Découvrez comment cette expression, perçue comme un gage de franchise et de sincérité, s’est immiscée dans nos conversations quotidiennes, jusqu’à devenir un tic de langage révélateur de notre besoin d’authenticité et de connivence.
Je me souviens très bien de ce lundi matin, lorsque ma collègue Julie a interrompu la réunion avec un grand sourire : « On ne va pas se mentir, on a tous zappé le rapport du trimestre ». En un éclair, l’ambiance est passée de la tension au rire complice. Cette petite formule, prononcée comme un marqueur de franchise et de sincérité, semble tout droit sortie de notre langage courant, au point qu’on l’emploie sans même y songer.
Depuis quelques années, « on ne va pas se mentir » s’est invité à toutes les tables : en famille, autour d’un dîner, mais aussi sur les réseaux sociaux, où il s’affiche en légende de mèmes ironiques. Une émission de débat a même repris ce titre pour souligner son ubiquité dans le paysage médiatique. À l’instar de « soyons francs » ou « pour être honnête », cette tournure joue le rôle de sésame : elle nous autorise, semble-t-il, à bousculer les conventions et à exprimer un avis qui pourrait déranger.
Derrière cette formule, on sent la quête d’authenticité. Chez ma tante, dans le groupe de mamans de l’école, chacun l’emploie avant de confesser une boulette : « On ne va pas se mentir, j’ai encore oublié le goûter de Léo ! » Ce réflexe traduit à la fois le besoin de se disculper et celui d’impliquer l’auditoire : « toi et moi, on sait… ».
Pourtant, plus cette formule circule, plus elle se vide de son intensité. À force de la glisser en toute occasion — « on ne va pas se mentir, j’ai une flemme pas possible » —, elle perd sa force d’annonce et devient un simple tic de langage, un ornement creux.
Une formule hypocrite ?
Pourquoi ce besoin de précéder notre jugement d’une bouée de sauvetage linguistique ? En employant « on », nous traversons le miroir du « je » pour mieux convaincre : nous faisons passer un avis personnel pour une réalité collective. Cet artifice crée une connivence instantanée, masquant parfois une certaine pusillanimité : on préfère s’abriter derrière un « tout le monde » plutôt que d’assumer un propos à la première personne.
Cette posture reflète un dilemme de notre époque : l’honnêteté est applaudie, mais l’excès de franchise reste redouté. En coiffant nos phrases d’un « on ne va pas se mentir », nous adoptons le rôle du franc-parler, sans en payer le prix. Au fond, ce tic de langage illustre notre rapport ambigu à la vérité : nous aspirons à la transparence tout en craignant ses conséquences. N’est-ce pas là le paradoxe ultime ? « On ne va pas se mentir » : la formule qui nous permet de ne pas trop en dire.
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