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Tribune – Le Talmud : qu’est-ce que c’est ?

Publié le 08/03/2019 (m.à.j* le 28/03/2024)
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Si tout le monde connaît, au moins dans les grandes lignes, la Torah écrite, que les chrétiens appellent l’Ancien Testament, très peu connaissent réellement la Torah orale, le Talmud. Talmud signifie littéralement « étude » en hébreu. L’éducation religieuse des enfants juifs se fait aujourd’hui par le Talmud Torah : des classes d’étude de la Torah pour donner les fondements d’éducation religieuse à l’enfant. Torah est un mot hébraïque que l’on pourrait traduire par « manuel », « mode de fonctionnement ». Le Talmud, fondamentalement, serait alors l’étude de ce véritable « manuel de la vie » qui est, pour les juifs, le corpus hébraïque.

Il paraît compliqué de comprendre pourquoi les juifs auraient besoin d’un corpus supplémentaire à la Torah écrite, c’est-à-dire à l’Ancien Testament. Pourquoi celle-ci, émanant directement de Dieu, ne serait pas suffisante ? Le Deutéronome, un des livres de la Torah, dit que l’interprétation de ses préceptes doit être confiée aux sages des générations à venir, à un guide interprétatif :

Selon la doctrine qu’ils t’enseigneront, selon la règle qu’ils t’indiqueront, tu procéderas ; ne t’écarte de ce qu’ils t’auront dit ni à droite ni à gauche

Deutéronome 17 : 11

Cette partie du Deutéronome et de ce « guide interprétatif » a fondé le pouvoir d’interprétation de l’Écriture par l’Église catholique et sa légitimité à fixer des règles. La différence étant que l’Alliance ayant été ouverte par Jésus par les catholiques, ce ne serait plus au peuple juif d’interpréter la loi, mais aux descendants de saint Pierre, sur qui la nouvelle Alliance repose. Le Talmud est donc un des principaux travaux d’aboutissement et de commentaire de cette loi orale, produit en Babylonie et en Galilée, du IIIe à la fin du Ve siècle de l’ère chrétienne.

Le Talmud a suscité fantasmes et dénigrements de l’Europe médiévale à nos jours. Les livres du Pentateuque, des Prophètes et des Hagiographes, parties intégrantes du corpus chrétien, n’ont plus été attaqués sérieusement par la théologie chrétienne après la condamnation du marcionisme (144). Pour s’en prendre aux juifs, c’est donc le Talmud qui a été utilisé, à la fois par une frange antisémite de l’Église, mais aussi par toutes les autres formes d’antisémitisme, religieuses ou non.

À cette fin, de nombreuses citations tronquées, voire sorties sans vergogne de leur contexte, ont été utilisées pour montrer le caractère supposément atroce de ce texte. Pire encore : de faux Talmud ont été publiés à travers l’Histoire. Des citations de ces faux Talmud, composées de références absolument inexistantes, refont leur émergence sur Internet, prétextant que la loi orale des juifs prétendrait que les relations avec les enfants sont autorisées, qu’il faut mépriser et blâmer le non-juif, voire, pire, qu’il serait permis de le voler ou de le tuer.

Il est essentiel de combattre ces mensonges. 

Voir ici : la tradition juive des trois semaines

 

Le Talmud : une définition

talmud definition
Rabbi no. 2, Chagall, 1922 | Google Arts & Culture

 

Pour comprendre ce qu’est le Talmud, il faut tout d’abord revenir à l’histoire biblique

Tout part du Mont Sinaï. Moïse reçoit les Tables de la Loi et se voit inspirer les cinq livres de la Torah écrite.

Mais ses prescriptions restent difficiles à décrypter. En apparence, c’est un mélange de récits, souvent contradictoires les uns avec les autres, aux lois parfois sensées et accessibles, parfois très dures à comprendre et extrêmement floues. Par ailleurs, l’hébreu étant une langue consonantique, la Torah écrite n’a pas de voyelles. Elle est, en l’état, difficilement compréhensible sans l’aide de la tradition orale.

