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Aimer ce n’est point nous regarder l’un l’autre mais regarder ensemble dans la même direction : explication

Publié le 16/02/2023 (m.à.j* le 19/02/2023)
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« Aimer ce n’est point nous regarder l’un l’autre mais regarder ensemble dans la même direction » : cette célèbre citation qui circule souvent sur internet est un morceau d’une phrase de Terre des hommes (1939), recueil d’essais autobiographiques d’Antoine de Saint-Exupéry (1900 – 1944), grand prix du roman de l’Académie française.

Liés à nos frères par un but commun et qui se situe en dehors de nous, alors seulement nous respirons et l’expérience nous montre qu’aimer ce n’est point nous regarder l’un l’autre mais regarder ensemble dans la même direction. Il n’est de camarades que s’ils s’unissent dans la même cordée, vers le même sommet en quoi ils se retrouvent. Sinon pourquoi, au siècle même du confort, éprouverions-nous une joie si pleine à partager nos derniers vivres dans le désert ? Que valent là-contre les prévisions des sociologues ? À tous ceux d’entre nous qui ont connu la grande joie des dépannages sahariens, tout autre plaisir a paru futile. C’est peut-être pourquoi le monde d’aujourd’hui commence de craquer autour de nous. Chacun s’exalte pour des religions qui lui promettent cette plénitude. Tous, sous les mots contradictoires, nous exprimons les mêmes élans. Nous nous divisons sur des méthodes qui sont les fruits de nos raisonnements, non sur les buts : ils sont les mêmes.

Les Hommes, III

Cette superbe formule, qui a été reprise rapidement par la presse et les écrits du temps, est souvent présentée comme une citation d’amour pour dire à un proche que l’attachement que l’on ressent est fondé par une communauté de vues, de projets. Cependant, la tonalité de la formule Saint-Exupéry est autre. L’écrivain raconte le lien quasi religieux qui peut attacher des êtres tournés vers un but commun ou qui, plus simplement, passent par une expérience extrême, comme l’auteur lui-même. Cette réflexion lui a été en effet inspirée par son accident d’avion 1935 dans le Sahara libyen : il a failli mourir de soif avec son navigateur André Prévot après trois jours sous le soleil du désert, jusqu’à ce qu’un Bédouin les trouve. La solidarité organique qui a lié les deux hommes les a fait toucher le sentiment de la fraternité universelle, qui n’est pas sans rappeler par ailleurs l’idée de « sentiment océanique » développée par Romain Rolland (1866 – 1944). Le Bédouin est quant à lui apparu à l’écrivain comme la figure de l’Homme même, le frère sauveur. Le paragraphe se termine sur un appel voilé à la fraternité universelle : les buts des hommes sont les mêmes, seules les méthodes les séparent les uns des autres.