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Charlemagne (~ 742 – 814) : histoire
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Publié le 05/12/2016 (m.à.j* le 21/10/2024)
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📋 Sommaire

⏳ Temps de lecture : 32 minutes

Charlemagne (~ 742 – 814), du latin Carolus Magnusalias Charles Ier dit le Grand. Par convention, cet article parlera le plus souvent de Charlemagne. DĂšs PĂ©pin de Herstal, maire du palais de 

La jeunesse de Charlemagne

Sacre pépin le bref charlemagne
Le couronnement de Pépin le Bref, François Dubois | Wikimédia Commons

Charlemagne est nĂ© Charles en 742 (voire 747 ou 748), dans l’Oise ou dans l’Aisne, fils aĂźnĂ© de PĂ©pin III, dit PĂ©pin le Bref, et de Berthe, fille de Charibert, comte de Laon. L’historien Robert Folz suppose que son instruction, Ă  l’image de celle de tous les laĂŻcs, fut nĂ©gligĂ©e. Mais on ne peut exclure que son pĂšre l’ait formĂ© au gouvernement des hommes.

La donation de Pépin

Donation de Pepin Charlemagne
Donation de PĂ©pin le Bref Ă  l’abbaye de Saint-Denis en 768 | WikimĂ©dia Commons

Le 28 juillet 754, le pape Étienne II vint sacrer PĂ©pin Ă  Saint-Denis. Charles, ainsi que Carloman, reçurent aussi l’onction du souverain pontife. Par ce sacre, Étienne II reconnut l’avĂšnement des Carolingiens et la relĂ©gation de ChildĂ©ric III, dernier des MĂ©rovingiens, dans un couvent. Cet Ă©change de bons procĂ©dĂ©s permet au pape de se placer sous la protection des Carolingiens. La papautĂ© produisit alors un document apocryphe, la donation de PĂ©pin, selon lequel ce dernier se serait engagĂ© Ă  crĂ©er les États pontificaux. Ce n’est pas la seule tentative de la papautĂ© d’affirmer son autonomie par rapport au pouvoir temporel, comme en tĂ©moigne la fameuse donation de Constantin.

 

Le partage du royaume entre Charlemagne et Carloman

charlemagne carte partage carloman
Le royaume de Charlemagne en rouge ; le royaume de Carloman en bleu : le duché de BaviÚre en bleu cyan ; le territoire des Saxons en vert ; le royaume des Lombards en marron ; les royaumes Avars en jaune | Source

Les MĂ©rovingiens, suivant la coutume des Francs, partageaient leurs royaumes entre leurs fils. À sa mort en septembre 768, PĂ©pin ne dĂ©rogea pas Ă  la rĂšgle. Le 9 octobre, les deux frĂšres furent couronnĂ©s Ă  Noyon.

  • Charles reçut l’Austrasie avec ses dĂ©pendances germaniques (Frise occidentale, Hesse, Franconie, Thuringe), la majeure partie de la Neustrie et l’Aquitaine ;
  • Carloman reçut, quant Ă  lui, la Provence, la Bourgogne, la partie sud de la Neustrie, la Septimanie et la Souabe.

Leurs rĂ©sidences Ă©taient proches l’une de l’autre : Charles rĂ©sidait Ă  Noyon, Carloman Ă  Soissons.

La mésentente de Charlemagne et Carloman

Les deux frĂšres Ă©taient placĂ©s dans une situation qui favorisa leur rivalitĂ©. Les efforts de Berthe, leur mĂšre, Ă©chouĂšrent Ă  les rĂ©concilier. AprĂšs le mariage de Charles avec une fille de Didier, le roi des Lombards, Carloman se trouva isolĂ©. En 769, Charlemagne acheva la conquĂȘte de l’Aquitaine, sans l’aide de son frĂšre pourtant sollicitĂ©. 

La mort de Carloman

Coup du sort : Carloman mourut jeune, en 771. Il n’y eut pas de guerre fratricide. Charles rĂ©pudia sa femme et s’imposa sur les terres de son frĂšre dĂ©funt, se plaçant Ă  la tĂȘte de la Francie. 

 

Charlemagne : grand conquérant

Le grand conflit entre les Saxons et les Francs commença en 772. Ces derniers, païens, posaient un problÚme de sécurité pour les marches du royaume des Francs par leurs attaques et leurs pillages. Charlemagne entama une campagne de représailles.

Charlemagne, roi des Lombards

Mais, en 773, une nouvelle menace, Charlemagne dut parer une menace. Le pape Hadrien (r. 772-795) l’appela Ă  l’aide face Ă  la menace reprĂ©sentĂ©e par le roi des Lombards, Didier. Pour le roi des Francs, cette intervention fut l’occasion d’imposer son rĂšgne en Italie du Nord, mais aussi d’écarter dĂ©finitivement la menace reprĂ©sentĂ©e par la prĂ©sence des fils de Carloman Ă  la cour lombarde. AprĂšs avoir franchi les Alpes, Charlemagne s’empara de Pavie aprĂšs un long siĂšge, soumit son adversaire et se proclama, en 774, roi des Lombards. Les Francs intervinrent Ă  trois autres reprises, en 776, en 780 et en 786, pour y consolider leur domination.  

La guerre de Charlemagne contre les Saxons

Widukind Charlemagne saxons
Widukind, Lucas Cranach l’Ancien | WikimĂ©dia Commons

La guerre fut longue, en raison de la rĂ©sistance de certains chefs saxons, comme Widukind. NĂ©anmoins, la DiĂšte de Paderborn, en 777, posa les premiers fondements de l’Église de Saxe. Ce conflit est Ă©maillĂ© de massacres, comme celui de Verden en 782, qui coĂ»te la vie Ă  plusieurs milliers de Saxons. Widukind dĂ©pose les armes qu’en 785, avant de se convertir au christianisme Ă  Attigny.

En 793, les Saxons se révoltÚrent, entraßnant une longue instabilité dans certaines régions. Pour supprimer tout risque de soulÚvement, les Francs entamÚrent une politique de déportation dans leur Empire.

 

 

 

 

 

Le conflit contre les Maures

Au VIIIe siĂšcle, la pĂ©ninsule ibĂ©rique Ă©tait presque entiĂšrement sous domination musulmane. La diffĂ©rence religieuse n’empĂȘcha pas les Ă©changes diplomatiques : en 778, certains chefs arabes firent appel Ă  Charlemagne contre l’émir de Cordoue. Charlemagne entreprit, dans les annĂ©es 770, la conquĂȘte de la pĂ©ninsule, animĂ© peut-ĂȘtre par la volontĂ© d’y rĂ©installer le christianisme. Ses armĂ©es prirent Pampelune et Saragosse, mais ne poursuivit pas plus loin la conquĂȘte. Les attaques des montagnards vascons au moment de la traversĂ©e des PyrĂ©nĂ©es fournirent la trame de la Chanson de Roland. Cette chanson de geste de XIIe siĂšcle raconte la mort de Roland, comte de la marche de Bretagne, en dĂ©fendant l’arriĂšre-garde de l’armĂ©e de Charlemagne.

Charlemagne tira peut-ĂȘtre les leçons de son Ă©chec espagnol. La pĂ©ninsule ibĂ©rique Ă©tait trop Ă©loignĂ©e des bases de son pouvoir militaire, d’autant qu’il y manquait d’alliĂ©s. L’Est, la Saxe, parut peut-ĂȘtre ĂȘtre un terrain plus favorable Ă  la « dilatation » du royaume.

Frise, BaviĂšre et BĂ©nĂ©vent

La Frise orientale est annexĂ©e Ă  l’État franc. La BaviĂšre de Tassilon aprĂšs la prise d ‘Augsbourg en 787, et la rĂ©pression des soulĂšvements. 

Cette pĂ©riode est marquĂ©e par des efforts de rĂ©organisation du royaume. En 781, l’Italie lombarde et l’Aquitaine, deux provinces aux particularismes marquĂ©s, devinrent des royaumes subordonnĂ©s. Ses deux fils, PĂ©pin et Louis, furent placĂ©s Ă  leurs tĂȘtes.

La suprémetatie francque faut aussi imposée au duc de Bénévent, Arigis.

SuccĂšs de Charlemagne contre les Avars

Entre 791 et 796, trois campagnes victorieuses contre les Avars, Ă©tablis en Hongrie actuelle, permirent Ă  Charlemagne d’annexer de nouveaux territoires, entre l’Enns et le Wienerwald. Le chef des Avars, Toudam, reçut le baptĂȘme Ă  Aix-la-Chapelle. Les principautĂ©s avars, au-delĂ  de cette rĂ©gion, devinrent vassales des Francs.

