂ©pin le Bref, et de Berthe, fille de Charibert, comte de Laon. Lâhistorien Robert Folz suppose que son instruction, Ă lâimage de celle de tous les laĂŻcs, fut nĂ©gligĂ©e. Mais on ne peut exclure que son pĂšre lâait formĂ© au gouvernement des hommes.
La donation de Pépin

Le 28 juillet 754, le pape Ătienne II vint sacrer PĂ©pin Ă Saint-Denis. Charles, ainsi que Carloman, reçurent aussi lâonction du souverain pontife. Par ce sacre, Ătienne II reconnut lâavĂšnement des Carolingiens et la relĂ©gation de ChildĂ©ric III, dernier des MĂ©rovingiens, dans un couvent. Cet Ă©change de bons procĂ©dĂ©s permet au pape de se placer sous la protection des Carolingiens. La papautĂ© produisit alors un document apocryphe, la donation de PĂ©pin, selon lequel ce dernier se serait engagĂ© Ă crĂ©er les Ătats pontificaux. Ce nâest pas la seule tentative de la papautĂ© dâaffirmer son autonomie par rapport au pouvoir temporel, comme en tĂ©moigne la fameuse donation de Constantin.
Le partage du royaume entre Charlemagne et Carloman

Les Mérovingiens, suivant la coutume des Francs, partageaient leurs royaumes entre leurs fils. à sa mort en septembre 768, Pépin ne dérogea pas à la rÚgle. Le 9 octobre, les deux frÚres furent couronnés à Noyon.
- Charles reçut lâAustrasie avec ses dĂ©pendances germaniques (Frise occidentale, Hesse, Franconie, Thuringe), la majeure partie de la Neustrie et lâAquitaine ;
- Carloman reçut, quant à lui, la Provence, la Bourgogne, la partie sud de la Neustrie, la Septimanie et la Souabe.
Leurs rĂ©sidences Ă©taient proches lâune de lâautre : Charles rĂ©sidait Ă Noyon, Carloman Ă Soissons.
La mésentente de Charlemagne et Carloman
Les deux frĂšres Ă©taient placĂ©s dans une situation qui favorisa leur rivalitĂ©. Les efforts de Berthe, leur mĂšre, Ă©chouĂšrent Ă les rĂ©concilier. AprĂšs le mariage de Charles avec une fille de Didier, le roi des Lombards, Carloman se trouva isolĂ©. En 769, Charlemagne acheva la conquĂȘte de lâAquitaine, sans lâaide de son frĂšre pourtant sollicitĂ©.
La mort de Carloman
Coup du sort : Carloman mourut jeune, en 771. Il nây eut pas de guerre fratricide. Charles rĂ©pudia sa femme et sâimposa sur les terres de son frĂšre dĂ©funt, se plaçant Ă la tĂȘte de la Francie.
Charlemagne : grand conquérant
Le grand conflit entre les Saxons et les Francs commença en 772. Ces derniers, païens, posaient un problÚme de sécurité pour les marches du royaume des Francs par leurs attaques et leurs pillages. Charlemagne entama une campagne de représailles.
Charlemagne, roi des Lombards
Mais, en 773, une nouvelle menace, Charlemagne dut parer une menace. Le pape Hadrien (r. 772-795) lâappela Ă lâaide face Ă la menace reprĂ©sentĂ©e par le roi des Lombards, Didier. Pour le roi des Francs, cette intervention fut lâoccasion dâimposer son rĂšgne en Italie du Nord, mais aussi dâĂ©carter dĂ©finitivement la menace reprĂ©sentĂ©e par la prĂ©sence des fils de Carloman Ă la cour lombarde. AprĂšs avoir franchi les Alpes, Charlemagne sâempara de Pavie aprĂšs un long siĂšge, soumit son adversaire et se proclama, en 774, roi des Lombards. Les Francs intervinrent Ă trois autres reprises, en 776, en 780 et en 786, pour y consolider leur domination.
La guerre de Charlemagne contre les Saxons

La guerre fut longue, en raison de la rĂ©sistance de certains chefs saxons, comme Widukind. NĂ©anmoins, la DiĂšte de Paderborn, en 777, posa les premiers fondements de lâĂglise de Saxe. Ce conflit est Ă©maillĂ© de massacres, comme celui de Verden en 782, qui coĂ»te la vie Ă plusieurs milliers de Saxons. Widukind dĂ©pose les armes quâen 785, avant de se convertir au christianisme Ă Attigny.
En 793, les Saxons se révoltÚrent, entraßnant une longue instabilité dans certaines régions. Pour supprimer tout risque de soulÚvement, les Francs entamÚrent une politique de déportation dans leur Empire.
Le conflit contre les Maures
Au VIIIe siĂšcle, la pĂ©ninsule ibĂ©rique Ă©tait presque entiĂšrement sous domination musulmane. La diffĂ©rence religieuse nâempĂȘcha pas les Ă©changes diplomatiques : en 778, certains chefs arabes firent appel Ă Charlemagne contre lâĂ©mir de Cordoue. Charlemagne entreprit, dans les annĂ©es 770, la conquĂȘte de la pĂ©ninsule, animĂ© peut-ĂȘtre par la volontĂ© dây rĂ©installer le christianisme. Ses armĂ©es prirent Pampelune et Saragosse, mais ne poursuivit pas plus loin la conquĂȘte. Les attaques des montagnards vascons au moment de la traversĂ©e des PyrĂ©nĂ©es fournirent la trame de la Chanson de Roland. Cette chanson de geste de XIIe siĂšcle raconte la mort de Roland, comte de la marche de Bretagne, en dĂ©fendant lâarriĂšre-garde de lâarmĂ©e de Charlemagne.
Charlemagne tira peut-ĂȘtre les leçons de son Ă©chec espagnol. La pĂ©ninsule ibĂ©rique Ă©tait trop Ă©loignĂ©e des bases de son pouvoir militaire, dâautant quâil y manquait dâalliĂ©s. LâEst, la Saxe, parut peut-ĂȘtre ĂȘtre un terrain plus favorable Ă la « dilatation » du royaume.
Frise, BaviÚre et Bénévent
La Frise orientale est annexĂ©e Ă lâĂtat franc. La BaviĂšre de Tassilon aprĂšs la prise d âAugsbourg en 787, et la rĂ©pression des soulĂšvements.
Cette pĂ©riode est marquĂ©e par des efforts de rĂ©organisation du royaume. En 781, lâItalie lombarde et lâAquitaine, deux provinces aux particularismes marquĂ©s, devinrent des royaumes subordonnĂ©s. Ses deux fils, PĂ©pin et Louis, furent placĂ©s Ă leurs tĂȘtes.
La suprémetatie francque faut aussi imposée au duc de Bénévent, Arigis.
SuccĂšs de Charlemagne contre les Avars
Entre 791 et 796, trois campagnes victorieuses contre les Avars, Ă©tablis en Hongrie actuelle, permirent Ă Charlemagne dâannexer de nouveaux territoires, entre lâEnns et le Wienerwald. Le chef des Avars, Toudam, reçut le baptĂȘme Ă Aix-la-Chapelle. Les principautĂ©s avars, au-delĂ de cette rĂ©gion, devinrent vassales des Francs.
DerniÚres entreprises notables, une escadre fut envoyée aux Baléares en 798 et Barcelone fut occupée en 801.
Lâempire de Charlemagne

Aux environs de 800, la pĂ©riode de conquĂȘte de Charlemagne est terminĂ©e. LâEmpire carolingien est fait. Il recouvrait la majeure partie de lâEurope chrĂ©tienne, de la mer du Nord Ă lâAdriatique, de lâElbre Ă lâĂbre.
Le sacre impérial de Charlemagne