Sur le Mont Sinaï, Moïse aurait donc reçu les méthodes d’exégèse de cette Torah, ainsi que les principales modalités d’application de celle-ci. Petit exemple : le livre de l’Exode et le Deutéronome disent :

Tu les attacheras [ces paroles] en signe sur ta main et elles seront comme fronteaux entre tes yeux

Deut. 6, 5;10, traduction chabad.org

De quoi s’agit-il ? La loi orale joue aussi le rôle d’un véritable « mode d’emploi » : la Torah écrite parle ici des tefilin, les phylactères que les juifs mettent chaque matin au bras et sur le front. Certes, le sens allégorique et métaphorique n’est pas exclu, mais la logique du texte inspiré par le divinité incite à l’interprétation littérale. Alors, que sont ces phylactères ? En quel cuir doivent-ils être fabriqués ? Comment les mettre ? C’est à ces questions que la loi orale répond.

Si la loi orale est d’abord une œuvre de transmission orale de génération en génération de juifs, elle fait l’objet à certaines époques de compilations qui aboutissent progressivement au Talmud. En 587 avant l’ère chrétienne, le royaume de Juda est conquis par l’Empire néo-babylonien. Une partie de la population de Jérusalem est déportée à Babylone, puis, à la suite de la conquête de la Babylonie par l’Empire perse, les juifs se disséminent partout dans les métropoles perses. À la fin du VIe siècle avant l’ère chrétienne, l’empereur Cyrus II redonne aux juifs le droit de retourner sur leurs terres, après la proclamation d’un décret en 538 av. J.-C. Le Second Temple est construit. Environ un siècle plus tard, autour de 450 av. J.-C., le scribe Esdras, un des leaders politiques des juifs dans la Perse de l’époque, lance de nouveau un grand appel au retour sur la terre d’Israël. Les livres d’Esdras et de Néhémie, reconnus par le canon chrétien, sont rédigés, et la Grande Assemblée, constatant que la loi orale est partiellement délaissée par les juifs de l’époque, commence à compiler la tradition orale. Elle fixe le canon biblique en incorporant par exemple les livres des Prophètes et le livre de Ruth, et re-fixe certains fondamentaux de la loi orale, notamment sur le plan des règles d’exégèse biblique.

Les juifs font face à une situation inédite lorsque le Second Temple est détruit par l’Empire romain en 70 de l’ère chrétienne. La tradition orale avait jusque-là été transmise de maîtres à élèves génération après génération, mais l’instabilité politique et la perte de souveraineté totale des juifs sur leur terre crée l’angoisse de la disparition de la Torah orale. Au IIe siècle de l’ère chrétienne, le dirigeant Juda haNassi prend une décision capitale : il compile la loi orale. Au sein de six ordres composés de nombreux traités ainsi que des rajouts (beraïtot), il couche par écrit toutes les discussions qui ont agité les sages du peuple juif les derniers siècles à tous les sujets : de la façon dont le Shabbat (jour de repos où l’on honore Dieu) doit être pratiqué très concrètement jusqu’à la manière dont les juifs doivent prier.

C’est ce qu’on appelle la Michna, un corpus qui n’affirme rien en soit, mais retrace les discussions, les débats et les exégèses des sages de l’époque.

Dans les siècles qui suivent la compilation de la Michna, essentiellement entre le IIIe siècle et le VIe siècle de l’ère chrétienne, d’autres sages, les Amoraïm, à la fois en Judée, alors rebaptisée Palestine (du nom des Philistins de la Bible) par l’empereur Hadrien (117 – 138), et en Babylonie, commentent la Michna en cherchant à pousser le texte au bout de ce qu’il peut nous en dire, tout en le connectant explicitement à la Torah écrite.

  • En araméen, cela s’appelle la Guemara : c’est-à-dire l’ensemble de la Mishna et de ses commentaires.
  • En hébreu, ces commentaires sont baptisés Talmud, « étude ».

Deux Talmud se font alors face et se complètent : le Talmud de Jérusalem et le Talmud de Babylone. Face aux vagues de persécution de l’Empire byzantin qui commencent à atteindre durement les juifs de Galilée, le Talmud de Jérusalem est souvent considéré comme plus bâclé et est beaucoup moins étudié que le Talmud de Babylone, véritable cœur de l’étude juive jusqu’à nos jours. Les sources de la théologie chrétienne se séparent de celle du judaïsme : aux yeux des pères de l’Église l’Alliance est abolie par la venue de Jésus, et le monopole de l’interprétation passe aux mains de ce qu’ils jugent être le nouveau temple : l’Église romaine.

 

Ce que le Talmud ne dit pas

Fantasmes et fausses citations pullulent sur le Talmud. Il convient donc de montrer, d’abord, ce qu’il ne dit pas.