DerniÚres entreprises notables, une escadre fut envoyée aux Baléares en 798 et Barcelone fut occupée en 801.

L’empire de Charlemagne

empire charlemagne
Wikimédia Commons

Aux environs de 800, la pĂ©riode de conquĂȘte de Charlemagne est terminĂ©e. L’Empire carolingien est fait. Il recouvrait la majeure partie de l’Europe chrĂ©tienne, de la mer du Nord Ă  l’Adriatique, de l’Elbre Ă  l’Èbre.

 

Le sacre impérial de Charlemagne

sacre charlemagne
Chroniques de France ou de Saint-Denis, vol. 1, second quart du XIVĂšme siĂšcle

Les conquĂȘtes permirent Ă  Charlemagne de prĂ©tendre Ă  une dignitĂ© supĂ©rieure Ă  celle de roi des Francs. Renonçant Ă  l’itinĂ©rance de ses prĂ©dĂ©cesseurs, il se choisit une capitale oĂč il fit bĂątir sa rĂ©sidence, le palais et la chapelle d’Aix-la-Chapelle, qui devaient ĂȘtre des rĂ©pliques de ceux de Constantinople, oĂč rĂšgne l’Empereur romain d’Orient. Son trĂŽne reproduit celui de Salomon, le plan octogonal de la chapelle palatine prĂ©figure celui de la JĂ©rusalem nouvelle.

 

 

25 dĂ©cembre 800 : couronnement impĂ©rial de Charlemagne

Charlemagne profita des conflits qui opposaient le pape LĂ©on (r. 795 – 816), placĂ© sous sa protection, et l’aristocratie romaine, pour intervenir directement sur les territoires du pape. L’Empire byzantin, engluĂ© dans des conflits internes, ne pouvait intervenir. La querelle des iconoclastes et le scandale liĂ© Ă  l’avĂšnement d’une femme Ă  la tĂȘte de l’État (IrĂšne) dĂ©tournaient son attention de Rome.

Tel PĂ©pin le Bref son pĂšre, Charlemagne se pose en protecteur de l’Église. Le 23 dĂ©cembre 800, Ă  Rome, une assemblĂ©e Ă©mit le vƓu que Charlemagne prĂźt le titre d’empereur. Le 25, jour de NoĂ«l, LĂ©on III lui apposa la couronne. AprĂšs la cĂ©rĂ©monie, le pape effectua le rituel de la proskynĂšse devant le nouvel empereur, ce qui signifie qu’il se prosterna devant lui. Cependant, le pape, qui entendait placer le pouvoir spirituel en amont du pouvoir temporel, couronna Charlemagne avant que l’assemblĂ©e ne l’acclame. La prĂ©sence de deux ambassadeurs du patriarche de JĂ©rusalem, l’un du mont des Oliviers, de rite latin, l’autre du monastĂšre de Mar Saba, de rite grec, donna une portĂ©e universelle Ă  l’évĂ©nement. Toute la ChrĂ©tientĂ© Ă©tait virtuellement prĂ©sente lorsque Charlemagne devint empereur.  

La donation de Constantin

La papautĂ©, si elle consentit Ă  l’élĂ©vation de Charlemagne Ă  la dignitĂ© d’empereur, n’entendait pas pour autant se subordonner Ă  lui. Pour assurer son indĂ©pendance, elle Ă©labora ce qui devint l’un des plus fameux faux de l’histoire : la donation de Constantin, Costitutum Constantini.  Ce faux raconte le retrait de l’empereur Constantin de Rome par respect pour le pape. Constantin aurait donnĂ© au pape les provinces occidentales et aurait fait de lui un individu semblable Ă  l’empereur en lui attribuant certains insignes, des vĂȘtements d’apparat, un diadĂšme, le phrygium, haut bonnet blanc pointu devenant la tiare, le manteau de pourpre, le globe et l’aigle.

Par ce faux, la papautĂ© voulut inciter les dirigeants Ă  imiter la conduite sur celle de Constantin. Au Latran, palais des papes d’alors, une mosaĂŻque reprĂ©sentait Constantin investi par le Christ et le roi des Francs investi par Saint Pierre, le premier pape. La domination politique trouvait donc sa source dans l’Église selon la papautĂ©. 

Charlemagne insatisfait de son sacre

Selon Éginhard, biographe de l’empereur, le rĂŽle jouĂ© par LĂ©on III dans le sacre, ainsi que l’évocation des Romains Ă  la place des Francs auraient mĂ©contentĂ© Charlemagne. Mis devant le fait accompli par le pape, Charlemagne ajusta sa position. Il changea notamment la titulature impĂ©riale. Il Ă©tait « Auguste, empereur grand et pacifique » tout en prĂ©cisant avoir Ă©tĂ© couronnĂ© “par Dieu” et gouvernait car “roi des Francs et des Lombards”. Aucune mention de l’intercession du pape n’était faite. 

En outre, Charlemagne abandonna mĂȘme les rĂ©fĂ©rences Ă  Rome, peut-ĂȘtre pour apaiser les relations avec Byzance lors de la paix qu’il conclut avec elle. L’Empire byzantin Ă©tait en rĂ©alitĂ© l’Empire romain d’Orient. Les Byzantins se nomment eux-mĂȘmes Romains. 

En 813, Charlemagne apposa lui-mĂȘme le diadĂšme sur la tĂȘte de son fils Louis, sans le concours d’un ecclĂ©siastique.

Le gouvernement de Charlemagne sur son Empire

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Vitrail conservĂ© au MusĂ©e de l’ƒuvre Notre-Dame Ă  Strasbourg | WikimĂ©dia Commons

LĂ©gitimer la dynastie carolingienne : vassalitĂ© et christianisme

Le premier souci de Charlemagne fut de renforcer sa lĂ©gitimitĂ© Ă  gouverner les Francs. En effet, son pĂšre, PĂ©pin le Bref, avait franchi le Rubicon en Ă©cartant nommĂ©ment la famille MĂ©rovingienne du pouvoir. Les ducs et potentats locaux avaient cherchĂ© Ă  profiter de la mort de PĂ©pin pour rĂ©cupĂ©rer leur autonomie. À l’avĂšnement de Charlemagne, la position de la famille carolingienne Ă  la tĂȘte des Francs n’était pas totalement lĂ©gitimĂ©e. Associer les Ă©lites locales au pouvoir Ă©tait donc inĂ©vitable. Deux outils furent employĂ©s Ă  cette fin : la vassalitĂ©, qui bĂ©nĂ©ficiait des conquĂȘtes, et l’association avec l’Église.

La guerre permit en effet de nouvelles conquĂȘtes. Ceux qui y participent pouvaient espĂ©rer rĂ©cupĂ©rer leur part du butin. Les meilleurs guerriers se firent un nom, acquirent des terres ou purent obtenir une charge intĂ©ressante. Guerres et redistributions permirent d’assurer la fidĂ©litĂ© des troupes. Charlemagne mobilisait l’ost Ă  presque chaque printemps de son rĂšgne. 

L’Empereur à Aix-la-Chapelle

palais aix la chapelle charlemagne
Reconstitution possible du palais de Charlemagne | Wikimédia Commons

RĂ©sidant dans le palais d’Aix-la-Chapelle, Charlemagne renonça Ă  l’itinĂ©rance de ses prĂ©dĂ©cesseurs. Sa prĂ©sence concrĂšte ne manifestait plus le pouvoir sur les terres placĂ©es sous son autoritĂ©. Tels empereurs romains, il se fait reprĂ©senter par des comtes qui formaient un rĂ©seau administratif de prĂšs de 700 circonscriptions.

Les plus puissants des laĂŻcs formaient autour de Charlemagne les « champs de mai », des assemblĂ©es qui devaient prĂ©parer les opĂ©rations militaires, mais aussi dĂ©libĂ©rer des affaires les plus importantes pour l’Empire.

L’Empire de Charlemagne, un Empire chrĂ©tien

Si la puissance militaire restait le principal outil de lĂ©gitimation du pouvoir carolingien, elle se mettait en branle pour remplir un objectif supĂ©rieur : l’établissement du royaume du Christ sur Terre. L’Empire de Charlemagne s’inscrivait dans la continuitĂ© de celui de Constantin, le premier empereur chrĂ©tien, et de celui de ThĂ©odose. La mission religieuse de l’empereur Ă©tait semblable Ă  celle du Christ. Ses conquĂȘtes, et l’évangĂ©lisation qui suivit, ouvrirent la perspective du salut Ă  de nouveaux peuples. L’unification religieuse devint d’ailleurs pour les clercs la seule unitĂ© qui vaille : Charlemagne soumet et christianise, pour Ă©tendre le rĂšgne d’une Église unie. L’Empire Ă©tait conçu par l’Église comme son bras armĂ©.