Les conquĂȘtes permirent Ă Charlemagne de prĂ©tendre Ă une dignitĂ© supĂ©rieure Ă celle de roi des Francs. Renonçant Ă lâitinĂ©rance de ses prĂ©dĂ©cesseurs, il se choisit une capitale oĂč il fit bĂątir sa rĂ©sidence, le palais et la chapelle dâAix-la-Chapelle, qui devaient ĂȘtre des rĂ©pliques de ceux de Constantinople, oĂč rĂšgne lâEmpereur romain dâOrient. Son trĂŽne reproduit celui de Salomon, le plan octogonal de la chapelle palatine prĂ©figure celui de la JĂ©rusalem nouvelle.
25 décembre 800 : couronnement impérial de Charlemagne
Charlemagne profita des conflits qui opposaient le pape LĂ©on (r. 795 â 816), placĂ© sous sa protection, et lâaristocratie romaine, pour intervenir directement sur les territoires du pape. LâEmpire byzantin, engluĂ© dans des conflits internes, ne pouvait intervenir. La querelle des iconoclastes et le scandale liĂ© Ă lâavĂšnement dâune femme Ă la tĂȘte de lâĂtat (IrĂšne) dĂ©tournaient son attention de Rome.
Tel PĂ©pin le Bref son pĂšre, Charlemagne se pose en protecteur de lâĂglise. Le 23 dĂ©cembre 800, Ă Rome, une assemblĂ©e Ă©mit le vĆu que Charlemagne prĂźt le titre dâempereur. Le 25, jour de NoĂ«l, LĂ©on III lui apposa la couronne. AprĂšs la cĂ©rĂ©monie, le pape effectua le rituel de la proskynĂšse devant le nouvel empereur, ce qui signifie quâil se prosterna devant lui. Cependant, le pape, qui entendait placer le pouvoir spirituel en amont du pouvoir temporel, couronna Charlemagne avant que lâassemblĂ©e ne lâacclame. La prĂ©sence de deux ambassadeurs du patriarche de JĂ©rusalem, lâun du mont des Oliviers, de rite latin, lâautre du monastĂšre de Mar Saba, de rite grec, donna une portĂ©e universelle Ă lâĂ©vĂ©nement. Toute la ChrĂ©tientĂ© Ă©tait virtuellement prĂ©sente lorsque Charlemagne devint empereur.
La donation de Constantin
La papautĂ©, si elle consentit Ă lâĂ©lĂ©vation de Charlemagne Ă la dignitĂ© dâempereur, nâentendait pas pour autant se subordonner Ă lui. Pour assurer son indĂ©pendance, elle Ă©labora ce qui devint lâun des plus fameux faux de lâhistoire : la donation de Constantin, Costitutum Constantini. Ce faux raconte le retrait de lâempereur Constantin de Rome par respect pour le pape. Constantin aurait donnĂ© au pape les provinces occidentales et aurait fait de lui un individu semblable Ă lâempereur en lui attribuant certains insignes, des vĂȘtements dâapparat, un diadĂšme, le phrygium, haut bonnet blanc pointu devenant la tiare, le manteau de pourpre, le globe et lâaigle.
Par ce faux, la papautĂ© voulut inciter les dirigeants Ă imiter la conduite sur celle de Constantin. Au Latran, palais des papes dâalors, une mosaĂŻque reprĂ©sentait Constantin investi par le Christ et le roi des Francs investi par Saint Pierre, le premier pape. La domination politique trouvait donc sa source dans lâĂglise selon la papautĂ©.
Charlemagne insatisfait de son sacre
Selon Ăginhard, biographe de lâempereur, le rĂŽle jouĂ© par LĂ©on III dans le sacre, ainsi que lâĂ©vocation des Romains Ă la place des Francs auraient mĂ©contentĂ© Charlemagne. Mis devant le fait accompli par le pape, Charlemagne ajusta sa position. Il changea notamment la titulature impĂ©riale. Il Ă©tait « Auguste, empereur grand et pacifique » tout en prĂ©cisant avoir Ă©tĂ© couronnĂ© âpar Dieuâ et gouvernait car âroi des Francs et des Lombardsâ. Aucune mention de lâintercession du pape nâĂ©tait faite.
En outre, Charlemagne abandonna mĂȘme les rĂ©fĂ©rences Ă Rome, peut-ĂȘtre pour apaiser les relations avec Byzance lors de la paix quâil conclut avec elle. LâEmpire byzantin Ă©tait en rĂ©alitĂ© lâEmpire romain dâOrient. Les Byzantins se nomment eux-mĂȘmes Romains.
En 813, Charlemagne apposa lui-mĂȘme le diadĂšme sur la tĂȘte de son fils Louis, sans le concours dâun ecclĂ©siastique.
Le gouvernement de Charlemagne sur son Empire

Légitimer la dynastie carolingienne : vassalité et christianisme
Le premier souci de Charlemagne fut de renforcer sa lĂ©gitimitĂ© Ă gouverner les Francs. En effet, son pĂšre, PĂ©pin le Bref, avait franchi le Rubicon en Ă©cartant nommĂ©ment la famille MĂ©rovingienne du pouvoir. Les ducs et potentats locaux avaient cherchĂ© Ă profiter de la mort de PĂ©pin pour rĂ©cupĂ©rer leur autonomie. Ă lâavĂšnement de Charlemagne, la position de la famille carolingienne Ă la tĂȘte des Francs nâĂ©tait pas totalement lĂ©gitimĂ©e. Associer les Ă©lites locales au pouvoir Ă©tait donc inĂ©vitable. Deux outils furent employĂ©s Ă cette fin : la vassalitĂ©, qui bĂ©nĂ©ficiait des conquĂȘtes, et lâassociation avec lâĂglise.
La guerre permit en effet de nouvelles conquĂȘtes. Ceux qui y participent pouvaient espĂ©rer rĂ©cupĂ©rer leur part du butin. Les meilleurs guerriers se firent un nom, acquirent des terres ou purent obtenir une charge intĂ©ressante. Guerres et redistributions permirent dâassurer la fidĂ©litĂ© des troupes. Charlemagne mobilisait lâost Ă presque chaque printemps de son rĂšgne.
LâEmpereur Ă Aix-la-Chapelle

RĂ©sidant dans le palais dâAix-la-Chapelle, Charlemagne renonça Ă lâitinĂ©rance de ses prĂ©dĂ©cesseurs. Sa prĂ©sence concrĂšte ne manifestait plus le pouvoir sur les terres placĂ©es sous son autoritĂ©. Tels empereurs romains, il se fait reprĂ©senter par des comtes qui formaient un rĂ©seau administratif de prĂšs de 700 circonscriptions.
Les plus puissants des laĂŻcs formaient autour de Charlemagne les « champs de mai », des assemblĂ©es qui devaient prĂ©parer les opĂ©rations militaires, mais aussi dĂ©libĂ©rer des affaires les plus importantes pour lâEmpire.
LâEmpire de Charlemagne, un Empire chrĂ©tien
Si la puissance militaire restait le principal outil de lĂ©gitimation du pouvoir carolingien, elle se mettait en branle pour remplir un objectif supĂ©rieur : lâĂ©tablissement du royaume du Christ sur Terre. LâEmpire de Charlemagne sâinscrivait dans la continuitĂ© de celui de Constantin, le premier empereur chrĂ©tien, et de celui de ThĂ©odose. La mission religieuse de lâempereur Ă©tait semblable Ă celle du Christ. Ses conquĂȘtes, et lâĂ©vangĂ©lisation qui suivit, ouvrirent la perspective du salut Ă de nouveaux peuples. Lâunification religieuse devint dâailleurs pour les clercs la seule unitĂ© qui vaille : Charlemagne soumet et christianise, pour Ă©tendre le rĂšgne dâune Ăglise unie. LâEmpire Ă©tait conçu par lâĂglise comme son bras armĂ©.
La réforme de la justice
Charlemagne Ă©tait le grand ordonnateur dâun Empire qui prĂ©pare son peuple au salut. La justice Ă©tait donc un attribut fondamental du souverain dans la perspective dâorganiser une sociĂ©tĂ© chrĂ©tienne, reflet dâun ordre et dâune justice supĂ©rieurs. Vers 780, Charlemagne promulgua une grande rĂ©forme de la justice. Elle rĂ©duisit le nombre de tenues de cours judiciaires Ă trois par an. Les hommes libres, qui devaient assister Ă ces assises que le comte prĂ©sidait dans sa circonscription, virent la portĂ©e de leurs charges rĂ©duite.
Cette rĂ©forme donna aussi naissance Ă un corps de juges spĂ©cialisĂ©s, les Ă©chevins. Ces derniers avaient pour rĂŽle de proposer la sentence, son application Ă©tant la prĂ©rogative des comtes. La mise en application rĂ©elle de cette rĂ©forme sembla ĂȘtre une tĂąche difficile pour Charlemagne. En tĂ©moignent les multiples rappels Ă lâordre adressĂ©s aux Ă©chevins dans les capitulaires
Charlemagne rĂ©habilita une procĂ©dure de droit romain disparue Ă lâĂ©poque mĂ©rovingienne : la procĂ©dure inquisitoire. Un juge pouvait se saisir lui-mĂȘme dâun dĂ©lit, enquĂȘter, instruire et, le cas Ă©chĂ©ant, punir. Le juge caroligien Ă©tait lui aussi lâagent de la volontĂ© divine de justice. Sous les MĂ©rovingiens, seule la procĂ©dure accusatoire existait. Dans ce dernier systĂšme, pour que condamnation il y ait, il faut accusation. Câest une simple justice de compensation, plus empirique. Certains crimes pouvaient rester impunis.
LâĂglise, ciment de lâEmpire de Charlemagne