Le Talmud ne fixe pas de lois, mais commente des débats contenus dans la Michna et ses rajouts. Ce que l’on appelle la halakha, c’est-à-dire la « loi juive », n’est pas directement donnée par le Talmud. Certes, le Talmud apporte de nombreux éléments qui permettent de l’approcher, et nombre de passages tranchent sur certains sujets fondamentaux (par exemple sur les horaires de prière). La halakha, la loi, s’adapte en fonction des coutumes, des circonstances collectives. Aujourd’hui, elle est essentiellement fixée par le Choulhan Aroukh, recueil de halakha publié en Italie à la fin du XVIe siècle par le rabbi Joseph Karo (1488 – 1575).

De même, le Talmud ne traite pas, ou très peu, de mystique. Cela n’empêche pas les sages de l’époque d’avoir de très nombreuses discussions mystiques : pourquoi suit-on cette pratique ? Pourquoi le cuir doit-il être comme ci et pas comme ça ? Pourquoi la Création ? Ce n’est toutefois pas le cœur du sujet du Talmud, qui est une étude pure et dure. La mystique juive, la Kabbala, existe déjà de fait à l’époque, mais reste transmise uniquement de maître à — certains — élèves, à cause de son caractère éminemment secret (kabbala signifiant littéralement « transmission » ou « réception »). Il faut attendre d’autres persécutions, plus tardives, impliquant des risques de disparition de cette transmission, pour que la Kabbala ne soit progressivement couchée sur le papier et expliquée, à la fin du Moyen Âge et au XVIe siècle notamment. Son caractère très puissant et éminemment polémique au sein du monde juif en a toujours fait un sujet sensible : il convient donc, selon le Talmud stricto sensu, de ne pas trop se torturer avec des questions ésotériques, que l’on peut certes étudier, mais qui ne doivent pas passer au-delà de la loi au sens le plus rationnel du terme.

De nombreux faux Talmud ont par ailleurs émergé, notamment aux XVIIIe et XIXe siècles. Dès le XIIIe siècle de l’ère chrétienne, on brûle le Talmud en place public à Paris sous prétexte qu’il insulterait Jésus. Or, le Talmud ne parle jamais des chrétiens. Il se contente de chercher qui pourrait être Jésus, en désignant notamment un personnage qui aurait vécu au IIe siècle avant l’ère chrétienne. Mais il n’affirme jamais ouvertement qu’il s’agissait du Jésus historique. Ce n’est pas du tout le sujet du Talmud. Certes, la Trinité est une doctrine très critiquée par tous les juifs, l’unicité de Dieu étant le fondement de la foi juive, et Jésus n’est pas reconnu comme Messie, mais ni le rapport entre les juifs et les chrétiens, ni la personne de Jésus, ne sont jamais vraiment abordés.

Le rapport entre juifs et non-juifs est une des choses qui a le plus fait polémique. Le Talmud parle par moments des « non-juifs », mais des « méchants » (les rechaïm) ou des « idolâtres ».

  • La notion de « méchant » (rechaïm) est surtout conceptuelle : il s’agit de l’idée d’une personne, juive ou non-juive, absolument dépourvue de sens moral et de loi morale, qui n’a aucun intérêt pour le spirituel. Cette personne dénuée de conscience morale doit être honnie par la société. Cependant, peu nombreux sont les hommes dépourvus de sens moral. Cette réflexion autour de la notion de « méchant », juif comme non-juif, est surtout théorique. Beaucoup d’antisémites attaquant le Talmud ont remplacé, frauduleusement, réchaïm par « non-juifs », comme s’il s’agissait du synonyme juif de « mécréant » chez les musulmans (un mécréant étant tout simplement, dans l’islam, un « mal croyant », un non-musulman).

 

  • La notion d’idolâtre, dans le Talmud, désigne un individu dépourvu de règles de morale saines, qui ne croit pas en un Dieu unique mais prie des idoles au sens le plus strict du terme. Les musulmans ne sont absolument pas inclus dans cette catégorie en raison de leur monothéisme pur. En ce qui concerne les chrétiens, le jugement est plus complexe. Au XIIe siècle, le rabbin Maïmonide (1135 – 1204) a estimé que la Trinité et le culte des saints pouvait s’apparenter à une forme d’idolâtrie. Cependant les décisionnaires n’ont pas pour tradition de trancher abruptement : le christianisme n’idolâtrerait pas mais associerait à Dieu, et les chrétiens ne peuvent pas être ainsi considérés comme des idolâtres. De plus, les règles éthiques étant globalement les mêmes chez les chrétiens et chez les juifs, ils ne peuvent être concernés par les règles régissant les relations entre idolâtres et juifs.