La réforme de la justice

Charlemagne Ă©tait le grand ordonnateur d’un Empire qui prĂ©pare son peuple au salut. La justice Ă©tait donc un attribut fondamental du souverain dans la perspective d’organiser une sociĂ©tĂ© chrĂ©tienne, reflet d’un ordre et d’une justice supĂ©rieurs. Vers 780, Charlemagne promulgua une grande rĂ©forme de la justice. Elle rĂ©duisit le nombre de tenues de cours judiciaires Ă  trois par an. Les hommes libres, qui devaient assister Ă  ces assises que le comte prĂ©sidait dans sa circonscription, virent la portĂ©e de leurs charges rĂ©duite.

Cette rĂ©forme donna aussi naissance Ă  un corps de juges spĂ©cialisĂ©s, les Ă©chevins. Ces derniers avaient pour rĂŽle de proposer la sentence, son application Ă©tant la prĂ©rogative des comtes. La mise en application rĂ©elle de cette rĂ©forme sembla ĂȘtre une tĂąche difficile pour Charlemagne. En tĂ©moignent les multiples rappels Ă  l’ordre adressĂ©s aux Ă©chevins dans les capitulaires

Charlemagne rĂ©habilita une procĂ©dure de droit romain disparue Ă  l’époque mĂ©rovingienne : la procĂ©dure inquisitoire. Un juge pouvait se saisir lui-mĂȘme d’un dĂ©lit, enquĂȘter, instruire et, le cas Ă©chĂ©ant, punir. Le juge caroligien Ă©tait lui aussi l’agent de la volontĂ© divine de justice. Sous les MĂ©rovingiens, seule la procĂ©dure accusatoire existait. Dans ce dernier systĂšme, pour que condamnation il y ait, il faut accusation. C’est une simple justice de compensation, plus empirique. Certains crimes pouvaient rester impunis.

L’Église, ciment de l’Empire de Charlemagne

Oratoire de Germigny-des-Pres
L’oratoire carolingien de Germigny-des-PrĂ©s, l’une des plus anciennes Ă©glises de France, rare exemple du style architectural carolingien | Tourisme Loiret

VĂ©ritable Christ en mission, Charlemagne s’appuyait sur l’Église pour soutenir la structure de son État. Les Ă©vĂȘques et les abbĂ©s prirent une part active Ă  l’administration. Les terres appartenant aux Ă©glises Ă©taient sour leur administration. ÉvĂȘques et comtes se surveillaient dans les citĂ©s. Charlemagne organisa, en outre, l’évangĂ©lisation des rĂ©gions conquises.

Une politique de construction de lieux de culte fut menĂ©e, Ă  la gloire du pouvoir de leur ordonnateur. La basilique de Saint-Denis fut agrandie. L’oratoire de Germingny-des-PrĂ©s est un des rares tĂ©moignages existant aujourd’hui de l’effort de construction de cette Ă©poque. Les laudes royales, plaçaient Charlemagne au premier rang des mortels : le Christ, Marie, les archanges et toute l’armĂ©e divine Ă©taient appelĂ©s en soutien Ă  son entreprise divine. 

Au reste, Ă  partir de Charlemagne, la titulature royale s’enrichit de la mention gratia Dei rex (roi par la grĂące de Dieu).

Charlemagne, un législateur

Charlemagne rĂ©gnait sur une multiplicitĂ© de peuples dont les mƓurs et les coutumes divergeaint. Cette diversitĂ© s’accrut avec les nouvelles conquĂȘtes. Pour affirmer sa suprĂ©matie, Charlemagne fit mettre Ă  l’écrit les rĂšgles juridiques de chaque peuple. Il en devient donc le garant. Ainsi, les lois coutumiĂšres des Chamaves, des Frisons, des Thuringiens et des Saxons furent mises en forme Ă  l’écrit. La loi salique fut elle aussi réécrite.

Par les capitulaires, Charlemagne lĂ©gifĂ©rait pour tout l’Empire. Elles Ă©taient employĂ©es pour les normes les plus importantes. Les capitulaires Ă©taient des textes composĂ©s de chapitres diffĂ©rents, d’oĂč leur nom. Elles abordaient des questions juridiques, de morale, elles Ă©voquaient les dĂ©cisions du pouvoir central et ses rĂšglements. Par la cĂ©lĂšbre capitulaire De villis (des grands domaines), Charlemagne exposait en 70 chapitres un programme de dĂ©veloppement de la gestion de la production agricole des domaines royaux. Ce fut peut-ĂȘtre une rĂ©action Ă  la grande famine de l’hiver 792-793.

On compila aussi le droit romain, droit de rĂ©fĂ©rence pour un État qui cherchait Ă  s’inscrire dans la continuitĂ© de l’Empire romain.

Le complot de Pépin le bossu

PĂ©pin le Bossu, fils de Charlemagne, servit de dirigeant de circonstance Ă  un soulĂšvement contre Charlemagne Ă  l’hiver 792-793. En consĂ©quence, PĂ©pin fut claustrĂ© comme moine. L’échec de cet Ă©pisode tĂ©moigne probablement de la lĂ©gitimitĂ© acquise par la nouvelle dynastie.

L’Empire carolingien, un État faible ?

La thĂšse de l’historien belge François Louis Ganshorf (1895 – 1980), selon laquelle Charlemagne n’avait pas les moyens de construire un État centralisĂ© et efficace, a longtemps fait autoritĂ©. La vassalitĂ©, un des principaux outils de pouvoir de Charlemagne, aurait favorisĂ© le morcĂšlement de l’autoritĂ© au profit de potentats locaux. Ces derniers auraient Ă©tĂ© des freins Ă  la constitution par Charlemagne d’État impĂ©rial effectif. En outre, il aurait manquĂ© Ă  Charlemagne des fonctionnaires bien formĂ©s et lettrĂ©s. Des historiens, comme Bruno DumĂ©zil, remettent aujourd’hui en cause cette vision : l’administration romaine aurait survĂ©cu sous diffĂ©rentes formes jusqu’au IXe siĂšcle. Au-delĂ  de ces dĂ©bats, il semble avĂ©rĂ© que les capitulaires de Charlemagne n’étaient, le plus souvent, pas suivies de rĂ©alisations concrĂštes.

Les missi dominici

Que tout le peuple sache que les missi ont Ă©tĂ© Ă©tablis pour que quiconque n’aura pu, par la nĂ©gligence ou l’incurie du comte, se faire rendre justice, qu’il puisse d’emblĂ©e leur dĂ©fĂ©rer son affaire et obtenir d’eux justice.

Ainsi Louis le Pieux, héritier de Charlemagne, définit-il le rÎle des missi dominici.

Charlemagne crĂ©a l’institution des missi dominici, ses reprĂ©sentants directs chargĂ©s de faire respecter sa volontĂ©. Ce sont des comtes ou des Ă©vĂȘques envoyĂ©s par Charlemagne pour une mission spĂ©cifique. Leurs attributions variaient selon le contexte. Bien que reprĂ©sentants directs de l’autoritĂ© de Charlemagne, ces hommes Ă©taient choisis parmi les hommes les plus puissants de la rĂ©gion d’administration. Le pouvoir ne pouvait donc se passer de la collaboration de l’aristocratie locale.

Les voies de communication dans l’Empire de Charlemagne

Les voies de communication firent l’objet de toute l’attention du pouvoir carolingien, car essentielles pour contrĂŽler cet immense empire. Les anciennes voies romaines Ă©taient ainsi entretenues, ainsi que les ponts, canaux et relais hĂ©ritĂ©s de l’époque impĂ©riale. À l’est du Rhin, lĂ  oĂč l’Empire romain n’avait pĂ©nĂ©trĂ© que peu profondĂ©ment, un travail de crĂ©ation de routes est entrepris. En Saxe, un dispositif original est inventĂ© : les hommes libres (les notables) devaient ravitailler les messagers. En Ă©change, ils pouvaient exploiter des terres fiscales. Cet Ă©change de bons procĂ©dĂ©s a laissĂ© sa trace dans la langue : le latin paraveredus, cheval de poste, est devenu Pferd en allemand, et palefroi en français.