VĂ©ritable Christ en mission, Charlemagne sâappuyait sur lâĂglise pour soutenir la structure de son Ătat. Les Ă©vĂȘques et les abbĂ©s prirent une part active Ă lâadministration. Les terres appartenant aux Ă©glises Ă©taient sour leur administration. ĂvĂȘques et comtes se surveillaient dans les citĂ©s. Charlemagne organisa, en outre, lâĂ©vangĂ©lisation des rĂ©gions conquises.
Une politique de construction de lieux de culte fut menĂ©e, Ă la gloire du pouvoir de leur ordonnateur. La basilique de Saint-Denis fut agrandie. Lâoratoire de Germingny-des-PrĂ©s est un des rares tĂ©moignages existant aujourdâhui de lâeffort de construction de cette Ă©poque. Les laudes royales, plaçaient Charlemagne au premier rang des mortels : le Christ, Marie, les archanges et toute lâarmĂ©e divine Ă©taient appelĂ©s en soutien Ă son entreprise divine.
Au reste, Ă partir de Charlemagne, la titulature royale sâenrichit de la mention gratia Dei rex (roi par la grĂące de Dieu).
Charlemagne, un législateur
Charlemagne rĂ©gnait sur une multiplicitĂ© de peuples dont les mĆurs et les coutumes divergeaint. Cette diversitĂ© sâaccrut avec les nouvelles conquĂȘtes. Pour affirmer sa suprĂ©matie, Charlemagne fit mettre Ă lâĂ©crit les rĂšgles juridiques de chaque peuple. Il en devient donc le garant. Ainsi, les lois coutumiĂšres des Chamaves, des Frisons, des Thuringiens et des Saxons furent mises en forme Ă lâĂ©crit. La loi salique fut elle aussi réécrite.
Par les capitulaires, Charlemagne lĂ©gifĂ©rait pour tout lâEmpire. Elles Ă©taient employĂ©es pour les normes les plus importantes. Les capitulaires Ă©taient des textes composĂ©s de chapitres diffĂ©rents, dâoĂč leur nom. Elles abordaient des questions juridiques, de morale, elles Ă©voquaient les dĂ©cisions du pouvoir central et ses rĂšglements. Par la cĂ©lĂšbre capitulaire De villis (des grands domaines), Charlemagne exposait en 70 chapitres un programme de dĂ©veloppement de la gestion de la production agricole des domaines royaux. Ce fut peut-ĂȘtre une rĂ©action Ă la grande famine de lâhiver 792-793.
On compila aussi le droit romain, droit de rĂ©fĂ©rence pour un Ătat qui cherchait Ă sâinscrire dans la continuitĂ© de lâEmpire romain.
Le complot de Pépin le bossu
PĂ©pin le Bossu, fils de Charlemagne, servit de dirigeant de circonstance Ă un soulĂšvement contre Charlemagne Ă lâhiver 792-793. En consĂ©quence, PĂ©pin fut claustrĂ© comme moine. LâĂ©chec de cet Ă©pisode tĂ©moigne probablement de la lĂ©gitimitĂ© acquise par la nouvelle dynastie.
LâEmpire carolingien, un Ătat faible ?
La thĂšse de lâhistorien belge François Louis Ganshorf (1895 â 1980), selon laquelle Charlemagne nâavait pas les moyens de construire un Ătat centralisĂ© et efficace, a longtemps fait autoritĂ©. La vassalitĂ©, un des principaux outils de pouvoir de Charlemagne, aurait favorisĂ© le morcĂšlement de lâautoritĂ© au profit de potentats locaux. Ces derniers auraient Ă©tĂ© des freins Ă la constitution par Charlemagne dâĂtat impĂ©rial effectif. En outre, il aurait manquĂ© Ă Charlemagne des fonctionnaires bien formĂ©s et lettrĂ©s. Des historiens, comme Bruno DumĂ©zil, remettent aujourdâhui en cause cette vision : lâadministration romaine aurait survĂ©cu sous diffĂ©rentes formes jusquâau IXe siĂšcle. Au-delĂ de ces dĂ©bats, il semble avĂ©rĂ© que les capitulaires de Charlemagne nâĂ©taient, le plus souvent, pas suivies de rĂ©alisations concrĂštes.
Les missi dominici
Que tout le peuple sache que les missi ont Ă©tĂ© Ă©tablis pour que quiconque nâaura pu, par la nĂ©gligence ou lâincurie du comte, se faire rendre justice, quâil puisse dâemblĂ©e leur dĂ©fĂ©rer son affaire et obtenir dâeux justice.
Ainsi Louis le Pieux, héritier de Charlemagne, définit-il le rÎle des missi dominici.
Charlemagne crĂ©a lâinstitution des missi dominici, ses reprĂ©sentants directs chargĂ©s de faire respecter sa volontĂ©. Ce sont des comtes ou des Ă©vĂȘques envoyĂ©s par Charlemagne pour une mission spĂ©cifique. Leurs attributions variaient selon le contexte. Bien que reprĂ©sentants directs de lâautoritĂ© de Charlemagne, ces hommes Ă©taient choisis parmi les hommes les plus puissants de la rĂ©gion dâadministration. Le pouvoir ne pouvait donc se passer de la collaboration de lâaristocratie locale.
Les voies de communication dans lâEmpire de Charlemagne
Les voies de communication firent lâobjet de toute lâattention du pouvoir carolingien, car essentielles pour contrĂŽler cet immense empire. Les anciennes voies romaines Ă©taient ainsi entretenues, ainsi que les ponts, canaux et relais hĂ©ritĂ©s de lâĂ©poque impĂ©riale. Ă lâest du Rhin, lĂ oĂč lâEmpire romain nâavait pĂ©nĂ©trĂ© que peu profondĂ©ment, un travail de crĂ©ation de routes est entrepris. En Saxe, un dispositif original est inventĂ© : les hommes libres (les notables) devaient ravitailler les messagers. En Ă©change, ils pouvaient exploiter des terres fiscales. Cet Ă©change de bons procĂ©dĂ©s a laissĂ© sa trace dans la langue : le latin paraveredus, cheval de poste, est devenu Pferd en allemand, et palefroi en français.
La dĂ©fense de lâempire carolingien : les marches
Pour dĂ©fendre ses frontiĂšres terrestres, Charlemagne crĂ©a le systĂšme des marches. Ces fiefs Ă©taient des territoires frontaliers Ă vocation dĂ©fensive. Ils furent placĂ©s sous lâautoritĂ© dâun comte de la marche (marchio, Markgraf ou marquis). Le rĂŽle du marquis Ă©tait essentiel : administrer des populations encore mal soumises. Ainsi, les marches correspondent aux pays nouvellement conquis. La marche saxonne englobait la Nordalbingie pour faire face aux Danois. Une autre marche faisait face aux Avars, de lâest de la BaviĂšre au Wienerwald.
Des marches pouvaient se superposer Ă des comtats ordinaires, quand la proximitĂ© de populations susceptibles de se soulever lâimposait. Le marquis sâoccupait donc de la dĂ©fense du territoire. La marche de Bretagne, par exemple, entre Rennes, Nantes et Angers, avoir pour rĂŽle de contenir les Bretons dâArmorique, susceptibles de soulĂšvement. Selon la mĂȘme idĂ©e, une marche de Toulouse a Ă©tĂ© créée.
LâĂtat franc est cependant vulnĂ©rable sur ses façades maritimes. Charlemagne prescrivit de fortifier les littoraux de la mer du Nord et de la Manche contre les raids danois, premiĂšres alertes du futur pĂ©ril normand (« viking »).
La lettre et le diplĂŽme

