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Anacoluthe : définition simple & exemples (figure de style)

Publié le 28/09/2017
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Une anacoluthe est une figure de style par laquelle on opère volontairement (on le suppose…) une rupture dans la syntaxe. La construction grammaticale de la phrase est transformée pour lui donner un effet rhétorique. C’est une faute maîtrisée. La phrase se dirige vers le point vers lequel on l’attend, avant de prendre brusquement une autre direction. Elle est comme interrompue dans son cheminement. 

Exemple : « Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, la face du monde en eût été changée. » (Pascal, Pensées, 392). Dans cette phrase, le verbe aurait dû avoir « le nez » pour sujet. Le sujet « La face du monde » apparaît sans qu’on l’attende. Pascal veut surprendre en exprimant un saut intellectuel par cette étrange syntaxe : l’histoire a été comme modifiée par le nez de Cléopâtre ! Pascal, mathématicien de génie, établit un parallèle implicite entre deux longueurs : la taille du nez de Cléopâtre et la face du monde. On le comprend : l’anacoluthe est fréquente dans le langage parlé. 

Autre exemple : « Il a tout refusé, mais la noblesse de Rennes et de Vitré l’ont élu malgré lui » (Madame de Sévigné, Lettres). Dans cette phrase, le sujet est au singulier (la noblesse de Rennes et de Vitré) mais le verbe est au pluriel. 

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Effet de l’anacoluthe

L’anacoluthe permet de faire primer le sens sur la grammaire. Elle permet bien sûr de faire passer des émotions, des tourments, mais aussi de la surprise ! Elle permet surtout de faire ressortir dans la forme du texte la rupture sur laquelle veut insister l’auteur. La phrase, qui s’arrête en chemin pour prendre une autre direction, se rapproche alors du fil des pensées tel qu’il se déroule réellement.

Anacoluthe et l’anantapodoton

L’anantapodoton est une variante d’anacoluthe dans laquelle un des termes d’une expression alternative (soit…soit ; ou…ou ; d’une part…d’autre part, etc.) manque. Exemple « D’une part, tu vas te taire. ». On attendrait que la phrase se poursuive avec un « d’autre part ».

Étymologie d’anacoluthe

Anacoluthe vient du privatif grec an, et de acoulouthos, suiveur, compagnon. Anacoluthe signifie littéralement « qui ne suit pas ». 

Exemples d’anacoluthes

Exemples cités par le Gradus :

  • Elle berce et sourit à son enfant.
    On aurait pu écrire : « Elle berce son enfant et lui sourit ».

 

  • Le roman n’est pas pressé comme au théâtre.
    On aurait pu écrire « comme le théâtre ». 

Le vieillard eut raison l’un des trois jouvenceaux
Se noya dès le port, allant à l’Amérique ;
L’autre, afin de monter aux grandes dignités,
Dans les emplois de Mars servant la République,
Par un coup imprévu vit ses jours emportés ;
Le troisième tomba d’un arbre
Que lui-même il voulut enter;
Et pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre
Ce que je viens de raconter.

La Fontaine, Fables, Le Vieillard et les trois jeunes hommes

On aurait plutôt attendu que La Fontaine continue de parler des jeunes hommes (à qui « pleurés » s’applique). Mais l’auteur poursuit avec le « il » du vieillard comme sujet. 

Et moi, pour trancher court toute cette dispute,
Il faut qu’absolument mon désir s’exécute.

Molière, Les Femmes savantes, V, 4, Philaminte

La phrase commence par « Et moi ». Ce n’est pourtant pas le sujet de la phrase, qui se concentre sur le « désir » de Philaminte. 

Vous voulez que ce Dieu vous comble de bienfaits,
Et ne l’aimer jamais ?

Racine, Athalie, I, 4, Une autre voix

Racine utilise l’indicatif dans la première partie de sa phrase, puis l’infinitif

Et vous, qui lui devez des entrailles de père,
Vous, ministre de paix dans les temps de colère,
Couvrant d’un zèle faux votre ressentiment,
Le sang à votre gré coule trop lentement ?

II, 5

Il est a priori difficile de déterminer le sujet du participe présent « couvrant », qui s’applique finalement à « le sang ». 

O ciel ! plus j’examine, et plus je le regarde…
C’est lui ! D’horreur encore tous mes sens sont saisis.
Épouse de Joad, est-ce là votre fils ?

II, 7 

Ce Dieu, depuis longtemps votre unique refuge,
Que deviendra l’effet de ses prédictions?

II, 9

Ma foi sur l’avenir bien fou qui se fiera.

Les Plaideurs, I, 4

Je t’aimais inconstant, qu’aurais-je fait fidèle ? 

Andromaque, IV, 4, Hermione

« Inconstant » et « Fidèle » renvoient tous les deux à  » t’  » et pas à « je ».                                                                         

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

Baudelaire, Fleurs du mal, L’Albatros

On attendait plutôt un sujet au singulier (« Le Poète »), mais Baudelaire nous donne « ses ailes de géant ». Cette rupture syntaxique reflète la rupture qu’opère le poète avec la société. 

Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L’azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d’un mirage doré ;

Heredia, Les Conquérants

Espérant ne renvoie pas à « l’azur phosphorescent », comme pourrait le laisser penser la phrase dans un premier temps. 

Les autres éternellement sur nous, j‘étouffe ! 

Claudel, Première journée, Don Camille

Ils font un barouf au comptoir, que je suis forcé de dominer.

Céline, Guignol’s Band

Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable

Éluard, Au Rendez-vous allemand, Comprenne qui voudra

Lui qui aimait tant ses aises, une veste n’importe comment, un vieux pantalon, il n’aimait que ça, les vieux vêtements.

N. Sarraute, Le planétarium

Il y a ici volonté d’imiter le langage parlé. 

Et au moment où, parvenus sur la terrasse, leur regard se perdit d’un coup au-delà de la palmeraie, dans l’horizon immense, il sembla à Janine que le ciel entier retentissait d’une seule note éclatante et brève dont les échos peu à peu remplirent l’espace au-dessus d’elle, puis se turent subitement pour la laisser silencieuse devant l’étendue sans limites. 

Camus, L’Exil et le Royaume