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Le voile dans le Coran

Publié le 19/01/2019
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La question du voile est évoquée dans quatre versets du Coran, la parole de Dieu révélée à Mahomet selon les musulmans. On présente ici trois traductions de chacun de ces versets : celle de 1967 de Denise Masson (1901 – 1994), la traduction plus diffusée, celle de 2009 de Malek Chebel (1953 – 2016), dont le souci est d’être le plus intelligible possible, et celle de 1990 Jacques Berque (1910 – 1995), plus littérale.

 

Les versets coraniques sur le voile

voile islamique islam obligatoire
Le soir sur les terrasses, Jean-Joseph Benjamin-Constant, 1879 | Wikimedia Commons

Coran 24 (La Lumière), 31 :

Dis aux croyantes :
de baisser leurs regards,
d’être chastes,
de ne montrer que l’extérieur de leurs atours,
de rabattre leurs voiles sur leurs poitrines,
de ne montrer leurs atours qu’à leurs époux,
ou à leurs pères, ou aux pères de leurs époux,
ou à leurs fils, ou aux fils de leurs époux,
ou à leurs frères, ou aux fils de leurs frères,
ou aux fils de leurs sœurs,
ou à leurs servantes ou à leurs esclaves,
ou à leurs serviteurs mâles incapables d’actes sexuels,
ou aux garçons impubères.

Dis-leur encore
de ne pas frapper le sol de leurs pieds
pour montrer leurs atours cachés.

Ô vous les croyants !
Revenez tous à Dieu.
Peut-être serez-vous heureux !

Traduction de Denise Masson

Dis aux croyantes de baisser leurs regards, d’être chastes, de ne montrer de leurs atours que ce qui peut être vu, de rabattre leurs voiles sur leurs poitrines, de ne montrer leurs atours qu’à leurs époux, ou à leurs pères, aux pères de leurs époux, à leurs fils, aux fils de leurs époux, à leurs frères et aux fils de ces derniers, aux fils de leurs sœurs, à leurs suivantes, aux eunuques ou aux garçons impubères. Il n’est pas permis aux croyantes de frapper le sol de leurs pieds pour dévoiler leurs ornements cachés. Ô vous tous, croyantes, revenez à Dieu, peut-être saurez-vous être des bienheureux.

Traduction de Malek Chebel

Dis aux croyantes de baisser leurs yeux et de contenir leur sexe ; de ne pas faire montre de leurs agréments, sauf ce qui en émerge, de rabattre leur fichu sur les échancrures de leur vêtement. Elles ne laisseront voir leurs agréments qu’à leur mari, à leurs enfants, à leurs pères, beaux-pères, fils, beaux-fils, frères, neveux de frère ou de sœurs, aux femmes (de leur communauté), à leurs captives, à leurs dépendants hommes incapables de l’acte, ou garçons encore ignorants de l’intimité des femmes. Qu’elles ne piaffent pas pour révéler ce qu’elles cachent de leurs agréments.
Par-dessus tout, repentez-vous envers Dieu, vous tous les croyants, dans l’espoir d’être triomphants.

Traduction de Jacques Berque

Dans ce verset, le mot traduit par « voile » ou « fichu » est l’arabe khumur (au pluriel khumûrihinna). Pour Berque, ce verset recommande d’éviter l’exhibition provocante, et entend par « agréments » les parures et appâts corporels.

Coran 24 (La Lumière), 60 :

Il n’y a pas de faute à reprocher
aux femmes qui ne peuvent plus enfanter
et qui ne peuvent plus se marier,
de déposer leurs voiles,
à condition de ne pas se montrer dans tous leurs atours ;
mais il est préférables pour elles de s’en abstenir.
– Dieu est celui qui entend et qui sait –

Traduction de Denise Masson

Quand aux règles qui président aux femmes ayant atteint la ménopause et ne souhaitant pas se remarier, nul grief ne leur est fait si elles déposent leur voile, mais sans exhiber leurs atours. Cependant, il est préférable pour elles d’être chastes. Allah est Celui qui voit et qui sait.

Traduction de Malek Chebel

Les femmes ménopausées n’escomptant plus mariage, point de blâme pour elles à mettre bas leurs vêtements, à condition de ne pas exhiber quelque agrément. Toutefois, si elles s’en font scrupule, mieux sera-ce pour elles.
Dieu est Entendant, Connaissant.