Charlemagne communiquait par lettre et diplĂŽme. LâautoritĂ© des diplĂŽmes Ă©tait renforcĂ©e par la prĂ©sence du sceau et du monogramme. Les lettres, rapides Ă produire et Ă copier, Ă©taient lues Ă haute voix pour diffuser virtuellement la parole de lâempereur dans tout lâEmpire.
La monnaie

Les écrits
Des chroniques du rĂšgne de Charlemagne ont Ă©tĂ© produites dans la mĂȘme idĂ©e. Comme lâa montrĂ© lâhistorien autrichien Helmut Reimitz, les Annales du royaume des Francs rĂ©affirment en permanence la royautĂ© de Charles. Ces textes Ă©taient lus Ă haute voix dans les monastĂšres, mais aussi dans les lieux de rassemblement des les Ă©lites locales.
Le moine Paul Diacre, dans les Gestes des Ă©vĂȘques de Metz, donna une illustre ascendance aux Carolingiens, les Troyens, bannissant des mĂ©moires les MĂ©rovingiens.
5. Charlemagne et les affaires extérieures
Les conquĂȘtes de Charlemagne firent de lâempereur un acteur majeur et prestigieux de son temps. Ses relations avec les souverains anglais, comme Offa de Mercie, sont attestĂ©es. Autre exemple du prestige de son rĂšgne : en 798, Alphonse II de Galice vint Ă lâEmpereur et lui proposa de lutter contre lâislam.
Charlemagne et le califat abbasside de Haroun ar-Rachid

Câest une des dimensions les plus impressionnantes de lâhistoire de la diplomatie carolingienne : les bonnes relations qui sâinstaurĂšrent entre lâEmpire carolingien et le califat abbasside de Haroun ar-Rachid. Pourtant, elles nâavaient rien de naturel : le projet impĂ©rial est profondĂ©ment chrĂ©tien. Charlemagne et Haroun ar-Rachid avaient en effet un ennemi commun : lâĂ©mirat omeyyade de Cordoue. Pour Charlemagne, câest une puissance qui limite sa politique dâexpansion . Pour Haroun ar-Rachid, câest une dangereuse survivance de lâancienne dynastie Omeyyade, renversĂ©e par les Abbassides auxquels il appartient.
Abbul Abbas, lâĂ©lĂ©phant de Charlemagne

Ainsi, en 797, une ambassade carolingienne composĂ©e de Lantfried, Sigismond et le Juif Isaac part pour Bagdad afin de demander un Ă©lĂ©phant pour la mĂ©nagerie de Charlemagne. Cette ambassade revint en 801, avec le Juif Isaac seul et, surtout, avec lâĂ©lĂ©phant de Charlemagne : Abul Abbas. Celui-ci le suivra jusquâĂ la mort. Lâambassadeur rapporta aussi une horloge Ă roue et, surtout, les clĂ©s du Saint-SĂ©pulcre.
Lâactivisme du patriarche de JĂ©rusalem
Il faut cependant relativiser la portĂ©e de ces relations. Elles sâexpliquent surtout par lâactivisme du patriarche de JĂ©rusalem, Georgios, alors soumis Ă Haroun ar-Rachid. Georgios, isolĂ©, cherchait de nouvelles ressources financiĂšres. Sous pouvoir musulman depuis 638, son patriarcat Ă©tait loin de la protection de Byzance. Bien que protĂ©gĂ©s par le statut de la dhimma en Ă©change du paiement dâun impĂŽt, nombre de chrĂ©tiens Ă©taient spoliĂ©s et les conversions se multipliaient.
Peut-ĂȘtre en accord avec Haroun ar-Rachid, il envoya, avant mĂȘme le retour de lâambassade carolingienne, un moine en ambassade auprĂšs de Charlemagne pour lui livrer les reliques du Saint-SĂ©pulcre. En Ă©change, Charlemagne envoya des prĂ©sents pour les lieux saints.
Le renforcement de la légitimité chrétienne de Charlemagne
Georgios obtint donc un financement carolingien. Charlemagne, lui, mis Ă profit le prestige que lui apportait son lien avec le Saint-SiĂšge de JĂ©rusalem pour renforcer son image dâEmpereur chrĂ©tien. Il fonda un monastĂšre et un hĂŽpital pour les PĂšlerins en Palestine. Surtout, Charlemagne put se poser en vĂ©ritable concurrent de lâEmpire de Constantinople. Lorsque Charlemagne fut sacrĂ© empereur en 800, deux ambassadeurs venus du patriarcat de JĂ©rusalem Ă©taient alors prĂ©sents. Ces deux ambassadeurs Ă©taient deux moines, lâun du mont des Oliviers, de rite latin, lâautre du monastĂšre de Saint-Sabas, de rite grec. La prĂ©sence de ces deux moines donna une portĂ©e universelle au sacre impĂ©rial de Charlemagne. Toutes les Ă©glises furent ainsi les tĂ©moins virtuels de cet avĂšnement.
Un bilan nĂ©gatif pour les chrĂ©tiens dâOrient
Ces relations renforcĂšrent la lĂ©gitimitĂ© de Charlemagne. Elles furent assez importantes pour quâĂginhard parle en ces termes de lâambassade de 802 â 806 :
Non content dâacquiescer Ă toutes les demandes quâils [les envoyĂ©s de Charlemagne] lui prĂ©sentaient, il [ar-Rachid] consentit Ă placer sous le pouvoir de Charles le lieu sacrĂ© et salutaire et fit accompagner les envoyĂ©s francs sur le chemin du retour par une ambassade chargĂ©e pour leur souverain de prĂ©sents considĂ©rables â tissus, aromates et autres richesses des pays dâOrient.
Une deuxiĂšme ambassade fut envoyĂ©e en 807. Mais nulle source arabe nâen atteste. Du cĂŽtĂ© abbasside, ces Ă©changes diplomatiques ne semblĂšrent pas revĂȘtir la mĂȘme importance que pour Charlemagne. La situation des chrĂ©tiens dâOrient ne sâamĂ©liora pas de maniĂšre durable. Ă la mort dâHaroun ar-Rachid, de nouveaux troubles Ă©clatĂšrent Ă JĂ©rusalem.
Charlemagne et lâEmpire byzantin

Avec lâEmpire byzantin, les rapports furent plus complexes. En 781, il fut question dâun mariage entre Rothrude, une des filles de Charlemagne, et lâempereur Constantin VI. Les ambitions de Charlemagne en sur lâItalie du sud dĂ©gradĂšrent les relations. Pour Byzance, cette rĂ©gion Ă©tait de son ressort exclusif. En consĂ©quence, IrĂšne, lâimpĂ©ratrice-rĂ©gente, nâinvita pas lâĂglise franque au IIe concile ĆcumĂ©nique de NicĂ©e en 787.
Charlemagne sâimmisça au reste dans la querelle des images qui secouait Byzance. Les Libri Carolini condamnĂšrent la politique religieuse des Byzantins et voulurent rĂ©pondre « au synode qui sâest tenu dans les rĂ©gions de la GrĂšce et dont le but est dâadorer stupidement les images ». Les Libri Carolini poursuivirent sur un autre terrain lâoffensive contre lâEmpire byzantin. CâĂ©tait en effet lâoccasion pour lâempire de Charlemagne de sâaffirmer comme le seul Empire Ă mĂȘme de mener le peuple Ă©lu, câest-Ă -dire le peuple chrĂ©tien, oĂč quâil habite, vers son salut. Ainsi, ils tentĂšrent de dĂ©ligitimer le concile NicĂ©e en arguant que lâimpĂ©ratrice IrĂšne Ă©tait une femme. Or une femme ne pourrait prendre des dĂ©cisions pour lâensemble du monde chrĂ©tien.
Finalement, en 797, la paix est faite entre IrĂšne et Charlemagne. Le chroniqueur ThĂ©ophane rapporta mĂȘme le projet dâunion entre IrĂšne et Charlemagne. Mais IrĂšne fut renversĂ©e en 802.
La « Renaissance carolingienne »

Charlemagne donna une impulsion Ă©nergique au dĂ©veloppement des arts et des lettres. Cette impulsion fut assez remarquable pour que certains historiens aient inventĂ© au XIXe siĂšcle lâexpression âRenaissance carolingienneâ : ainsi, le rĂšgne des Carolingiens aurait Ă©tĂ© un temps de savoirs et de lumiĂšres, contrastant avec celui des MĂ©rovingiens, plus sombre.
Comme lâhistorien Michel Sot, on peut parler de de politique de la culture. Ce fut en effet une politique, toute tournĂ©e vers un objectif clair : celui dâorganiser un Empire qui se devait de mener le peuple vers le salut. Il fallait donner une consistance Ă lâEmpire chrĂ©tien et donner des armes au clergĂ©, le premier des âservices publicsâ. Sa mission Ă©tait fondamentale : encadrer le peuple chrĂ©tien, lâinstruire et prier Ă son intention.
Charlemagne lâinventeur de lâĂ©cole ?