La dĂ©fense de l’empire carolingien : les marches

Pour dĂ©fendre ses frontiĂšres terrestres, Charlemagne crĂ©a le systĂšme des marches. Ces fiefs Ă©taient des territoires frontaliers Ă  vocation dĂ©fensive. Ils furent placĂ©s sous l’autoritĂ© d’un comte de la marche (marchio, Markgraf ou marquis). Le rĂŽle du marquis Ă©tait essentiel : administrer des populations encore mal soumises. Ainsi, les marches correspondent aux pays nouvellement conquis. La marche saxonne englobait la Nordalbingie pour faire face aux Danois. Une autre marche faisait face aux Avars, de l’est de la BaviĂšre au Wienerwald.

Des marches pouvaient se superposer Ă  des comtats ordinaires, quand la proximitĂ© de populations susceptibles de se soulever l’imposait. Le marquis s’occupait donc de la dĂ©fense du territoire. La marche de Bretagne, par exemple, entre Rennes, Nantes et Angers, avoir pour rĂŽle de contenir les Bretons d’Armorique, susceptibles de soulĂšvement. Selon la mĂȘme idĂ©e, une marche de Toulouse a Ă©tĂ© créée.

L’État franc est cependant vulnĂ©rable sur ses façades maritimes. Charlemagne prescrivit de fortifier les littoraux de la mer du Nord et de la Manche contre les raids danois, premiĂšres alertes du futur pĂ©ril normand (« viking »).

La lettre et le diplĂŽme

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DiplÎme de Charlemagne donné le 31 mars 797 | Wikimédia Commons

Charlemagne communiquait par lettre et diplĂŽme. L’autoritĂ© des diplĂŽmes Ă©tait renforcĂ©e par la prĂ©sence du sceau et du monogramme. Les lettres, rapides Ă  produire et Ă  copier, Ă©taient lues Ă  haute voix pour diffuser virtuellement la parole de l’empereur dans tout l’Empire.

 

 

 

 

 

La monnaie

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Denier impĂ©rial en argent de Charlemagne, inspirĂ© des modĂšles romains. Au droit, le profil imberbe, le front ceint de lauriers, et l’inscription « KAROLUS IMP[ERATOR] AUG[USTUS] » | WikimĂ©dia Commons
Les monnaies, pour frapper les esprits, Ă©taient conçues simplement : pas d’iconographie complexe, uniquement le nom de Charlemagne ou son initiale, puis les initiales de son titre, roi des Francs (Rex Francorum). Ces piĂšces, produites en millions d’exemplaires, diffusaient toutes un message simple : Charles est le roi des Francs.

 

Les écrits

Des chroniques du rĂšgne de Charlemagne ont Ă©tĂ© produites dans la mĂȘme idĂ©e. Comme l’a montrĂ© l’historien autrichien Helmut Reimitz, les Annales du royaume des Francs rĂ©affirment en permanence la royautĂ© de Charles. Ces textes Ă©taient lus Ă  haute voix dans les monastĂšres, mais aussi dans les lieux de rassemblement des les Ă©lites locales.

Le moine Paul Diacre, dans les Gestes des Ă©vĂȘques de Metz, donna une illustre ascendance aux Carolingiens, les Troyens, bannissant des mĂ©moires les MĂ©rovingiens.

 

 

 

 

5. Charlemagne et les affaires extérieures

Les conquĂȘtes de Charlemagne firent de l’empereur un acteur majeur et prestigieux de son temps. Ses relations avec les souverains anglais, comme Offa de Mercie, sont attestĂ©es. Autre exemple du prestige de son rĂšgne : en 798, Alphonse II de Galice vint Ă  l’Empereur et lui proposa de lutter contre l’islam.

Charlemagne et le califat abbasside de Haroun ar-Rachid

haroun ar-rachid charlemagne ambassade
L’ambassade de Charlemagne auprĂšs de Haroun ar-Rachid, Julius Köckert, 1864 | WikimĂ©dia Commons

C’est une des dimensions les plus impressionnantes de l’histoire de la diplomatie carolingienne : les bonnes relations qui s’instaurĂšrent entre l’Empire carolingien et le califat abbasside de Haroun ar-Rachid. Pourtant, elles n’avaient rien de naturel : le projet impĂ©rial est profondĂ©ment chrĂ©tien. Charlemagne et Haroun ar-Rachid avaient en effet un ennemi commun : l’émirat omeyyade de Cordoue. Pour Charlemagne, c’est une puissance qui limite sa politique d’expansion . Pour Haroun ar-Rachid, c’est une dangereuse survivance de l’ancienne dynastie Omeyyade, renversĂ©e par les Abbassides auxquels il appartient.

 

 

 

Abbul Abbas, l’élĂ©phant de Charlemagne

abul abbas elephant de charlemagne
L’élĂ©phant (le fou), piĂšce de l’échiquier de Charlemagne | WikimĂ©dia Commons

Ainsi, en 797, une ambassade carolingienne composĂ©e de Lantfried, Sigismond et le Juif Isaac part pour Bagdad afin de demander un Ă©lĂ©phant pour la mĂ©nagerie de Charlemagne. Cette ambassade revint en 801, avec le Juif Isaac seul et, surtout, avec l’élĂ©phant de Charlemagne : Abul Abbas. Celui-ci le suivra jusqu’à la mort. L’ambassadeur rapporta aussi une horloge Ă  roue et, surtout, les clĂ©s du Saint-SĂ©pulcre.

L’activisme du patriarche de JĂ©rusalem

Il faut cependant relativiser la portĂ©e de ces relations. Elles s’expliquent surtout par l’activisme du patriarche de JĂ©rusalem, Georgios, alors soumis Ă  Haroun ar-Rachid. Georgios, isolĂ©, cherchait de nouvelles ressources financiĂšres. Sous pouvoir musulman depuis 638, son patriarcat Ă©tait loin de la protection de Byzance. Bien que protĂ©gĂ©s par le statut de la dhimma en Ă©change du paiement d’un impĂŽt, nombre de chrĂ©tiens Ă©taient spoliĂ©s et les conversions se multipliaient.

Peut-ĂȘtre en accord avec Haroun ar-Rachid, il envoya, avant mĂȘme le retour de l’ambassade carolingienne, un moine en ambassade auprĂšs de Charlemagne pour lui livrer les reliques du Saint-SĂ©pulcre. En Ă©change, Charlemagne envoya des prĂ©sents pour les lieux saints.

Le renforcement de la légitimité chrétienne de Charlemagne

Georgios obtint donc un financement carolingien. Charlemagne, lui, mis Ă  profit le prestige que lui apportait son lien avec le Saint-SiĂšge de JĂ©rusalem pour renforcer son image d’Empereur chrĂ©tien. Il fonda un monastĂšre et un hĂŽpital pour les PĂšlerins en Palestine. Surtout, Charlemagne put se poser en vĂ©ritable concurrent de l’Empire de Constantinople.  Lorsque Charlemagne fut sacrĂ© empereur en 800, deux ambassadeurs venus du patriarcat de JĂ©rusalem Ă©taient alors prĂ©sents. Ces deux ambassadeurs Ă©taient deux moines, l’un du mont des Oliviers, de rite latin, l’autre du monastĂšre de Saint-Sabas, de rite grec. La prĂ©sence de ces deux moines donna une portĂ©e universelle au sacre impĂ©rial de Charlemagne. Toutes les Ă©glises furent ainsi les tĂ©moins virtuels de cet avĂšnement.

Un bilan nĂ©gatif pour les chrĂ©tiens d’Orient

Ces relations renforcĂšrent la lĂ©gitimitĂ© de Charlemagne. Elles furent assez importantes pour qu’Éginhard parle en ces termes de l’ambassade de 802 – 806 :

Non content d’acquiescer Ă  toutes les demandes qu’ils [les envoyĂ©s de Charlemagne] lui prĂ©sentaient, il [ar-Rachid] consentit Ă  placer sous le pouvoir de Charles le lieu sacrĂ© et salutaire et fit accompagner les envoyĂ©s francs sur le chemin du retour par une ambassade chargĂ©e pour leur souverain de prĂ©sents considĂ©rables – tissus, aromates et autres richesses des pays d’Orient.

Une deuxiĂšme ambassade fut envoyĂ©e en 807. Mais nulle source arabe n’en atteste. Du cĂŽtĂ© abbasside, ces Ă©changes diplomatiques ne semblĂšrent pas revĂȘtir la mĂȘme importance que pour Charlemagne. La situation des chrĂ©tiens d’Orient ne s’amĂ©liora pas de maniĂšre durable. À la mort d’Haroun ar-Rachid, de nouveaux troubles Ă©clatĂšrent Ă  JĂ©rusalem.

