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Victoire à la Pyrrhus : définition & origine [expression]

Publié le 28/06/2021
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Une victoire à la Pyrrhus signifie : un succès trop cher payé, une victoire obtenue au prix de si lourdes pertes que l’on ne peut en tirer avantage, une victoire qui épuise le vainqueur. 

Victoire à la Pyrrhus : origine de l’expression

Cette expression vient de la narration faite par des historiens antiques des victoires du roi d’Épire (à l’ouest de la Grèce), Pyrrhus (IVe – IIIe siècles av. J.-C.), sur les Romains. Selon La Vie des hommes illustres de Plutarque (I – II siècles ap. J.-C.), qui se fonde sur un historien contemporain des événements (Hiéronyme de Cardia), une première victoire de Pyrrhus sur les Romains à Héraclée (en -280 av. J.-C.) lui a coûté très cher en hommes :

Denys rapporte que les Romains ne perdirent guère moins de quinze mille hommes ; Hiéronyme dit seulement sept mille : suivant Denys, Pyrrhus perdit treize mille hommes ; et, suivant Hiéronyme, moins de quatre mille. Mais c’étaient les plus braves de ses amis et de ses généraux, ceux qu’il aimait le plus à employer, et en qui il se fiait le plus.

Plutarque surtout des propos défaitistes de Pyrrhus après une autre victoire, à Ausculum/Asculum, un an plus tard :

Comme ils étaient peu éloignés de leur camp la poursuite ne fut pas longue, et ils ne perdirent que six mille hommes, au rapport d’Hiéronyme ; il y eut trois mille cinq cents morts du côté de Pyrrhus, comme le portaient les registres mêmes du roi. Cependant Denys ne rapporte pas qu’il se soit livré deux combats près d’Asculum, ni que les Romains aient été décidément vaincus ; mais seulement qu’il y eut une bataille qui dura jusqu’au coucher du soleil, et qu’alors les armées se séparèrent à grand’peine, après que Pyrrhus eut été blessé au bras d’un coup d’épieu, et que les Samnites eurent pillé ses bagages ; et qu’il périt dans cette journée plus de quinze mille hommes tant du côté de Pyrrhus que du côté des Romains. Les deux armées se séparèrent donc, et l’on raconte que Pyrrhus répondit à un de ceux qui le félicitaient : « Oui, si nous gagnons encore sur les Romains une seule bataille, nous sommes perdus sans ressource. » En effet, il lui en avait coûté une grande partie des forces qu’il avait amenées, tous ses amis et ses généraux, à l’exception d’un petit nombre ; il ne savait comment réparer ces pertes, et il voyait ses alliés indigènes se refroidir, tandis que le camp des Romains, comme s’ils avaient eu chez eux une source inépuisable, se remplissait tout d’un coup et abondamment, et que leurs défaites, loin de leur faire perdre courage, ne faisaient qu’exciter leur colère, et leur donner une nouvelle vigueur et une ambition plus vive de bien terminer cette guerre.

L’historien Dion Cassius (II – IIIe siècles ap. J.-C.), dans son Histoire romaine, fait suivre le mot de Pyrrhus de la bataille d’Héraclée :

CXVIII. Plusieurs félicitaient Pyrrhus de sa victoire : il se montra heureux de la gloire qu’il venait de recueillir ; mais il ajouta que sa perte serait assurée, s’il remportait encore une victoire semblable. On raconte aussi que, plein d’admiration pour les Romains, malgré leur défaite, il les mit au-dessus de ses soldats. « J’aurais déjà conquis l’univers, disait-il, si j’étais leur roi. »

remacle.org

Le mot se trouve aussi dans l’Histoire contre les païens de Paul Orose (IVe – Ve siècles) :

Ne ego si iterum eodem modo uicero, sine ullo milite Epirum reuertar.

La guerre de Pyrrhus se termine après le retrait des Épirotes sur leurs terres après la bataille de Bénévent en 275. En français, « victoire à la Pyrrhus » et son équivalent, « victoire de Pyrrhus », sont apparus au XIXe siècle, mais il est difficile de dire qui a inventé le mot. 

Certainement, ce sont des victoires de Pyrrhus que celles qui laissent après soi de tels résultat. 

Journal de débat, 13 mai 1825

Le jour même où le parquet remportait cette victoire à la Pyrrhus, une députation de citoyens de Paris déposait à la chambre une pétition ainsi conçue […]

Le Charivari, 23 mai 1841

Voir ici : pourquoi dit-on passer sous les Fourches caudines ?

Exemples

Une victoire à la Pyrrhus : En mai 1945, la victoire soviétique est totale. Prague, Vienne, Berlin sont occupées, et l’aura antifasciste soviétique incontestée. En Extrême-Orient, l’URSS déclare la guerre à un Japon aux abois, ce qui permet à Staline de rétablir les frontières de la guerre russo-japonaise de 1904-1905. Il écarte Joukov dès 1946, inquiet de la popularité de son maréchal et du poids de l’armée face à son propre pouvoir. De fait, les anciens combattants exercent un magistère moral incontestable dans la société poststalinienne. La statue de Joukov, construite en 1995, trône aujourd’hui devant le Kremlin. 16Mais cette victoire est affreusement coûteuse : le pays est ravagé dans sa partie occidentale la plus riche, et 25 millions de militaires et civils sont morts, soit 16 % de la population de 1940.

Romain Ducoulombier, Nazisme, fascisme et communisme

Pour l’heure, en 1995, Jacques Chirac se retrouve dans une situation paradoxale. Certes, son ambition se réalise et, de surcroît, les néogaullistes reviennent au pouvoir dix-neuf années après la création en 1976 du RPR, machine de reconquête qui était déjà parvenue sur l’avant-dernière marche à deux reprises, en 1986 et 1993, dans le contexte il est vrai très complexe d’une cohabitation avec un président socialiste. Mais ce double succès de 1995 sera, d’une certaine façon, une victoire à la Pyrrhus : Jacques Chirac sera vite rattrapé par la « fracture sociale », qui avait pourtant constitué pour lui une sorte de tremplin.

Jean-François Sirinelli, La Ve République