La capitulaire dâAix-la-Chapelle de 789, lâAdmonition gĂ©nĂ©rale, pose les bases de cette Renaissance. Au chapitre 72, Charlemagne exigea des clercs et des moines quâils se distinguent par leur conduite et leurs propos. Des Ă©coles devaient en outre instruire les garçons dans tous les monastĂšres et les Ă©vĂȘchĂ©s (de lĂ la lĂ©gende de « Charlemagne inventeur de lâĂ©cole »). Mais il ne faut pas sây tromper, les Ă©coles devaient former un personnel religieux de qualitĂ© pour amĂ©liorer lâadministration de lâEmpire.
Les apports étrangers à la Renaissance carolingienne

Cette politique culturelle se nourrit dâapports Ă©trangers. Paul Diacre arriva de Lombardie en 780. Ce moine bĂ©nĂ©dictin a Ă©tĂ© formĂ© Ă la cour des comtes de Frioul et des rois lombards dans les canons de la culture antique : grammaire, droit et langue grecque. Il fut lâauteur dâune Histoire des Lombards. Ă la demande de Charlemagne, il rĂ©digea une grammaire et un recueil dâhomĂ©lies des pĂšres de lâĂglise.
De tous les savants entourant Charlemagne, Alcuin est sĂ»rement le plus cĂ©lĂšbre. Originaire de York, câest, pour Ăginhard, â lâhomme le plus savant qui fut alorsâ. On lui connaĂźt en effet 70 ouvrages et plus de 360 lettres. AprĂšs sa rencontre avec Charlemagne, il devint le directeur de son acadĂ©mie, installĂ©e dans le palais dâAix-le-Chapelle : lâĂ©cole palatine.
Dâautres savants vinrent du monde wisigothique, câest-Ă -dire lâactuelle pĂ©ninsule ibĂ©rique. Isidore de SĂ©ville, avant lâavĂšnement des Carolingiens, avait produit au dĂ©but du VIIe siĂšcle une grande encyclopĂ©die rĂ©sumant les savoirs antiques, les Ătymologies. ThĂ©odulf, un Wisigoth, devint Ă©vĂȘque dâOrlĂ©ans en 798 et abbĂ© du monastĂšre de Fleury. Son Ćuvre poĂ©tique, thĂ©ologique et comme correcteur de la Bible est de premiĂšre importance.
Les disciplines de la connaissance : trivium et quadrivium

Un savant doit sâatteler Ă lâĂ©tude :
- du trivium : la grammaire, la rhétorique et la dialectique ;
- du quadrivium : l âarithmĂ©tique, la gĂ©omĂ©trie, lâastronomie et la musique.
Ce sont autant de connaissances à acquérir pour les appliquer à la recherche de la connaissance par excellence : celle de Dieu.
- La grammaire est la plus importante des disciplines. Câest la science du langage, celle de la langue latine. Les savants carolingiens restaurent une langue latine classique, codifĂ©e par les grammairiens du IVe siĂšcle comme Donat. Cette langue devint la langue savante du Moyen Ăge et de lâĂ©poque moderne.
- La littĂ©rature permet dâĂ©tudier des auteurs qui ont bien maniĂ© la langue. MĂȘme les paĂŻens sont Ă©tudiĂ©s : CicĂ©ron pour la prose, Virgile pour la poĂ©sie.
- La perspective du salut chrĂ©tien reste cependant lâhorizon de toute Ă©tude. La patristique est une rĂ©fĂ©rence privilĂ©giĂ©e des savants carolingiens. JĂ©rĂŽme, Ambroise ou Augustin, ainsi que EusĂšbe de CĂ©sarĂ©e ou Orose, auteur dâune Histoire contre les paĂŻens, sont des auteurs de rĂ©fĂ©rence.
- Les mĂ©thodes de grammaire doivent conduire Ă lâexĂ©gĂšse. Ă cette Ă©poque, les traductions latine de la Bible en circulation ne sont pas unifiĂ©es. Charlemagne demande Ă Alcuin et Theodulf de les corriger pour arriver Ă un texte unique. Alcuin privilĂ©gia les traductions de JĂ©rĂŽme du IVe siĂšcle. Cette bible devient la bible adoptĂ©e par lâuniversitĂ© de Paris au XIIIe siĂšcle, puis le premier livre imprimĂ© au XVe que lâon connaĂźt aujourdâhui sous le nom de Vulgate.
LâĂ©laboration des livres manuscrits

Tout ce programme a nĂ©cessitĂ© lâĂ©laboration de livres. On en a conservĂ© un nombre considĂ©rable. 1800 manuscrits pour les sept premiers siĂšcles de notre Ăšre, et 7000 pour la seule pĂ©riode carolingienne, entre 750 et 900. On estime que 50 000 ouvrages pouvaient ĂȘtre en circulation. Ces livres Ă©taient rĂ©unis dans de grandes bibliothĂšques. Ainsi, 250 manuscrits Ă©taient conservĂ©s, en 831, dans la grande abbaye de Saint-Riquier, lâune des plus importantes.
Ces manuscrits Ă©taient souvent des copies dâautres manuscrits. Le risque dâaccumulation dâerreurs Ă©tait grand. Dans lâAdmonition gĂ©nĂ©rale de 789, Charlemagne demanda Ă ce que les manuscrits ne soient recopiĂ©s que par des scribes expĂ©rimentĂ©s. La prĂ©sence dâerreurs Ă©tait grave, surtout pour la Bible, car elles pouvaient compromettre le salut : les priĂšres erronĂ©es risquaient dâĂȘtre incomprĂ©hensibles pour Dieu.
Lâemploi du parchemin sâest gĂ©nĂ©ralisĂ©. FabriquĂ© Ă partir de peau de mouton ou de peau de veau, le vĂ©lin, il est plus rĂ©sistant et lisse que le papyrus. Mais câĂ©tait un matĂ©riau onĂ©reux. Pour rĂ©aliser une grande Bible, il fallait environ 300 moutons. Le parchemin Ă©tait aussi un bon support pour la peinture. Cette discipline connu un vĂ©ritable essor Ă cette Ă©poque : lettres ornĂ©es, peintures reprĂ©sentant des Ă©vangĂ©listes ou monarques, etc. Les reliures, en cuir ou en mĂ©taux prĂ©cieux, Ă©taient trĂšs travaillĂ©s et ornĂ©es de pierreries et de plaques dâivoire sculptĂ©es.
En parallĂšle, une nouvelle Ă©criture apparaĂźt progressivement : la minuscule caroline. Elle fut Ă lâorigine de nos caractĂšres dâimprimerie : les imprimeurs humanistes au XVe siĂšcle la rĂ©utilisĂšrent.
Lâunification du chant religieux : le chant grĂ©gorien