 

  • Enfin, la notion de « non-juifs », renvoie à celle de goyim, un terme fréquemment utilisé dans le langage courant sans que sa signification soit claire pour autant. Goyim est simplement le pluriel de goy, qui est le mot hébraïque désignant une nation. Israël est, par exemple, considéré explicitement comme un goy par la Bible, et Dieu dit à Abraham que sortira de lui un goy : Israël. Le Talmud parle surtout de relations très formelles, souvent professionnelles, entre les juifs et les non-juifs. Toutes les règles rationnelles doivent être appliquées entre juifs et non-juifs, par exemple l’interdiction stricte du vol, l’honnêteté dans les affaires, les lois de politesse et de respect de l’autre, etc. En ce qui concerne les lois jugées irrationnelles et émanant uniquement de Dieu, comme l’interdiction du prêt à intérêt, elles ne concernent toutefois que les juifs entre eux selon le Talmud, puisqu’elles sont, par définition, incompréhensibles par des règles de pure philosophie morale.

On ne passera pas sur toutes les fausses citations du Talmud. L’auteur de l’article est néanmoins prêt à répondre, dans les commentaires, sans engagement total de sa part, aux citations fausses et tronquées du Talmud, et très souvent de faux Talmud que les sites antisémites se plaisent à ressortir jour après jour. Ces derniers n’hésitent pas à publier des citations tirées de traités qui n’existent pas. Par exemple, les passages cités dans le Talmud démasqué de J-B. Pranaitis (1861 – 1917), un prêtre lituanien, sont des faux inventés de toutes pièces. Ces faux vont jusqu’à inventer l’obligation rituelle juive délirante de pratiquer le meurtre des chrétiens.

Il est en outre très facile de sortir une citation du Talmud, en fait surtout de la Michna, de son contexte. La Michna est un recueil de discussions, où le but est d’opposer des points de vue très différents afin d’en tirer la loi. Deux écoles de pensées s’affrontent régulièrement : celle de Beth Shammaï, la plus dure, et celle de Beth Hillel.

Prenons un exemple parfois utilisé par les sites antisémites. Le traité Guittin est une partie de la Michna qui s’étend sur les cas dans lesquels un couple peut divorcer. L’école du Beth Shammaï dit que le divorce est possible uniquement s’il y a eu adultère. Le Rabbi Akiva, un docteur de la Micha, précise : le divorce doit être possible si l’homme n’aime pas physiquement sa femme. L’école du Beth Hillel ajoute : il doit être possible si la femme a mal cuit un plat. Or cela ne veut pas dire que la Michna dit qu’un homme doit brutalement divorcer de sa femme si elle a raté un plat. Cela veut dire que deux logiques s’opposent : une très dure avec les cas de divorce qui doivent être ultra-encadrés dans leur motif, une autre beaucoup moins dure sur le plan juridique. Mais cela contredit — heureusement — la vision juive selon laquelle la femme est naturellement plus proche de Dieu que l’homme, et où l’Autel pleure lui-même — métaphoriquement — sur le divorce entre deux conjoints, selon ce même Talmud. Dans cet exemple, la Michna ne fait simplement qu’évoquer un débat entre un groupe pour lequel le divorce doit être extrêmement conditionné, et un groupe pour lequel on doit être plus permissif, car un couple qui ne s’entend plus peut littéralement pousser les deux individus qui le composent à la destruction. On parle du cas le plus extrême : même pour le plus trivial des motifs, la loi ne devrait pas, selon certains, s’opposer au divorce, car tout finira, dans ce couple, par se transformer en drame. 

Autre exemple fallacieux : on pense que le Talmud tient « les non-juifs pour des bêtes ». Cette citation est tronquée. Le Talmud dit simplement que les adorateurs des étoiles ne sont pas appelés Adam (du nom du premier homme), mais fils d’Adam. Le Talmud parle des adorateurs des étoiles, qui ne sont pas pour autant traités comme des bêtes.

 

Ce que le Talmud dit

De quoi parle donc le Talmud ? De prime abord, les discussions entre les sages peuvent paraître très ennuyantes pour quelqu’un qui ne s’intéresse pas de près au judaïsme. Il s’agit tout d’abord, dans la Michna, de sujets « techniques », terre-à-terre. Par exemple, le premier traité, le traité Berakhot, parle des différentes bénédictions qu’un juif doit exprimer au quotidien. Le premier chapitre de ce même traité parle, lui, des heures auxquelles réciter une des principales prières juives, le Chema Israël, et des discussions entre les sages sur cette question.