Charlemagne et l’Empire byzantin

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Des clercs plaident contre les icĂŽnes devant l’empereur byzantin | WikimĂ©dia Commons

Avec l’Empire byzantin, les rapports furent plus complexes. En 781, il fut question d’un mariage entre Rothrude, une des filles de Charlemagne, et l’empereur Constantin VI. Les ambitions de Charlemagne en sur l’Italie du sud dĂ©gradĂšrent les relations. Pour Byzance, cette rĂ©gion Ă©tait de son ressort exclusif. En consĂ©quence, IrĂšne, l’impĂ©ratrice-rĂ©gente, n’invita pas l’Église franque au IIe concile ƓcumĂ©nique de NicĂ©e en 787.

Charlemagne s’immisça au reste dans la querelle des images qui secouait Byzance. Les Libri Carolini condamnĂšrent la politique religieuse des Byzantins et voulurent rĂ©pondre « au synode qui s’est tenu dans les rĂ©gions de la GrĂšce et dont le but est d’adorer stupidement les images ». Les Libri Carolini poursuivirent sur un autre terrain l’offensive contre l’Empire byzantin. C’était en effet l’occasion pour l’empire de Charlemagne de s’affirmer comme le seul Empire Ă  mĂȘme de mener le peuple Ă©lu, c’est-Ă -dire le peuple chrĂ©tien, oĂč qu’il habite, vers son salut. Ainsi, ils tentĂšrent de dĂ©ligitimer le concile NicĂ©e en arguant que l’impĂ©ratrice IrĂšne Ă©tait une femme. Or une femme ne pourrait prendre des dĂ©cisions pour l’ensemble du monde chrĂ©tien.

Finalement, en 797, la paix est faite entre IrĂšne et Charlemagne. Le chroniqueur ThĂ©ophane rapporta mĂȘme le projet d’union entre IrĂšne et Charlemagne. Mais IrĂšne fut renversĂ©e en 802.

 

La « Renaissance carolingienne »

Le rĂšgne de Charlemagne est une pĂ©riode faste pour la peinture. Évangiles d’Aix-la-Chapelle, folio 13r : saint Jean (Ă©cole du palais d’Aix, vers 810) | WikimĂ©dia Commons

Charlemagne donna une impulsion Ă©nergique au dĂ©veloppement des arts et des lettres. Cette impulsion fut assez remarquable pour que certains historiens aient inventĂ© au XIXe siĂšcle l’expression “Renaissance carolingienne” : ainsi, le rĂšgne des Carolingiens aurait Ă©tĂ© un temps de savoirs et de lumiĂšres, contrastant avec celui des MĂ©rovingiens, plus sombre. 

Comme l’historien Michel Sot, on peut parler de de politique de la culture. Ce fut en effet une politique, toute tournĂ©e vers un objectif clair : celui d’organiser un Empire qui se devait de mener le peuple vers le salut. Il fallait donner une consistance Ă  l’Empire chrĂ©tien et donner des armes au clergĂ©, le premier des “services publics”. Sa mission Ă©tait fondamentale : encadrer le peuple chrĂ©tien, l’instruire et prier Ă  son intention.

Charlemagne l’inventeur de l’école ? 

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Centres d’études carolingiens, viiie et ixe siĂšcles : en vert les Ă©coles monastiques, en orange les Ă©coles Ă©piscopales | WikimĂ©dia Commons

La capitulaire d’Aix-la-Chapelle de 789, l’Admonition gĂ©nĂ©rale, pose les bases de cette Renaissance. Au chapitre 72, Charlemagne exigea des clercs et des moines qu’ils se distinguent par leur conduite et leurs propos. Des Ă©coles devaient en outre instruire les garçons dans tous les monastĂšres et les Ă©vĂȘchĂ©s (de lĂ  la lĂ©gende de « Charlemagne inventeur de l’école »). Mais il ne faut pas s’y tromper, les Ă©coles devaient former un personnel religieux de qualitĂ© pour amĂ©liorer l’administration de l’Empire.

Les apports étrangers à la Renaissance carolingienne

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Alcuin prĂ©sente Ă  Charlemagne les manuscrits Ă©crits par ses moines. Peinture au plafond d’une salle de la galerie Campana du musĂ©e du Louvre | WikimĂ©dia Commons

Cette politique culturelle se nourrit d’apports Ă©trangers. Paul Diacre arriva de Lombardie en 780. Ce moine bĂ©nĂ©dictin a Ă©tĂ© formĂ© Ă  la cour des comtes de Frioul et des rois lombards dans les canons de la culture antique : grammaire, droit et langue grecque. Il fut l’auteur d’une Histoire des Lombards. À la demande de Charlemagne, il rĂ©digea une grammaire et un recueil d’homĂ©lies des pĂšres de l’Église. 

De tous les savants entourant Charlemagne, Alcuin est sĂ»rement le plus cĂ©lĂšbre. Originaire de York, c’est, pour Éginhard, ” l’homme le plus savant qui fut alors”. On lui connaĂźt en effet 70 ouvrages et plus de 360 lettres. AprĂšs sa rencontre avec Charlemagne, il devint le directeur de son acadĂ©mie, installĂ©e dans le palais d’Aix-le-Chapelle : l’école palatine.

D’autres savants vinrent du monde wisigothique, c’est-Ă -dire l’actuelle pĂ©ninsule ibĂ©rique. Isidore de SĂ©ville, avant l’avĂšnement des Carolingiens, avait produit au dĂ©but du VIIe siĂšcle une grande encyclopĂ©die rĂ©sumant les savoirs antiques, les ÉtymologiesThĂ©odulf, un Wisigoth, devint Ă©vĂȘque d’OrlĂ©ans en 798 et abbĂ© du monastĂšre de Fleury. Son Ɠuvre poĂ©tique, thĂ©ologique et comme correcteur de la Bible est de premiĂšre importance.

Les disciplines de la connaissance : trivium et quadrivium

Les sept arts libĂ©raux dans l’Hortus deliciarum d’Herrade de Landsberg, 1180 |WikimĂ©dia Commons

Un savant doit s’atteler Ă  l’étude :

  • du trivium : la grammaire, la rhĂ©torique et la dialectique ;
  • du quadrivium : l ‘arithmĂ©tique, la gĂ©omĂ©trie, l’astronomie et la musique.

Ce sont autant de connaissances Ă  acquĂ©rir pour les appliquer Ă  la recherche de la connaissance par excellence : celle de Dieu.

  • La grammaire est la plus importante des disciplines. C’est la science du langage, celle de la langue latine. Les savants carolingiens restaurent une langue latine classique, codifĂ©e par les grammairiens du IVe siĂšcle comme Donat. Cette langue devint la langue savante du Moyen Âge et de l’époque moderne.
  • La littĂ©rature permet d’étudier des auteurs qui ont bien maniĂ© la langue. MĂȘme les paĂŻens sont Ă©tudiĂ©s : CicĂ©ron pour la prose, Virgile pour la poĂ©sie.
  • La perspective du salut chrĂ©tien reste cependant l’horizon de toute Ă©tude. La patristique est une rĂ©fĂ©rence privilĂ©giĂ©e des savants carolingiens. JĂ©rĂŽme, Ambroise ou Augustin, ainsi que EusĂšbe de CĂ©sarĂ©e ou Orose, auteur d’une Histoire contre les paĂŻens, sont des auteurs de rĂ©fĂ©rence.
  • Les mĂ©thodes de grammaire doivent conduire Ă  l’exĂ©gĂšse. À cette Ă©poque, les traductions latine de la Bible en circulation ne sont pas unifiĂ©es. Charlemagne demande Ă  Alcuin et Theodulf de les corriger pour arriver Ă  un texte unique. Alcuin privilĂ©gia les traductions de JĂ©rĂŽme du IVe siĂšcle. Cette bible devient la bible adoptĂ©e par l’universitĂ© de Paris au XIIIe siĂšcle, puis le premier livre imprimĂ© au XVe que l’on connaĂźt aujourd’hui sous le nom de Vulgate.

L’élaboration des livres manuscrits

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La minuscule caroline | Wikimédia Commons

Tout ce programme a nĂ©cessitĂ© l’élaboration de livres. On en a conservĂ© un nombre considĂ©rable. 1800 manuscrits pour les sept premiers siĂšcles de notre Ăšre, et 7000 pour la seule pĂ©riode carolingienne, entre 750 et 900. On estime que 50 000 ouvrages pouvaient ĂȘtre en circulation. Ces livres Ă©taient rĂ©unis dans de grandes bibliothĂšques. Ainsi, 250 manuscrits Ă©taient conservĂ©s, en 831, dans la grande abbaye de Saint-Riquier, l’une des plus importantes.