Le chant grĂ©gorien est le chant liturgique de lâĂglise catholique. Il se caractĂ©rise par une grande Ă©galitĂ© de ton. Charlemagne dĂ©clara en 789 :
Pour lâensemble du clergĂ© : quâil apprenne Ă la perfection le chant de Rome et quâil cĂ©lĂšbre lâoffice conformĂ©ment [âŠ] Ă ce quâavait ordonnĂ© de faire notre pĂšre, le roi PĂ©pin, dâheureuse mĂ©moire, quand il supprima le chant gallican.
Toutefois, ce chant venu de Rome fut mĂ©langĂ© Ă des chants gallicans (celui des chrĂ©tiens de Gaule), si bien que lâon parle de chant romano-gallican. Ces chants romains furent nommĂ©s en lâhonneur de GrĂ©goire Ier le Grand, pape de 590 Ă 604, en souvenir de son Ćuvre de rĂ©formateur. Du fait de la multiplication des chants, on dĂ©veloppa les neumes, des signes de notation musicale qui palier les problĂšmes de mĂ©morisation.
La question du culte des images
Les ChrĂ©tiens de lâOccident intervinrent sous Charlemagne dans la querelle des images qui agitait lâEmpire dâorient. Se fondant sur les Ă©crits des pĂšres de lâĂglise, notamment une lettre de GrĂ©goire Ă lâĂ©vĂȘque Serenus de Marseille ils dĂ©finirent une voie moyenne : pas dâinterdiction des images comme chez les musulmans et les juifs, pas dâadoration non plus comme chez les Byzantins.
La fin de lâEmpire de Charlemagne

La divisio regnorum
La vision franque du pouvoir faire du souverain le propriĂ©taire de lâĂtat. Le royaume devenu Empire devait donc ĂȘtre partagĂ© entre les hĂ©ritiers de lâEmpereur. La divisio regnorum de 806 rĂ©partit lâEmpire entre les trois fils de Charlemagne, PĂ©pin, Louis et Charles. Les trois frĂšres sâengagĂšrent Ă rester associĂ©s, pour ne pas disloquer lâEmpire. Charles et PĂ©pin moururent cependant prĂ©maturĂ©ment, ce qui donna un sursis Ă lâEmpire, qui revenait intĂ©gralement Ă Louis.
Le rĂšgne de Louis le Pieux
Louis le Pieux (r. 814 â 840) est associĂ© au trĂŽne dĂšs 813. Ă son accession au pouvoir en 814, il est formĂ© Ă lâexercice du pouvoir. Il en outre un tempĂ©rament trĂšs religieux. Ordonnateur dâun empire chrĂ©tien dont il doit mener le peuple au salut, il sentait probablement la nĂ©cessitĂ© de protĂ©ger cet ensemble du morcellement. En tĂ©moigne, lâordinatio imperii de 817, qui proclama empereur Lothaire, le fils aĂźnĂ© de Louis. Ă PĂ©pin et Louis le jeune, les deux frĂšres de Lothaire, Ă©churent respectivement les titres de roi dâAquitaine et roi de BaviĂšre. LâItalie revint en lot Ă Bernard, neveu de Louis le Pieux. Les royaumes nâavaient de royaume que le nom : ils Ă©taient plutĂŽt des comtats autonomes intĂ©grĂ©s au sein de lâEmpire, sur des marches oĂč les populations Ă©taient susceptibles de se rebeller.
Lâeffondrement
Cet ensemble sâeffondra rapidement. En 823, Judith, la seconde Ă©pouse de Louis le Pieux, mit au monde un quatriĂšme fils. Lothaire refusa un Ă©ventuel rĂ©amĂ©nagement de lâhĂ©ritage pour prendre en compte ce nouvel arrivĂ©. Il rassembla autour de lui une coalition hĂ©tĂ©roclite, composĂ©e des seigneurs dĂ©sireux de retrouver leur autonomie et de partisans de lâunitĂ© de lâEmpire, en majoritĂ© des clercs. PĂ©pin et Louis le jeune rejoignirent Lothaire. Louis le Pieux est cependant abandonnĂ© par ses soutiens en 833 au Ă lâoccasion de lâĂ©pisode du « champ du Mensonge », devant lâarmĂ©e de Lothaire. Il abdiqua. Mais les fils se divisĂšrent, si bien que PĂ©pin et Louis rĂ©tablirent leur pĂšre dans ses droits.
AprĂšs la mort de PĂ©pin en 839 et de Louis le Pieux en 840, Louis le jeune, devenu Louis le Germanique, et Charles, sâalliĂšrent contre Lothaire pour le battre Ă la bataille de Fontenay-en-Puisaye en 841. Ils jurĂšrent en 842, Ă Strasbourg, de sâaider mutuellement. La cĂ©rĂ©monie de serment dut ĂȘtre rĂ©citĂ©e en langue romane par Louis et en thiois (ancien allemand) par Charles car elle Ă©tait publique et devait ĂȘtre comprise par lâassemblĂ©e. Le serment de Strasbourg fut le premier document Ă©crit connu de langue romane.
Le traitĂ© de Verdun : la fin de lâEmpire de Charlemagne

En aoĂ»t 843, le traitĂ© de Verdun entĂ©rina la division de lâEmpire carolingien. Charles obtint les terres de lâOuest, Louis obtint les terres Ă lâest du Rhin sauf la Frise, et Lothaire un territoire partant de la mer du nord jusquâĂ lâItalie, comprenant Aix-la-Chapelle et Rome. Lothaire conserva le titre prestigieux dâempereur, bien que le territoire sur lequel il rĂ©gnait effectivement Ă©tait limitĂ©.
LâhĂ©ritage de Charlemagne

Charlemagne, pĂšre de la France ?
Il paraĂźt difficile de dater la naissance de la France Ă lâavĂšnement de Charlemagne. Les Allemands, les Belges, les Luxembourgeois, les NĂ©erlandais, les Suisses voire les Italiens peuvent se revendiquer de sa filiation. Ainsi, Jacques le Goff, en introduction Ă une Histoire de la France , ne date la naissance politique de la France que des partages de lâEmpire carolingien Ă Verdun en 843, et Ă Meersen en 847 et 851. La Francia occidentalis, lâentitĂ© qui naquit de ces partages, fut « la premiĂšre vĂ©ritable incarnation de la France politique ».
LâEmpire carolingien, limon du royaume de France
LâEmpire carolingien lĂ©gua nĂ©anmoins Ă la future France des pratiques que reprendront la royautĂ© française en formation. Par exemple, comme les missi dominici carolingiens, les baillis et sĂ©nĂ©chaux avaient pour mission dâenquĂȘter sur les pratiques locales du pouvoir. Comme le relĂšve lâhistorien Jean-François Lemarignier, avec les Carolingiens, lâĂ©crit fut mis au service des pratiques de gouvernement. Une hiĂ©rarchie des textes sâinstitua avec Ă leur tĂȘte les capitulaires, et les textes furent conservĂ©s dans des bureaux des archives. Dans le domaine de la justice, la rĂ©habilitation de la procĂ©dure inquisitoire est Ă mettre au crĂ©dit des Carolingiens.
La vie de Charlemagne selon Ăginhard

