La loi du 27 juillet 1884 sur le divorce, dite loi « Naquet », rétablit le divorce en France après son abolition par la loi Bonald du 8 mai 1816. Le divorce voté 1884 est semblable à celui institué sous l’Empire napoléonien par le Code civil en 1804. C’est un « divorce-sanction », selon l’expression de François Ronsin (Les Divorciaires, 1992), qui reconnaît trois causes, qui sont trois de types de faute :
- l’adultère ;
- les excès, sévices ou injures graves ;
- la condamnation de l’un des époux à une peine afflictive et infamante.
La loi Naquet introduit davantage de liberté et d’égalité au sein de la famille, mais avec timidité cependant. La jeune III République, née en 1870 mais dirigée par une majorité républicaine à partir de 1876, n’est pas revenue au divorce tel qu’il avait été instauré sous une forme très libérale par la Révolution en 1792. Elle ne prévoit pas, contrairement à ce qui était possible sous l’Empire malgré de fortes contraintes, le consentement mutuel (qui n’est rétabli qu’en 1975) : le mariage n’est donc pas un simple contrat entre parties qu’elles sont libres de rompre.
Évolution cependant, la femme peut désormais demander le divorce pour cause d’adultère de son mari, alors que cette cause était conditionnée dans le Code civil de 1804 au cas où le mari aurait hébergé sa concubine.
La dissymétrie entre l’adultère de l’homme et celui de la femme est toutefois maintenue au niveau pénal : la femme est punie plus lourdement. En outre, la femme ne peut se remarier avant dix mois après le divorce, de manière à ce que l’enfant de l’union terminée ne pourra être confondu avec celui de la nouvelle union. Enfin, il est à noter que l’époux coupable d’adultère ne peut se marier avec son complice.
Le père de la loi Naquet
L’adoption de la loi du 27 juillet 1884 est l’aboutissement des efforts d’un parlementaire aux idées d’avant-garde, Alfred Naquet (1834 – 1916), qui a fait du divorce le combat principal du début de sa carrière politique. Influencé par la pensée des socialistes utopiques et proche du socialiste libertaire Mikhaïl Bakounine (1814 – 1876), partisans de l’égalité des sexes, Naquet pense la liberté dans la famille comme symétrique de la liberté politique. Il voit la transformation de la famille comme un premier pas pour la mise en œuvre de réformes sociales. Dans un ouvrage de 1869, Religion, propriété, famille, pour lequel il est condamné, il plaide pour l’amour libre contre le mariage, institution d’origine religieuse qui perpétue des rapports de domination de la femme par l’homme.
Naquet a su modérer ses conceptions sur la famille afin d’obtenir un compromis sur le divorce. Il dépose une première proposition de loi en 1876, en prenant pour modèle la loi de 1792. Elle est rejetée après un rapport défavorable. Naquet prend acte du peu d’attrait du divorce révolutionnaire aux yeux du personnel républicain et modifie son projet. Il dépose en 1878 une deuxième proposition de loi, en s’inspirant cette fois du Code civil. Elle est rejetée, du fait notamment de l’absence de soutien unanime du camp républicain, qui craignait que cette réforme, qui ne suscitait pas la passion du public, et qui pouvait susciter l’hostilité des électeurs ruraux, ne fragilise sa jeune majorité et ne renforce les conservateurs. Mais l’insistance de Naquet met la question du divorce est mise à l’ordre du jour. Il multiplie les conférences dans différentes villes de France pour faire la propagande de son idée. Dans Le Divorce, publié en 1877, il présente la dissolubilité du mariage comme moralisatrice.
Le succès des républicains aux élections législatives de 1881 créé une situation plus opportune pour qu’ils s’organisent en faveur de la réforme. La proposition de loi de Naquet, déposée le 11 novembre 1881, est finalement votée à l’Assemblée, sans le consentement mutuel inclus au départ, par 335 voix contre 115, avec le soutien de Jules Ferry (1832 – 1893), alors président du Conseil, après de longs débats au Sénat (160 pour, 118 contre).
L’opposition de l’Église au divorce
L’opposition la plus vive est venue de l’Église. L’encyclique Arcanum divinae attaque dès 1880 le divorce comme un vecteur de sécularisation de l’État, dangereux pour une France menacée de revivre la période de dissolution révolutionnaire :
C’est ce que l’histoire elle-même nous apprend, par exemple, à la fin du siècle dernier. Pendant cette révolution ou plutôt cette dissolution de la France, alors que la société s’était sécularisée en chassant Dieu de son sein, on en vint finalement à sanctionner le divorce par les lois. Beaucoup de gens désirent aujourd’hui les voir remises en vigueur, parce qu’ils veulent bannir Dieu et l’Église et les chasser de la société humaine. Ils s’imaginent follement qu’il faut demander à de pareilles lois un remède suprême à la corruption croissante des mœurs.
Selon la conception de l’Église, la société, gouvernée selon les lois de Dieu, est antérieure à l’État qui donnerait, par le divorce, un pouvoir exorbitant aux citoyens. Le divorce menace de dissoudre les familles, la « société domestique », qui ensemble servent de fondement à l’État, selon la théorie de Louis de Bonald (1754 – 1840), le père de l’abolition. Il est relayé en France par Henri Didon (1840 – 1900), ou par l’évêque d’Angers, Charles-Émile Freppel (1827 – 1891), député du Finistère, qui prédit, dans un discours donné le 19 juillet 1884 contre la loi Naquet, le divorce entre la République et l’Église, et attaque les Juifs (Naquet étant juif), qualifiant la campagne divorciaire de « mouvement sémitique ».
La stratégie politique de Naquet
Contre ces attaques, Naquet présente sa loi comme moralisatrice pour la société : le divorce permet de mettre fin à de mauvaises unions, aux abus et renforce ainsi l’institution du mariage. Il réduit l’aléa des unions qui pourraient dissuader les jeunes gens à s’engager. L’argument de la menace pour la démographie est repoussé par l’exemple des pays étrangers, d’autant que le divorce avait été en vigueur, sous sa forme restreinte, pendant plus de dix ans en France.
Surtout, Naquet utilise l’anticléricalisme pour séduire les républicains : voter la loi, c’est voter contre l’influence de l’Église sur la société. L’indissolubilité du mariage découle de sa conception comme sacrement. L’abolition du divorce avait été la seule réforme d’envergure de la « Chambre introuvable », législature ultra-royaliste du début de la Restauration, qui voulait rétablir la prégnance de l’Église sur la société.
Par compromis, le dispositif de la séparation de corps est maintenu, facilité par la loi du 5 février 1893. Après trois ans, celle-ci pouvait être transformée en divorce sur demande d’un des époux. Le juge avait le pouvoir de refuser cette conversion, jusqu’à ce qu’elle devienne automatique par la loi du 6 juin 1908.
Un phénomène minoritaire
Le divorce est, à son rétablissement, un phénomène minoritaire mais en croissance : de 5 000 divorces en 1885, on passe à 9144 en 1894, 15 000 en 1913 (chiffres de Halpérin), 26 056 en 1938 et 56 612 en 1974, avant le rétablissement du consentement mutuel (chiffres du ministère de la Justice).
À lire
- Jean-Louis Halpérin, Histoire du droit privé français depuis 1804, Chapitre 2 – Les retouches du droit familial
- Theresa McBride, Public Authority and Private Lives: Divorce after the French Revolution, French Historical Studies, Vol. 17, No. 3, 1992
- Christophe Portalez, Alfred Naquet et ses amis politiques: patronage, corruption et scandale en République (1870-1898), La loi sur le divorce, Une loi fondatrice de la IIIe république
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