Ces manuscrits Ă©taient souvent des copies d’autres manuscrits. Le risque d’accumulation d’erreurs Ă©tait grand. Dans l’Admonition gĂ©nĂ©rale de 789, Charlemagne demanda Ă  ce que les manuscrits ne soient recopiĂ©s que par des scribes expĂ©rimentĂ©s. La prĂ©sence d’erreurs Ă©tait grave, surtout pour la Bible, car elles pouvaient compromettre le salut : les priĂšres erronĂ©es risquaient d’ĂȘtre incomprĂ©hensibles pour Dieu.

L’emploi du parchemin s’est gĂ©nĂ©ralisĂ©. FabriquĂ© Ă  partir de peau de mouton ou de peau de veau, le vĂ©lin, il est plus rĂ©sistant et lisse que le papyrus. Mais c’était un matĂ©riau onĂ©reux. Pour rĂ©aliser une grande Bible, il fallait environ 300 moutons. Le parchemin Ă©tait aussi un bon support pour la peinture. Cette discipline connu un vĂ©ritable essor Ă  cette Ă©poque : lettres ornĂ©es, peintures reprĂ©sentant des Ă©vangĂ©listes ou monarques, etc. Les reliures, en cuir ou en mĂ©taux prĂ©cieux, Ă©taient trĂšs travaillĂ©s et ornĂ©es de pierreries et de plaques d’ivoire sculptĂ©es.

En parallĂšle, une nouvelle Ă©criture apparaĂźt progressivement : la minuscule caroline. Elle fut Ă  l’origine de nos caractĂšres d’imprimerie : les imprimeurs humanistes au XVe siĂšcle la rĂ©utilisĂšrent.

L’unification du chant religieux : le chant grĂ©gorien

chant grégorien charlemagne neume
Un exemple de neumes | Wikimédia Commons

Le chant grĂ©gorien est le chant liturgique de l’Église catholique. Il se caractĂ©rise par une grande Ă©galitĂ© de ton. Charlemagne dĂ©clara en 789 :

Pour l’ensemble du clergĂ© : qu’il apprenne Ă  la perfection le chant de Rome et qu’il cĂ©lĂšbre l’office conformĂ©ment [
] Ă  ce qu’avait ordonnĂ© de faire notre pĂšre, le roi PĂ©pin, d’heureuse mĂ©moire, quand il supprima le chant gallican. 

Toutefois, ce chant venu de Rome fut mĂ©langĂ© Ă  des chants gallicans (celui des chrĂ©tiens de Gaule), si bien que l’on parle de chant romano-gallican. Ces chants romains furent nommĂ©s en l’honneur de GrĂ©goire Ier le Grand, pape de 590 Ă  604, en souvenir de son Ɠuvre de rĂ©formateur. Du fait de la multiplication des chants, on dĂ©veloppa les neumes, des signes de notation musicale qui palier les problĂšmes de mĂ©morisation.

La question du culte des images

Les ChrĂ©tiens de l’Occident intervinrent sous Charlemagne dans la querelle des images qui agitait l’Empire d’orient. Se fondant sur les Ă©crits des pĂšres de l’Église, notamment une lettre de GrĂ©goire Ă  l’évĂȘque Serenus de Marseille ils dĂ©finirent une voie moyenne :  pas d’interdiction des images comme chez les musulmans et les juifs, pas d’adoration non plus comme chez les Byzantins.

 

La fin de l’Empire de Charlemagne

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Vision du XIXe siÚcle de Louis le Pieux, par Jean-Joseph Dassy | Wikimédia Commons

La divisio regnorum

La vision franque du pouvoir faire du souverain le propriĂ©taire de l’État. Le royaume devenu Empire devait donc ĂȘtre partagĂ© entre les hĂ©ritiers de l’Empereur. La divisio regnorum de 806 rĂ©partit l’Empire entre les trois fils de Charlemagne, PĂ©pin, Louis et Charles. Les trois frĂšres s’engagĂšrent Ă  rester associĂ©s, pour ne pas disloquer l’Empire. Charles et PĂ©pin moururent cependant prĂ©maturĂ©ment, ce qui donna un sursis Ă  l’Empire, qui revenait intĂ©gralement Ă  Louis.

Le rĂšgne de Louis le Pieux

Louis le Pieux (r. 814 – 840) est associĂ© au trĂŽne dĂšs 813. À son accession au pouvoir en 814, il est formĂ© Ă  l’exercice du pouvoir. Il en outre un tempĂ©rament trĂšs religieux. Ordonnateur d’un empire chrĂ©tien dont il doit mener le peuple au salut, il sentait probablement la nĂ©cessitĂ© de protĂ©ger cet ensemble du morcellement. En tĂ©moigne, l’ordinatio imperii de 817, qui proclama empereur Lothaire, le fils aĂźnĂ© de Louis. À PĂ©pin et Louis le jeune, les deux frĂšres de Lothaire, Ă©churent respectivement les titres de roi d’Aquitaine et roi de BaviĂšre. L’Italie revint en lot Ă  Bernard, neveu de Louis le Pieux. Les royaumes n’avaient de royaume que le nom : ils Ă©taient plutĂŽt des comtats autonomes intĂ©grĂ©s au sein de l’Empire, sur des marches oĂč les populations Ă©taient susceptibles de se rebeller.

L’effondrement

Cet ensemble s’effondra rapidement. En 823, Judith, la seconde Ă©pouse de Louis le Pieux, mit au monde un quatriĂšme fils. Lothaire refusa un Ă©ventuel rĂ©amĂ©nagement de l’hĂ©ritage pour prendre en compte ce nouvel arrivĂ©. Il rassembla autour de lui une coalition hĂ©tĂ©roclite, composĂ©e des seigneurs dĂ©sireux de retrouver leur autonomie et de partisans de l’unitĂ© de l’Empire, en majoritĂ© des clercs. PĂ©pin et Louis le jeune rejoignirent Lothaire. Louis le Pieux est cependant abandonnĂ© par ses soutiens en 833 au Ă  l’occasion de l’épisode du « champ du Mensonge », devant l’armĂ©e de Lothaire. Il abdiqua. Mais les fils se divisĂšrent, si bien que PĂ©pin et Louis rĂ©tablirent leur pĂšre dans ses droits.

AprĂšs la mort de PĂ©pin en 839 et de Louis le Pieux en 840, Louis le jeune, devenu Louis le Germanique, et Charles, s’alliĂšrent contre Lothaire pour le battre Ă  la bataille de Fontenay-en-Puisaye en 841. Ils jurĂšrent en 842, Ă  Strasbourg, de s’aider mutuellement. La cĂ©rĂ©monie de serment dut ĂȘtre rĂ©citĂ©e en langue romane par Louis et en thiois (ancien allemand) par Charles car elle Ă©tait publique et devait ĂȘtre comprise par l’assemblĂ©e. Le serment de Strasbourg fut le premier document Ă©crit connu de langue romane.

Le traitĂ© de Verdun : la fin de l’Empire de Charlemagne

traité de verdun empire charlemagne division
Wikimédia Commons

En aoĂ»t 843, le traitĂ© de Verdun entĂ©rina la division de l’Empire carolingien. Charles obtint les terres de l’Ouest, Louis obtint les terres Ă  l’est du Rhin sauf la Frise, et Lothaire un territoire partant de la mer du nord jusqu’à l’Italie, comprenant Aix-la-Chapelle et Rome. Lothaire conserva le titre prestigieux d’empereur, bien que le territoire sur lequel il rĂ©gnait effectivement Ă©tait limitĂ©.

 

L’hĂ©ritage de Charlemagne

statue charlemagne paris
Statue de Charlemagne devant Notre-Dame de Paris | Wikimédia Commons

Charlemagne, pĂšre de la France ? 

Il paraĂźt difficile de dater la naissance de la France Ă  l’avĂšnement de Charlemagne. Les Allemands, les Belges, les Luxembourgeois, les NĂ©erlandais, les Suisses voire les Italiens peuvent se revendiquer de sa filiation. Ainsi, Jacques le Goff, en introduction Ă  une Histoire de la France , ne date la naissance politique de la France que des partages de l’Empire carolingien Ă  Verdun en 843, et Ă  Meersen en 847 et 851. La Francia occidentalis, l’entitĂ© qui naquit de ces partages, fut « la premiĂšre vĂ©ritable incarnation de la France politique ».

L’Empire carolingien, limon du royaume de France

L’Empire carolingien lĂ©gua nĂ©anmoins Ă  la future France des pratiques que reprendront la royautĂ© française en formation. Par exemple, comme les missi dominici carolingiens, les baillis et sĂ©nĂ©chaux avaient pour mission d’enquĂȘter sur les pratiques locales du pouvoir. Comme le relĂšve l’historien Jean-François Lemarignier, avec les Carolingiens, l’écrit fut mis au service des pratiques de gouvernement. Une hiĂ©rarchie des textes s’institua avec Ă  leur tĂȘte les capitulaires, et les textes furent conservĂ©s dans des bureaux des archives. Dans le domaine de la justice, la rĂ©habilitation de la procĂ©dure inquisitoire est Ă  mettre au crĂ©dit des Carolingiens.