Traduction de Jacques Berque

Dans ce verset, le mot traduit par « voile » ou « vêtements » est l’arabe thiyabahûm : leur vêtement (Chebel).

Coran 33 (Les Factions ou Les Coalisés), 53 :

Ô vous qui croyez !

N’entrez pas dans les demeures du Prophète
sans avoir obtenu la permission d’y prendre un repas,
et attendu que le repas soit préparé.

Quand vous êtes invités, entrez
et retirez-vous après avoir mangé,
sans entreprendre des conversations familières.
Cela offenserait le Prophète ;
il a honte devant vous,
tandis que Dieu n’a pas honte de la Vérité.

Quand vous demandez quelque objet
aux épouses du Prophète,
faites-les derrière un voile.
Cela est plus pur pour vos cœurs et pour leurs cœurs.

Vous ne devez pas offenser le Prophète de Dieu,
ni jamais vous marier avec ses anciennes épouses :
ce serait, de votre part, une énormité devant Dieu.

Traduction de Denise Masson

Ô vous qui croyez, n’entrez pas dans les demeures du Prophète, à moins que vous n’y soyez autorisés pour un repas. Ne soyez pas fureteurs, mais entrez lorsque vous y êtes invités. Retirez-vous aussitôt sans amorcer de longues discussions, car cela perturbe le Prophète qui éprouvera une gêne à vous le dire, mais Allah n’éprouve aucune gêne à dire la vérité. Et si vous venez demander un ustensile aux femmes du Prophète, faites-le derrière une cloison, car cela est plus pur d’intention pour ce qui est de vos cœurs et des leurs. Car il est inutile de mettre dans l’embarras de le Prophète, de l’offenser, de même que jamais vous n’épouserez ses femmes après lui, car cela aurait des conséquences extrêmement fâcheuses auprès d’Allah.

Traduction de Malek Chebel

Vous qui croyez, n’entrez pas dans les demeures du Prophète sans être invités à un repas, ni sans en attendre le moment. En revanche, quand vous y êtes invités, eh bien ! entrez. Après avoir mangé, dispersez-vous, sans devenir familiers (jusqu’à prolonger) l’entretien : cela blesserait le Prophète, mais la honte qu’il en éprouverait pour vous l’emporterait
Dieu pour le Vrai n’éprouve aucune honte !
Si vous avez un objet à demander à ses épouses, demandez-le de derrière une tenture : à quoi s’attache davantage de pureté pour votre cœur et pour le leur. Il ne vous appartient pas de blesser l’Envoyé de Dieu, non plus que d’épouser de ses femmes après lui
Cela jamais ! Ce serait en Dieu très grave.

Traduction de Jacques Berque

Ce verset recommande aux invités du Prophète de ne pas prolonger l’entretien dans sa demeure. Si lui, par bienséance, n’oserait avouer sa gêne, Dieu, lui, le signifierait aux invités. Dans celui-ci, le mot traduit par « voile », « cloison » ou « tenture » est l’arabe hijab, terme utilisé couramment aujourd’hui en français pour désigner le voile islamique. Mais celui-ci ne désigne pas forcément un voile dont se recouvre la femme : il peut désigner un rideau, une cloison, une tenture. Il est assimilable au verbe hajaba, « refuser, dissimuler, bloquer ». La traduction en farsi d’Aboul Foutouh Al-Razi dit pardeh, c’est-à-dire « rideau ». On trouve d’autres emplois de hijab dans le sens de « rideau » dans le Coran, comme dans la sourate 17 (Le Voyage nocturne), verset 45 :

Quand tu lis le Coran,
nous plaçons un voile épais
entre toi et ceux qui ne croient pas à la vie future.

Traduction de Denise Masson

Quand tu récites le Coran, Nous plaçons un voile épais entre toi et ceux qui ne croient pas à la vie future.

Traduction de Malek Chebel

Quand tu psalmodies le Coran, Nous posons entre toi-même et ceux qui ne croient pas à la vie dernière un rideau caché

Traduction Jacques Berque

 

Coran 33 (Les Factions, Les Coalisés), 59 :

Ô Prophète !
Dis à tes épouses, à tes filles
et aux femmes des croyants
de se couvrir de leurs voiles :
c’est pour elles le meilleur moyen
de se faire connaître
et de ne pas être offensées.
– Dieu est celui qui pardonne,
il est miséricordieux –

Traduction de Denise Masson

 

Ô Prophète, demande à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de rabattre sur elles leur voilette. C’est le meilleur moyen qu’elles ont de se faire connaître et de ne pas être importunées. Allah est Celui qui pardonne et qui est miséricordieux.

