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Le soufisme : qu’est-ce que c’est ? Définition

Publié le 29/05/2020
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Le soufisme est une des manières de vivre la religion islamique, avec le fiqh (le droit sacré), le kalam (la théologie) et la falsafa (philosophie). Ce n’est pas une des sectes ou un des courants de l’islam, comme le sunnisme et le chiisme, parce qu’il est pratiqué dans ces deux courants (mais c’est surtout un phénomène sunnite). En général, le soufisme est présenté comme un ensemble de pratiques mystiques, notamment ascétiques, par lesquelles les soufis (les musulmans qui se livrent à ces pratiques), organisés en ordres ou confréries (tariqa, طريقة, littéralement « voie » [vers la vérité de Dieu], au pluriel touruq, طرق), cherchent à cheminer vers Dieu, à se conjuguer à lui, à prendre conscience de son unité, qui est l’un des fondements de cette religion, ou à vivifier leur amour pour lui de telle façon qu’il devienne inconditionnel.

Pour atteindre cette plus grande compréhension de Dieu, les soufis cherchent à purifier leur « égo » (tazkiyyat-an-nafs, تزكية النفس), ce qui consiste à réprimer ses désirs mondains et à adopter un mode de vie frugal de renoncement (zuhd, زهد, envisager les choses du bas-monde avec distance) pour atteindre l’ihsan (إحسان) la perfection morale. Le but est de s’annihiler soi-même en Dieu (fanaفناء), se détacher des objets sensibles pour contempler les choses divines, avant d’atteindre le baqa’ (بقاء), l’état de « survivance » de l’âme dans la présence divine. Aux rituels ordinaires de vénération (prière, pèlerinage à la Mecque, aumône, jeûne du mois de ramadan, etc.) et au respect de la chariah,  les soufis ajoutent des exercices comme le dhikr (ذكر), c’est-à-dire le rappel ou la remémoration constante du pacte entre Dieu et l’Homme. Le dhikr consiste à psalmodier le nom de Dieu, « Allâh », ou des formules comme Lâ ilâha illâ Allâh (« il n’y a de Dieu que Dieu »). Ces déclamation peuvent être combinées à des techniques de respiration, ou des balancements de la tête, du visage, ou des danses collectives en rythme. Certains soufis peuvent y ajouter le sama‘ (سماع) c’est-à-dire l’accompagner de musiques, de chants ou de récitations de poésies, pour atteindre un état extatique et être plus proche de Dieu et des saints. Une des images les plus célèbres du soufisme est incarnée par les derviches tourneurs, ces soufis qui dansent en tournant sur eux-mêmes afin d’atteindre un autre état spirituel. Ils sont membres de l’ordre des Mevlevi (Mawlâwiyya), dont le poète iranien Roumi (1207 – 1273) est une des grandes figures. Une autre image du sama’ est donnée par le qawaliî, musique de dévotion soufie, rendue célèbre dans le monde par Nusrat Fateh Ali Khan (1948 – 1997). D’autres pratiquent aussi la méditation, mouraqaba (مراقبة) notamment les membres de la confrérie naqshbandi (نقشبندية). Elle consiste à essayer de se tourner vers soi pour mieux se rendre compte que tous les éléments qui entourent le croyant sont imprégnés par Dieu. Toutefois, les rituels varient en fonction des confréries, qui ont chacun une méthode et des techniques différentes.

Chaque confrérie soufie est placée sous l’autorité spirituelle d’un maître, murshid (مرشد), appelé aussi par le titre de respect cheikh (شيخ). Les cheikhs détiennent la baraka (بركة), le flux sacré, qu’ils ont chacun reçu de leurs propres maîtres, et eux-mêmes des maîtres qui les ont précédés, selon une chaîne initiatique, la silsila (سلسلة), qui remonte au fondateur de la confrérie et, avant lui, à Muhammad. Le culte de ces fondateurs de confrérie, considérés comme des saints ou amis de Dieu (walii, ولي), possesseurs d’une connaissance spéciale de Dieu (ma’rifa, معرفة), est une dimension notable du soufisme. La visite de leurs tombeaux ou cénotaphes fait souvent office de pèlerinage, au cours desquels les croyants y prient pour recevoir la baraka de ces maîtres. Ces pèlerinages peuvent rassembler des milliers de croyants, à l’occasion notamment des anniversaires de ces saints.

L’aspirant ou novice, mourid (مريد) pour s’affilier à une confrérie, doit suivre un rite initiatique au cours duquel il commence sa formation spirituelle (al-tarbiya, التربية), sous l’autorité de son maître, pourse transformer intérieurement et mener le combat contre son égo. Il doit répéter chaque jour le wirdou (ورد), litanie quotidienne composées de prières, de récitations de sourates coraniques ou d’incantations, en plus de ses prières (salat, صلاة). En général, son initiation se termine par une cérémonie, au cours de laquelle il reçoit un manteau symbolique, fait un serment d’allégeance (bey’a, بيعة) à son maître, ou scelle un pacte. Il lui est aussi énoncé les usages à respecter (adab, آداب).

Le soufisme, ou les tendances à l’ascétisme et au mysticisme, est apparu aux premiers temps de l’islam. Hassan al-Basrî (VIIe – VIIIe siècles), qui a vécu sous la califat d’Omar, est souvent pris comme modèle ascétique par des ordres soufis, tout comme Ali ibn Abi Talib (VII siècle), le quatrième calife. « Soufisme » traduit le terme arabe tasawwuf (ﭐلتصوف), terme postérieur aux premiers mouvements mystiques. Il signifie littéralement « le fait de porter de la laine », car les premiers pratiquants portaient des vêtements en laine (en arabe, souf, صوف), en signe de renoncement, comme les ascètes du christianisme oriental. Par extension, tasawwuf renvoie « au fait d’essayer de devenir un soufi ».

Le soufisme fait l’objet d’appréciations contrastées par les diverses tendances de l’islam. Des controverses éclatent à son propos dès les premiers temps de son existence, à propos du respect littéral de la chariah, l’ensemble des dispositions de la loi islamique. Le mystique Mansur al-Hallaj fut ainsi exécuté le 26 mars 922 en raison de certaines positions hétérodoxes. Cependant, le penseur Al-Ghazali (1058 – 1111), dans sa Revivification des sciences de la religion, passe pour être le principal réconciliateur entre les soufis et les fuqahâ (فقهاء), les spécialistes du droit musulman. Aujoud’hui encore, le soufisme est rejeté par les salafistes ou les wahhabites, qui lui reprochent l’innovation en religion (bid’a, بدعة), voire de l’idôlatrie (shirk, شرك « polythéisme », « associationnisme »). Dans d’autres pays, le soufisme est lié au pouvoir. Ainsi, la confrérie Boutchichiya est un allié important de la monarchie marocaine.

À lire

  • Julian Baldick, Mystical Islam: An Introduction to Sufism
  • Sabrina Mervin, Histoire de l’islam
  • Alexander Knysh, Sufism
  • Nile Green, Sufism, A Global History