La vie de Charlemagne selon Éginhard

Éginhard vie de Charlemagne
Enluminure des Grandes Chroniques de France représentant Eginhard | Wikimédia Commons

Éginhard, nĂ© autour de 770, a Ă©tĂ© Ă©duquĂ© au monastĂšre de Fulda et a rejoint la cour de Charlemagne en 791.  C’est lĂ  qu’il s’est liĂ© d’amitiĂ© avec l’empereur, au cours des derniĂšres annĂ©es de son rĂšgne, puis avec son successeur, Louis le Pieux. À la cour, l’activitĂ© politique d’Éginhard semble avoir Ă©tĂ© circonscrite. Il supervisait surtout la rĂ©alisation d’objets de luxe et la construction de bĂątiments. De cette activitĂ©, il a tirĂ© son surnom de « BĂ©lsĂ©lĂ©el », c’est-Ă -dire l’homme choisi par Dieu pour concevoir le Tabernacle. En 830, il s’attela Ă  son grand Ɠuvre : La vie de Charlemagne. L’écriture de cette biographie avait pour but de lĂ©gitimer le rĂšgne carolingien en l’inscrivant dans la lignĂ©e prestigieuse des empereurs romains. Pour cela, il s’inspire d’un classique de la littĂ©rature latine : La vie des douze CĂ©sars de SuĂ©tone.

Le rĂ©cit d’Éginhard fut une des sources principales de la « lĂ©gende de Charlemagne ». Il fut ainsi Ă  l’origine de la popularisation du mythe des « MĂ©rovingiens, rois fainĂ©ants, portĂ©s par un attelage tirĂ©s par des bƓufs ». Ce mythe justifiait la prise de pouvoir carolingienne.

Le discours de lĂ©gitimation d’Éginhard se sert aussi, et bien sĂ»r, du sacre de Charlemagne par le pape Étienne II. Le sacre atteste de la volontĂ© divine de voir les Carolingiens gouverner : 

La famille des MĂ©rovingiens, dans laquelle les Francs avaient l’habitude de choisir leurs rois, est rĂ©putĂ©e avoir rĂ©gnĂ© jusqu’à ChildĂ©ric, qui, sur l’ordre du pontife Étienne, fut dĂ©posĂ©, eut les cheveux coupĂ©s et fut enfermĂ© dans un monastĂšre. Mais, si elle semble n’avoir fini qu’avec lui, elle avait depuis longtemps perdu toute vigueur et ne se distinguait plus que par ce vain titre de roi.

La fortune et la puissance publiques Ă©taient aux mains des chefs de sa maison, qu’on appelait maires du palais et Ă  qui appartenait le pouvoir suprĂȘme. Le roi n’avait pus, en dehors de son titre, que la satisfaction de siĂ©ger sur son trĂŽne, avec sa longue chevelure et sa barbe pendante, d’y faire figure de souverain


Sauf ce titre royal, devenu inutile, et les prĂ©caires moyens d’existence que lui accordait Ă  sa guise le maire du palais, il ne possĂ©dait en propre qu’un unique domaine, de trĂšs faible rapport, avec une maison et quelques serviteurs, en petit nombre, Ă  sa disposition pour lui fournir le nĂ©cessaire. Quand il avait Ă  se dĂ©placer, il montait dans une voiture attelĂ©e de boeufs, qu’un bouvier conduisait Ă  la mode rustique


Éginhard passe ensuite en revue dans son rĂ©cit les conquĂȘtes et les hauts faits du rĂšgne Charlemagne.

Cette biographie, posthume, a cherchĂ© Ă  offrir un modĂšle de gouvernement aux dirigeants Ă  l’époque oĂč l’Empire carolingien implose. Charlemagne est prĂ©sentĂ© comme un modĂšle de « prince » : conquĂ©rant, prudent, missionnaire et protecteur de l’Église. Ainsi, Éginhard dĂ©peint Charlemagne comme juste, bienveillant, vigoureux, amis des arts et du christianisme. Il est dĂ©crit grand, souple et, dĂ©tail : imberbe ! Le clerc raconte en outre que Charlemagne avait sous son oreiller des tablettes et un stylet pour bĂ»cher l’écriture en cas d’insomnie. RĂ©mi Brague, auteur contemporain, a repris Ă  son compte dans Europe, la voie romaine (1992) le mythe du Charlemagne « Ă©colier » pour en faire un reprĂ©sentant typique de l’attitude des EuropĂ©ens face Ă  la connaissance :

L’attitude fondamentale qui a rendu possible l’histoire culturelle europĂ©enne est bien celle de Charlemagne. [
] Le pĂšre de l’Europe Ă©tait un illettrĂ©, mais il apprenait Ă  Ă©crire. Celui qui, pour nos images d’Épinal, est le pĂšre de l’école Ă©tait en fait lui-mĂȘme un Ă©colier, et du genre de ceux qui suivent les cours du soir. L’Europe est ainsi fait : comme son “pĂšre” [Charlemagne], c’est un continent illettrĂ© qui a appris Ă  lire ailleurs, qui a appris Ă  lire non le gaulois, le germain, etc., mais le latin et le grec.

Charlemagne était-il allemand ou français ?

Il est souvent question de faire de Charlemagne une figure fondatrice de la construction europĂ©enne.  En effet, il a la particularitĂ© d’ĂȘtre considĂ©rĂ© et par les Allemands et par les Français comme un de leurs grands rois. Mais, comme le montre cet entretien avec l’historien allemand Rolf Grosse, la vision qu’en ont Français et Allemand diverge quelque peu.

« L’origine carolingienne » des rois de France

Hugues Capet a renversĂ© les Carolingiens. Mais il a conservĂ© le titre de Rex Francorum, pour marquer la filiation avec la dynastie Ă©cartĂ©e. Une des grandes ambitions des CapĂ©tiens devint alors d’effacer les cĂ©sures entre MĂ©rovingiens, Carolingiens et CapĂ©tiens.  Le passage de la dignitĂ© de rex francorum de Louis V, le dernier monarque carolingien, et Hugues Capet, posait un problĂšme de taille de lĂ©gitimation, et pouvait toujours servir de base Ă  l’accusation d’usurpation. S’inscrire dans la continuitĂ© des Carolingiens, c’était aussi s’attribuer un ancĂȘtre prestigieux : Charlemagne. Cette rĂ©fĂ©rence devint d’autant plus essentielle pour les CapĂ©tiens que ceux-ci dĂ©veloppĂšrent peu Ă  peu un projet d’établissement d’une monarchie universelle, Ă  l’image de l’Empire romain ou carolingien. La Chanson de Roland, datant de la fin du XIIe siĂšcle, installa la figure de Charlemagne dans l’horizon de la littĂ©rature classique française. Un clerc français, le pseudo-Turpin (du nom d’un compagnon de Charlemagne, Turpin), produit vers 1140 une Histoire de Charlemagne et de Roland en latin. Traduite en français, elle eut une grande influence. Les rois de France se prĂ©sentĂšrent comme de nouveaux Charlemagne, empereur des derniers jours appelĂ© Ă  rĂ©gner pendant le Millenium, la pĂ©riode entre la mort de l’AntĂ©christ et le Jugement dernier. Louis VIII (1223 – 1226) aurait reçut une lettre mystĂ©rieuse et prophĂ©tique qui lui aurait annoncĂ© qu’il Ă©tait le nouveau Constantin, comme Charlemagne. 

La propagande carolingienne de Philippe Auguste

Philippe Auguste Charlemagne
Sceau de Philippe Auguste avec l’inscription PHILLIPVS DEI GRATIA FRANCORUM REX (« Philippe, par la grĂące de Dieu roi des Francs »), titulature dĂ©jĂ  prĂ©sente chez Charlemagne | WikimĂ©dia Commons

Philippe Auguste (r. 1180 – 1123), fils d’AdĂšle de Champagne, d’ascendance carolingienne, peut exploiter sa gĂ©nĂ©alogie avantageuse. Il s’en servit ainsi contre les prophĂ©ties d’origine normandes et anglaises qui annonçaient l’extinction des CapĂ©tiens aprĂšs la septiĂšme gĂ©nĂ©ration, celle de Philippe Auguste.  Vers 1200, Gilles de Paris composa pour le fils du roi, le futur Louis VIII, un Miroir des princes, le Karolinus, dont le personnage central est Charlemagne. Philippe Auguste est alors comparĂ© Ă  un « autre Charles » (alter Carolus). Dans une dĂ©crĂ©tale de 1204, le pape Innocent III Ă©crivit :

Charlemagne [
] de la race de qui descend comme on sait le roi de France lui-mĂȘme.