Ăginhard, nĂ© autour de 770, a Ă©tĂ© Ă©duquĂ© au monastĂšre de Fulda et a rejoint la cour de Charlemagne en 791. Câest lĂ quâil sâest liĂ© dâamitiĂ© avec lâempereur, au cours des derniĂšres annĂ©es de son rĂšgne, puis avec son successeur, Louis le Pieux. Ă la cour, lâactivitĂ© politique dâĂginhard semble avoir Ă©tĂ© circonscrite. Il supervisait surtout la rĂ©alisation dâobjets de luxe et la construction de bĂątiments. De cette activitĂ©, il a tirĂ© son surnom de « BĂ©lsĂ©lĂ©el », câest-Ă -dire lâhomme choisi par Dieu pour concevoir le Tabernacle. En 830, il sâattela Ă son grand Ćuvre : La vie de Charlemagne. LâĂ©criture de cette biographie avait pour but de lĂ©gitimer le rĂšgne carolingien en lâinscrivant dans la lignĂ©e prestigieuse des empereurs romains. Pour cela, il sâinspire dâun classique de la littĂ©rature latine : La vie des douze CĂ©sars de SuĂ©tone.
Le rĂ©cit dâĂginhard fut une des sources principales de la « lĂ©gende de Charlemagne ». Il fut ainsi Ă lâorigine de la popularisation du mythe des « MĂ©rovingiens, rois fainĂ©ants, portĂ©s par un attelage tirĂ©s par des bĆufs ». Ce mythe justifiait la prise de pouvoir carolingienne.
Le discours de lĂ©gitimation dâĂginhard se sert aussi, et bien sĂ»r, du sacre de Charlemagne par le pape Ătienne II. Le sacre atteste de la volontĂ© divine de voir les Carolingiens gouverner :
La famille des MĂ©rovingiens, dans laquelle les Francs avaient lâhabitude de choisir leurs rois, est rĂ©putĂ©e avoir rĂ©gnĂ© jusquâĂ ChildĂ©ric, qui, sur lâordre du pontife Ătienne, fut dĂ©posĂ©, eut les cheveux coupĂ©s et fut enfermĂ© dans un monastĂšre. Mais, si elle semble nâavoir fini quâavec lui, elle avait depuis longtemps perdu toute vigueur et ne se distinguait plus que par ce vain titre de roi.
La fortune et la puissance publiques Ă©taient aux mains des chefs de sa maison, quâon appelait maires du palais et Ă qui appartenait le pouvoir suprĂȘme. Le roi nâavait pus, en dehors de son titre, que la satisfaction de siĂ©ger sur son trĂŽne, avec sa longue chevelure et sa barbe pendante, dây faire figure de souverainâŠ
Sauf ce titre royal, devenu inutile, et les prĂ©caires moyens dâexistence que lui accordait Ă sa guise le maire du palais, il ne possĂ©dait en propre quâun unique domaine, de trĂšs faible rapport, avec une maison et quelques serviteurs, en petit nombre, Ă sa disposition pour lui fournir le nĂ©cessaire. Quand il avait Ă se dĂ©placer, il montait dans une voiture attelĂ©e de boeufs, quâun bouvier conduisait Ă la mode rustiqueâŠ
Ăginhard passe ensuite en revue dans son rĂ©cit les conquĂȘtes et les hauts faits du rĂšgne Charlemagne.
Cette biographie, posthume, a cherchĂ© Ă offrir un modĂšle de gouvernement aux dirigeants Ă lâĂ©poque oĂč lâEmpire carolingien implose. Charlemagne est prĂ©sentĂ© comme un modĂšle de « prince » : conquĂ©rant, prudent, missionnaire et protecteur de lâĂglise. Ainsi, Ăginhard dĂ©peint Charlemagne comme juste, bienveillant, vigoureux, amis des arts et du christianisme. Il est dĂ©crit grand, souple et, dĂ©tail : imberbe ! Le clerc raconte en outre que Charlemagne avait sous son oreiller des tablettes et un stylet pour bĂ»cher lâĂ©criture en cas dâinsomnie. RĂ©mi Brague, auteur contemporain, a repris Ă son compte dans Europe, la voie romaine (1992) le mythe du Charlemagne « Ă©colier » pour en faire un reprĂ©sentant typique de lâattitude des EuropĂ©ens face Ă la connaissance :
Lâattitude fondamentale qui a rendu possible lâhistoire culturelle europĂ©enne est bien celle de Charlemagne. [âŠ] Le pĂšre de lâEurope Ă©tait un illettrĂ©, mais il apprenait Ă Ă©crire. Celui qui, pour nos images dâĂpinal, est le pĂšre de lâĂ©cole Ă©tait en fait lui-mĂȘme un Ă©colier, et du genre de ceux qui suivent les cours du soir. LâEurope est ainsi fait : comme son âpĂšreâ [Charlemagne], câest un continent illettrĂ© qui a appris Ă lire ailleurs, qui a appris Ă lire non le gaulois, le germain, etc., mais le latin et le grec.
Charlemagne était-il allemand ou français ?
Il est souvent question de faire de Charlemagne une figure fondatrice de la construction europĂ©enne. En effet, il a la particularitĂ© dâĂȘtre considĂ©rĂ© et par les Allemands et par les Français comme un de leurs grands rois. Mais, comme le montre cet entretien avec lâhistorien allemand Rolf Grosse, la vision quâen ont Français et Allemand diverge quelque peu.
« Lâorigine carolingienne » des rois de France
Hugues Capet a renversĂ© les Carolingiens. Mais il a conservĂ© le titre de Rex Francorum, pour marquer la filiation avec la dynastie Ă©cartĂ©e. Une des grandes ambitions des CapĂ©tiens devint alors dâeffacer les cĂ©sures entre MĂ©rovingiens, Carolingiens et CapĂ©tiens. Le passage de la dignitĂ© de rex francorum de Louis V, le dernier monarque carolingien, et Hugues Capet, posait un problĂšme de taille de lĂ©gitimation, et pouvait toujours servir de base Ă lâaccusation dâusurpation. Sâinscrire dans la continuitĂ© des Carolingiens, câĂ©tait aussi sâattribuer un ancĂȘtre prestigieux : Charlemagne. Cette rĂ©fĂ©rence devint dâautant plus essentielle pour les CapĂ©tiens que ceux-ci dĂ©veloppĂšrent peu Ă peu un projet dâĂ©tablissement dâune monarchie universelle, Ă lâimage de lâEmpire romain ou carolingien. La Chanson de Roland, datant de la fin du XIIe siĂšcle, installa la figure de Charlemagne dans lâhorizon de la littĂ©rature classique française. Un clerc français, le pseudo-Turpin (du nom dâun compagnon de Charlemagne, Turpin), produit vers 1140 une Histoire de Charlemagne et de Roland en latin. Traduite en français, elle eut une grande influence. Les rois de France se prĂ©sentĂšrent comme de nouveaux Charlemagne, empereur des derniers jours appelĂ© Ă rĂ©gner pendant le Millenium, la pĂ©riode entre la mort de lâAntĂ©christ et le Jugement dernier. Louis VIII (1223 â 1226) aurait reçut une lettre mystĂ©rieuse et prophĂ©tique qui lui aurait annoncĂ© quâil Ă©tait le nouveau Constantin, comme Charlemagne.
La propagande carolingienne de Philippe Auguste