Traduction de Malek Chebel

 

Prophète, dis à tes épouses, à tes filles, aux femmes des croyantes de revêtir leurs mantes : sûr moyen d’être reconnues (pour des dames) et des d’échapper à toute offense
Dieu est Tout indulgence, Miséricordieux.

Traduction de Jacques Berque

Dans ce verset, le mot traduit par « voiles », « voilette » ou « mantes » est jallabib. Il peut aussi bien désigner une cape, un châle, une mantille, etc. Il est traduit par tchâdor dans la traduction farsi d’Aboul Foutouh Al-Razi. 

 

Des versets sur le voile ouverts à l’interprétation

On le lit, le Coran ne donne pas l’ordre clair et direct aux croyantes, les femmes musulmanes, de revêtir un voile sur leur tête. L’institution du voile comme commandement religieux est tirée de l’interprétation des versets cités ci-dessus. Au regard de la diversité du vocabulaire employé (hijab, khumur, jallabib), et de l’incapacité dans laquelle on se trouve à dire de quel vêtement il est question, il est possible que le souci principal n’ait pas été d’ordonner aux croyantes de revêtir un voile sur leur tête, comme pratique obligatoire et indiscutable à suivre pour la musulmane (comme l’est, par exemple, la prière pour tous les musulmans), mais d’établir des principes de bienséance, de préserver la pudicité au sein de la communauté des croyants, de protéger la chasteté des croyantes nubiles ou mariées et de répondre à certaines questions pratiques.

L’interprétation contraire est bien sûr possible. Ainsi, la femme ménopausée et qui ne va pas se remarier peut déposer le « voile » ou le « vêtement » qui préserve sa pudeur même si il lui est recommandé de ne pas le faire. Le corps de celles qui peuvent procréer et celles qui sont mariées doit en revanche être protégé des hommes extérieurs au cercle délimité par le verset 31 de la sourate 24. Les femmes mariées ou nubiles doivent être chastes, ne pas regarder les croyants étrangers au cercle, ne pas montrer leurs « atours ». Sur elles repose une partie de la charge de ne pas provoquer les importuns et les offenseurs. Cette charge ne repose pas entièrement sur le épaules des croyantes. Les hommes aussi doivent respecter l’exigence de pudeur, comme en atteste le verset 30 de la sourate 24 (La Lumière) :

Dis aux croyants :
de baisser leurs regards,
d’être chastes.
Ce sera plus pur pour eux.
– Dieu est bien informé de ce qu’ils font –

Traduction de Denise Masson

Dis aux croyants de baisser leurs regards et d’être chastes, cela est mieux pour eux. Allah est informé de tout ce qu’ils font.

Malek Chebel

Dis aux croyants de baisser leurs yeux et de contenir leur sexe : ce sera de leur par plus net.
Dieu est de leurs pratiques Informé.

Jacques Berque

Le verset 59 de la sourate 33, qui nous parle du hijab, semble lui répondre à une question pratique : selon quelles règles de bienséance les croyants doivent-ils se comporter chez Mahomet lorsqu’ils se rendent chez lui, et notamment vis-à-vis de ses femmes ?  Assurément, il n’aurait pas été décent, selon la société de l’époque, que les invités puissent voir les femmes du prophète de l’islam sans la protection offerte par un rideau ou une cloison. Même si le statut du Coran, parole directe de Dieu révélée au prophète Mahomet pour les musulmans, incite au littéralisme, une fenêtre d’interprétation reste ouverte aux croyants sur cette question. Les clercs ont fait un travail d’interprétation pour palier cette imprécision, et un consensus est établi parmi les différentes écoles sur l’obligation pour la croyante de porter une tenue enveloppante (voir l’article d’Annie Laurent).

Cependant, des interprètes modernes contestent cette obligationMohammed Chirani, Asma LamrabetCyrille Moreno Al Ajami dans une analyse très serrée du verset 31 de la sourate 24 et bien d’autres.  Son port est inversement recommandé par nombre de sites rapportant des positions plus traditionnelles. La dissimulation totale du corps de la femme est défendue par les courants les plus littéralistes, c’est-à-dire salafistes et wahhabites