Guillaume le breton mit dans la bouche de Philippe Auguste avant la bataille de Bouvines (1214) les mots suivants :

Magnanimes, descendants des Troyens, distinguée race des Francs, héritiers du puissant Charles, de Roland et du preux Olivier, vous qui avez tout abandonné pour la foi du Christ


RĂ©alitĂ© et imagination se mĂȘlĂšrent dans la propagande royale. En 1216, la Cour des pairs est créée, avec pour mission de juger les grands procĂšs fĂ©odaux, au nom du roi. Elle Ă©tait composĂ©e de douze pairs de France, six ecclĂ©siastiques et six laĂŻques. Cette cour copia en rĂ©alitĂ©, selon Ferdinand Lot, le modĂšle des pairs de Charlemagne offert par les chansons de geste. En outre, au cours des sacres, on utilisait une Ă©pĂ©e, « Joyeuse », qui Ă©tait rĂ©putĂ©e avoir Ă©tĂ© celle de Charlemagne

Enfin, Philippe Auguste chercha au cours de son rĂšgne Ă  dĂ©montrer l’origine carolingienne de sa femme, Isabelle de Hainaut. La famille de cette derniĂšre avait en effet des prĂ©tentions carolingiennes. Le frĂšre d’Isabelle de Hainaut, Baudouin V, en cherchant Ă  prouver les racines carolingiennes de sa famille, fit Ă©tablir une version critique du livre du pseudo-Turpin et en offra une Ă©dition luxueuse Ă  FrĂ©dĂ©ric Barberousse. L’intense propagande de Philippe Auguste arriva Ă  ses fins lorsque son successeur, Louis VIII, arriva sur le trĂŽne. Elle permit Ă  la royautĂ© français d’affirmer « le retour Ă  la racine carolingienne » : c’est la thĂ©orie du reditus ad stirpem Caroli. Philippe Auguste fut donc le roi qui chercha Ă  la fois Ă  affirmer sa filiation avec les Carolingiens et qui abandonna le titre de roi des Francs, Rex Francorum, pour celui de roi de France, Rex FranciĂŠ.

Saint-Louis, Saint-Denis et Charlemagne

Saint-Louis, quand il fit construire la nouvelle nef de l’abbaye de Saint-Denis, la divisa en trois : au sud les MĂ©rovingiens et les Carolingiens, au nord les CapĂ©tiens et entre eux, marquant le relai entre les dynasties, Philippe Auguste et Louis VIII. Sur les vitraux de la cathĂ©drale de Chartres, il fit reprĂ©senter un Charlemagne nimbĂ© : saint Charlemagne

Charlemagne, un roi germanique canonisé

charlemage empereur chretien

Pour les Allemands, Charlemagne est en effet un roi germanique. L’empereur du Saint-Empire FrĂ©dĂ©ric Barberousse (r. 1155 – 1190) chercha mĂȘme Ă  le faire canoniser, et ce pour plusieurs raisons :

  • parer les prĂ©tentions françaises Ă  continuer l’Ɠuvre de Charlemagne ;
  • faire contrepoids Ă  Cologne, la plus importante citĂ© mĂ©diĂ©vale allemande, qui venait de faire venir dans sa cathĂ©drale les reliques des rois mages ;
  • faire dĂ©pendre sa propre lĂ©gitimitĂ© d’un empereur saint, pour contrer les prĂ©tentions de la papautĂ©.

En effet, Charlemagne est considĂ©rĂ© comme le fondateur du Saint-Empire. Luther (1483 – 1546), dans À la noblesse chrĂ©tienne de la nation allemande, chercha mĂȘme Ă  casser cette lĂ©gitimation carolingienne, en affirmant que LĂ©on III n’aurait pas eu le droit de confĂ©rer la dignitĂ© impĂ©riale Ă  Charlemagne en 800.

Charlemagne, bienheureux chrétien

L’antipape Pascal III (1164 – 1168) canonisa Charlemagne en 1165, sans qu’elle ne soit jamais entĂ©rinĂ©e par l’Église. On ne trouve pas Charlemagne dans le martyrologue romain, la liste officielle des saints. En revanche, Charlemagne est bienheureux : son culte est autorisĂ© en quelques lieux bien spĂ©cifiques, comme Aix-la-Chapelle, tous les 28 janvier. La figure de Saint de Charlemagne demeure a cependant infusĂ©. La chanson de Roland est traduite en allemand entre 1170 et 1185 par le curĂ© Conrad. Tout en Ă©liminant les allusions Ă  la France, il y prĂ©sente Charlemagne comme un saint, qui pleure des larmes de ferveur religieuse.

Une destinée mouvementée

La figure de Charlemagne est tantĂŽt vue positivement, tantĂŽt nĂ©gativement.  Ainsi, en Allemagne, autour d’Aix-la-Chapelle par exemple, l’image de Charlemagne est positive. Mais il arrive souvent que le public critique son rĂšgne, comme celui de conquĂȘtes violentes ponctuĂ©es de massacres.  En Basse-Saxe ou en Westphalie, une figure rivale a Ă©mergĂ© : Widukind. Certaines Ă©coles et lycĂ©es portent mĂȘme son nom aujourd’hui. En 1899, un statue est Ă©levĂ©e en son honneur Ă  Herford, en Westphalie. DĂ©truite pendant la derniĂšre guerre, elle fut reconstruite, tĂ©moignant de son importance pour la rĂ©gion. En France, Voltaire fit de Charlemagne un souverain inculte et soumis au clergĂ©. Michelet le considĂ©rait comme un Allemand et ne le placa pas dans la gĂ©nĂ©alogie nationale. Chez les nazis, la figure de Charlemagne ne fit pas l’unanimitĂ©. Rosenberg, l’idĂ©ologue du parti, le voyait comme le boucher des Saxons, mais Hitler en fit un modĂšle typique de Germain. Aujourd’hui en Allemagne, Charlemagne est un personnage europĂ©en, auquel on peut rendre hommage sans ĂȘtre taxĂ© de nationalisme. Un prix Charlemagne est dĂ©cernĂ© depuis 1950 Ă  Aix-la-Chapelle Ă  une personnalitĂ© ayant agit pour l’unitĂ© europĂ©enne. En 1988, Mitterrand et Kohl reçoivent le prix ensemble.

Charlemagne et Napoléon

Charlemagne Napoleon trone
Napoléon au trÎne de Charlemagne

Le territoire de l’Empire napolĂ©onien recouvrait peu ou prou celui de Charlemagne. NapolĂ©on a trouvĂ© dans l’empereur chrĂ©tien du Moyen Âge un rĂ©fĂ©rentiel auquel attacher son rĂšgne. Charlemagne apparut vite dans les rĂ©fĂ©rences napolĂ©oniennes. Ainsi, en 1803, NapolĂ©on songa Ă  faire Ă©riger une statue de Charlemagne au sommet de la colonne de la place VendĂŽme (mais c’est une statue de lui que l’on trouve aujourd’hui). Du 2 au 10 septembre 1804, NapolĂ©on vint se recueillir Ă  Aix-la-Chapelle, aprĂšs avoir Ă©tĂ© proclamĂ© empereur le 18 mai 1804. NapolĂ©on tenta de puiser de la lĂ©gitimitĂ© dans les lieux du souvenir carolingien, comme les empereurs du Saint-Empire avant lui, en se prĂ©sentant comme successeur de Charlemagne. Il reçut mĂȘme une relique de la part de l’évĂȘque local, une esquille de l’os de son bras droit. Au reste, NapolĂ©on se fit roi roi d’Italie le 28 mai 1805, comme Charlemagne qui se fit roi des Lombards. Le prĂ©sident du collĂšge Ă©lectoral de Tortone en Italie lanca d’ailleurs Ă  NapolĂ©on :

Vous avez rĂ©gĂ©nĂ©rĂ© l’Empire des Francs et le trĂŽne de Charlemagne enseveli sous les ruines de dix siĂšcles

Le tableau d’Ingres de 1806, NapolĂ©on Ier sur le trĂŽne impĂ©rial, reprĂ©sente l’empereur tenant un sceptre avec une statuette de Charlemagne Ă  son bout.

Napoleon Charlemagne Ingres

En conflit avec la papauté, il écrit alors au cardinal Fesch :

Dites bien que je suis Charlemagne !

 

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