Philippe Auguste (r. 1180 â 1123), fils dâAdĂšle de Champagne, dâascendance carolingienne, peut exploiter sa gĂ©nĂ©alogie avantageuse. Il sâen servit ainsi contre les prophĂ©ties dâorigine normandes et anglaises qui annonçaient lâextinction des CapĂ©tiens aprĂšs la septiĂšme gĂ©nĂ©ration, celle de Philippe Auguste. Vers 1200, Gilles de Paris composa pour le fils du roi, le futur Louis VIII, un Miroir des princes, le Karolinus, dont le personnage central est Charlemagne. Philippe Auguste est alors comparĂ© Ă un « autre Charles » (alter Carolus). Dans une dĂ©crĂ©tale de 1204, le pape Innocent III Ă©crivit :
Charlemagne [âŠ] de la race de qui descend comme on sait le roi de France lui-mĂȘme.
Guillaume le breton mit dans la bouche de Philippe Auguste avant la bataille de Bouvines (1214) les mots suivants :
Magnanimes, descendants des Troyens, distinguĂ©e race des Francs, hĂ©ritiers du puissant Charles, de Roland et du preux Olivier, vous qui avez tout abandonnĂ© pour la foi du ChristâŠ
RĂ©alitĂ© et imagination se mĂȘlĂšrent dans la propagande royale. En 1216, la Cour des pairs est créée, avec pour mission de juger les grands procĂšs fĂ©odaux, au nom du roi. Elle Ă©tait composĂ©e de douze pairs de France, six ecclĂ©siastiques et six laĂŻques. Cette cour copia en rĂ©alitĂ©, selon Ferdinand Lot, le modĂšle des pairs de Charlemagne offert par les chansons de geste. En outre, au cours des sacres, on utilisait une Ă©pĂ©e, « Joyeuse », qui Ă©tait rĂ©putĂ©e avoir Ă©tĂ© celle de Charlemagne.
Enfin, Philippe Auguste chercha au cours de son rĂšgne Ă dĂ©montrer lâorigine carolingienne de sa femme, Isabelle de Hainaut. La famille de cette derniĂšre avait en effet des prĂ©tentions carolingiennes. Le frĂšre dâIsabelle de Hainaut, Baudouin V, en cherchant Ă prouver les racines carolingiennes de sa famille, fit Ă©tablir une version critique du livre du pseudo-Turpin et en offra une Ă©dition luxueuse Ă FrĂ©dĂ©ric Barberousse. Lâintense propagande de Philippe Auguste arriva Ă ses fins lorsque son successeur, Louis VIII, arriva sur le trĂŽne. Elle permit Ă la royautĂ© français dâaffirmer « le retour Ă la racine carolingienne » : câest la thĂ©orie du reditus ad stirpem Caroli. Philippe Auguste fut donc le roi qui chercha Ă la fois Ă affirmer sa filiation avec les Carolingiens et qui abandonna le titre de roi des Francs, Rex Francorum, pour celui de roi de France, Rex FranciĂŠ.
Saint-Louis, Saint-Denis et Charlemagne
Saint-Louis, quand il fit construire la nouvelle nef de lâabbaye de Saint-Denis, la divisa en trois : au sud les MĂ©rovingiens et les Carolingiens, au nord les CapĂ©tiens et entre eux, marquant le relai entre les dynasties, Philippe Auguste et Louis VIII. Sur les vitraux de la cathĂ©drale de Chartres, il fit reprĂ©senter un Charlemagne nimbĂ© : saint Charlemagne.
Charlemagne, un roi germanique canonisé
Pour les Allemands, Charlemagne est en effet un roi germanique. Lâempereur du Saint-Empire FrĂ©dĂ©ric Barberousse (r. 1155 â 1190) chercha mĂȘme Ă le faire canoniser, et ce pour plusieurs raisons :
- parer les prĂ©tentions françaises Ă continuer lâĆuvre de Charlemagne ;
- faire contrepoids à Cologne, la plus importante cité médiévale allemande, qui venait de faire venir dans sa cathédrale les reliques des rois mages ;
- faire dĂ©pendre sa propre lĂ©gitimitĂ© dâun empereur saint, pour contrer les prĂ©tentions de la papautĂ©.
En effet, Charlemagne est considĂ©rĂ© comme le fondateur du Saint-Empire. Luther (1483 â 1546), dans Ă la noblesse chrĂ©tienne de la nation allemande, chercha mĂȘme Ă casser cette lĂ©gitimation carolingienne, en affirmant que LĂ©on III nâaurait pas eu le droit de confĂ©rer la dignitĂ© impĂ©riale Ă Charlemagne en 800.
Charlemagne, bienheureux chrétien
Lâantipape Pascal III (1164 â 1168) canonisa Charlemagne en 1165, sans quâelle ne soit jamais entĂ©rinĂ©e par lâĂglise. On ne trouve pas Charlemagne dans le martyrologue romain, la liste officielle des saints. En revanche, Charlemagne est bienheureux : son culte est autorisĂ© en quelques lieux bien spĂ©cifiques, comme Aix-la-Chapelle, tous les 28 janvier. La figure de Saint de Charlemagne demeure a cependant infusĂ©. La chanson de Roland est traduite en allemand entre 1170 et 1185 par le curĂ© Conrad. Tout en Ă©liminant les allusions Ă la France, il y prĂ©sente Charlemagne comme un saint, qui pleure des larmes de ferveur religieuse.
Une destinée mouvementée
La figure de Charlemagne est tantĂŽt vue positivement, tantĂŽt nĂ©gativement. Ainsi, en Allemagne, autour dâAix-la-Chapelle par exemple, lâimage de Charlemagne est positive. Mais il arrive souvent que le public critique son rĂšgne, comme celui de conquĂȘtes violentes ponctuĂ©es de massacres. En Basse-Saxe ou en Westphalie, une figure rivale a Ă©mergĂ© : Widukind. Certaines Ă©coles et lycĂ©es portent mĂȘme son nom aujourdâhui. En 1899, un statue est Ă©levĂ©e en son honneur Ă Herford, en Westphalie. DĂ©truite pendant la derniĂšre guerre, elle fut reconstruite, tĂ©moignant de son importance pour la rĂ©gion. En France, Voltaire fit de Charlemagne un souverain inculte et soumis au clergĂ©. Michelet le considĂ©rait comme un Allemand et ne le placa pas dans la gĂ©nĂ©alogie nationale. Chez les nazis, la figure de Charlemagne ne fit pas lâunanimitĂ©. Rosenberg, lâidĂ©ologue du parti, le voyait comme le boucher des Saxons, mais Hitler en fit un modĂšle typique de Germain. Aujourdâhui en Allemagne, Charlemagne est un personnage europĂ©en, auquel on peut rendre hommage sans ĂȘtre taxĂ© de nationalisme. Un prix Charlemagne est dĂ©cernĂ© depuis 1950 Ă Aix-la-Chapelle Ă une personnalitĂ© ayant agit pour lâunitĂ© europĂ©enne. En 1988, Mitterrand et Kohl reçoivent le prix ensemble.
Charlemagne et Napoléon

Le territoire de lâEmpire napolĂ©onien recouvrait peu ou prou celui de Charlemagne. NapolĂ©on a trouvĂ© dans lâempereur chrĂ©tien du Moyen Ăge un rĂ©fĂ©rentiel auquel attacher son rĂšgne. Charlemagne apparut vite dans les rĂ©fĂ©rences napolĂ©oniennes. Ainsi, en 1803, NapolĂ©on songa Ă faire Ă©riger une statue de Charlemagne au sommet de la colonne de la place VendĂŽme (mais câest une statue de lui que lâon trouve aujourdâhui). Du 2 au 10 septembre 1804, NapolĂ©on vint se recueillir Ă Aix-la-Chapelle, aprĂšs avoir Ă©tĂ© proclamĂ© empereur le 18 mai 1804. NapolĂ©on tenta de puiser de la lĂ©gitimitĂ© dans les lieux du souvenir carolingien, comme les empereurs du Saint-Empire avant lui, en se prĂ©sentant comme successeur de Charlemagne. Il reçut mĂȘme une relique de la part de lâĂ©vĂȘque local, une esquille de lâos de son bras droit. Au reste, NapolĂ©on se fit roi roi dâItalie le 28 mai 1805, comme Charlemagne qui se fit roi des Lombards. Le prĂ©sident du collĂšge Ă©lectoral de Tortone en Italie lanca dâailleurs Ă NapolĂ©on :
Vous avez rĂ©gĂ©nĂ©rĂ© lâEmpire des Francs et le trĂŽne de Charlemagne enseveli sous les ruines de dix siĂšcles
Le tableau dâIngres de 1806, NapolĂ©on Ier sur le trĂŽne impĂ©rial, reprĂ©sente lâempereur tenant un sceptre avec une statuette de Charlemagne Ă son bout.
En conflit avec la papauté, il écrit alors au cardinal Fesch :
Dites bien que je suis Charlemagne !
Bibliographie
- Alibert Dominique, « Le royaume des images », LâHistoire, 12/2014 (n° 406), p. 60-60.
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- BruguiÚre André, et Revel Jacques (dir.), Histoire de la France, choix culturels et mémoire, Editions du Seuil, Points-Histoire, 2000.
- Coz Yann, « â Vie de Charlemagne â dâĂginhard », LâHistoire, 6/2014 (n° 400), p. 111-111.
- Fagart SĂ©bastien, « LâĂ©lĂ©phant de Charlemagne », LâHistoire, 11/2002 (n°270), p. 019-019.
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- Gravel Martin, « Comment gouverner un empire si grand », LâHistoire, 12/2014 (n° 406), p. 40-40.
- Lentz Thierry, Napoléon, Paris, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2003, Chapitre IV, 128 pages.
- Rapp Françis, Le Saint-Empire romain germanique, dâOtton le Grand Ă Charles Quint, Point Histoire, Seuil, 2003
- Sot Michel, « Une politique de la culture », LâHistoire, 12/2014 (n° 406), p. 56-56.
Super documentaire, bien apronfondi
TrĂšs bon article qui berce & enchante littĂ©ralement lâhistorien amateur que je suis en le ramenant comme par magie en des classes bien anciennes aux jeunes gĂ©nĂ©rations, c.Ă .d lĂ , oĂč lâEpoque de Karolus Ă©tait Ă©tudiĂ©e avec ferveur et rigueur et oĂč les Prof. sâextasiaient sans retenue devant leurs classes, silencieuses et respectueuses (LOL !) et surtout, devant des savants comme DIACRE, ALCUIN ou EGINHARD ! 30 ans aprĂšs moi, mon fils nâen a jamais entendu parlĂ© ni Ă lâĂ©cole primaire, au collĂšge ou au lycĂ©e⊠sinon modestement par moi-mĂȘme. Câest peu dire, quâaffirmer sans rougir lâimportancce et lâutilitĂ© de telles parutions et je recommande votre site ! Merci !
Merci !!
Un article de qualité pour un site de qualité. Rien de tel pour commencer la semaine ! Prochain article sur Saint-Loulou SVP
Merci Yvan ! Je note pour Saint-Louis đ