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L’orthographe, ce n’est pas qu’une succession de règles figées : c’est le reflet d’époques, de combats culturels et parfois d’injustices sociales. En plongeant dans les archives, on découvre que derrière chaque accent et chaque lettre se dissimulent des choix parfois arbitraires, parfois élitistes… et parfois franchement cocasses.
Les lettres étymologiques : prestige ou parasite ?
Au XVIᵉ siècle, on s’est mis en tête de rappeler à tout prix l’ascendance latine du français — quitte à ajouter des caractères invisibles à l’oral. Ainsi, « cors » est devenu « corps » pour afficher son lien avec corpus, et « doigt » a gagné un « g » en hommage à digitum.
Anecdote : lors d’un jeu de Scrabble, j’ai vu mon oncle refuser le mot « cors » sous prétexte qu’il n’existait pas sans « p » !
Pour certains linguistes, comme Jacques Leclerc, ces ajouts offraient surtout aux copistes un moyen d’asseoir leur savoir latin et… de rallonger la note de frais, ces professionnels étant payés à la ligne. De là à parler de lettres parasites, il n’y a qu’un pas… invisiblement tracé dans notre écriture.
Des consonnes doubles, incohérences à foison
Qui n’a jamais hésité entre « nourrir » et « mourir », ou entre « carotte » et « échalote » ? Les doublements de consonnes obéissent à des principes étymologiques, phonétiques et analogiques qui s’affrontent depuis des siècles.
- On écrit nourrir mais mourir,
- détonner mais détonation,
- solitude mais sollicitude.
Selon Nina Catach, ces contradictions reflètent la collision de quatre grandes règles : historique, étymologique, analogique et phonologique. Autant dire qu’il serait trop simple de s’en remettre au bon sens !
Tentatives de simplification : l’exemple de l’Abbé D’Olivet
Au XVIIIᵉ siècle, l’Abbé D’Olivet s’est attaqué aux redondances : dans la troisième édition du Dictionnaire de l’Académie française (1740), il fait tomber un « b » dans « abaisser » et « abattre ». Un geste net, presque révolutionnaire, qui rappelle que l’orthographe se nourrit parfois de la volonté de réduire l’inutile.
Exemple réel : lors d’une conférence à la Sorbonne, un professeur a raconté comment, au fil des rééditions, certains lecteurs du Dictionnaire s’insurgeaient contre ces suppressions, craignant de perdre un morceau de la « noblesse » de la langue.
Le casse-tête du participe passé
Les fameuses règles d’accord du
participe passé occupent près de quinze pages dans le
Bon Usage. Inspirées de l’italien du XVIᵉ siècle, elles
ont survécu à l’évolution de la prononciation, devenant un
véritable défi pour élèves et journalistes.
En
2014, le Conseil international de la langue française
a soutenu une réforme qui
simplifierait tout à deux cas :
- Avec « avoir » : on n’accorde jamais.
- Dans tous les autres usages (verbes pronominaux, auxiliaire « être »…) : on accorde systématiquement.
Pourtant, malgré l’appui de nombreux spécialistes et d’associations pédagogiques en Belgique, au Québec et en France, cette proposition tarde à s’immiscer dans les manuels scolaires.
Vers une réforme nécessaire
Comme le souligne Sophie Piron,
linguiste chevronnée, toute réforme gagne à se glisser « dans
l’ombre » pour s’imposer doucement. L’orthographe, contrairement à
la langue parlée, reste prisonnière de ses institutions,
nécessitant un consensus long et minutieux.
Aujourd’hui, face aux
incohérences multiples et
aux règles qui dépassent l’entendement, nous sommes invités à
repenser notre code écrit. Accepter une réforme du participe passé,
c’est faire le pari d’une langue plus cohérente et réellement au
service de ses locuteurs.
En regardant l’histoire de l’orthographe, nous découvrons bien plus qu’un passé poussiéreux : nous trouvons des raisons de faire évoluer notre pratique, pour que l’écrit demeure un pont, non un obstacle, entre les générations.











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