Néanmoins, le Talmud ne s’arrête pas à ces questions très pointues. Les traités Baba Batra, Baba Metsia et Baba Kama sont, eux, de véritables codes juridiques, qui vont réglementer toutes les relations, à la fois entre les juifs même, et entre les juifs et les non-juifs. Il est clairement interdit par ces traités de voler les non-juifs, tout comme les juifs. En plus de la réprobation du vol, l’image du juif est salie. 

La Guemara ensuite, cherche à connecter la Michna à la Torah écrite. Une question typique peuvent donner : à quelle loi relier tel verset ? Comment relier, par des méthodes exégétiques codifiées, tel verset à tel autre verset ? Des règles de logique complexes sont utilisées par le Talmud. La subtilité de la réflexion talmudique en fait son intérêt et sa complexité. Il ne s’agit absolument pas de tirer des principes généraux et globaux. Ici, c’est d’exégèse et de commentaire qu’il s’agit, pas de philosophie — bien que des conceptions philosophiques s’expriment tout au long du Talmud — ni de mystique. On part de la lettre et on va à la lettre, sans trop gloser : on analyse, on décortique, on évoque tous les cas possibles, quitte parfois à aller jusqu’à l’absurde et à chercher le détail du détail.

Tout ce qui nous paraît de prime abord absurde dans le Talmud est ce qui le rend extrêmement actuel et intemporel. Dans son Introduction au Talmud publiée en 1985, depuis traduite en français et très facile d’accès, le rabbin Adin Steinsaltz (né en 1937) évoque le cas du Golem. L’existence ou non du Golem n’est pas ce qui est discuté par le Talmud. Le sujet, c’est de savoir si le Golem peut oui ou non compter dans un minyan, un groupe juif de prière censé être composé d’au moins 10 personnes juives majeures (traité Sanhedrin). Cette réflexion peut paraître absurde, mais tous les problèmes soulevés ici sont très actuels, puisqu’ils questionnent les fondements de notre identité d’êtres humains. Pour savoir s’il compte en minyan, c’est-à-dire savoir s’il a un statut d’être humain à part entière, on se demandera, en partant toujours de la Torah, quelles sont les qualités morales de son créateur, qu’est-ce qui définit son intelligence, sa sensibilité, est-ce qu’ont peut le tuer, est-ce qu’il peut avoir un libre arbitre et faire des choix moraux, et ainsi être intégré dans l’Alliance adamique, humaine, etc. Autant de questions qui sont aujourd’hui plus qu’actuelles, à l’heure du développement de la robotique et de l’intelligence artificielle.

Le Talmud tranche la question de l’universalisme : le judaïsme n’a pas vocation à être prosélyte. Le traité Yebamot énonce par exemple des conditions strictes imposées à celui qui souhaite se convertir — bien que la conversion n’est pas impossible, et qu’il est demandé à ce que le converti soit aimé par les autres juifs. Le traité Sanhedrin développe alors l’idée des lois noahides. S’il existe bien 613 commandements aux juifs donnés dans la Torah écrite et développées par la Torah orale, cela ne signifie pas pour autant qu’aucun commandement ne s’applique aux non-juifs : il doivent suivre sept commandements, donnés à Noé après le Déluge, qui sont des principes moraux généraux, à développer et à creuser, et dont le respect par chaque être humain permet son accès au monde éternel, ainsi que l’accès à une vie spirituelle. Le Talmud dit ainsi : si le judaïsme n’est pas prosélyte, c’est bien parce que les juifs ont une mission bien spécifique sur Terre, et que les non-juifs en ont une autre. À chacun sa voix, à chacun sa récompense.

C’est ainsi qu’il faut comprendre le mot d’Emmanuel Levinas (1906 – 1995) : « c’est pour l’humanité toute entière que le judaïsme est venu » (Israël et l’universalisme). Le Talmud laisse le droit à l’autre d’être l’autre, c’est-à-dire d’être lui-même, sans qu’il se convertisse. C’est ainsi qu’on pourrait résumer la philosophie qui se dégage parallèlement au Talmud : deviens toi-même. Cette idée se trouve dans le nom de la troisième parasha (« péricope », « chapitre ») du livre de la Genèse, dans les mots que Dieu a dit à Abraham : Lekh Lekha, « Pars pour toi », mais aussi, selon le rabbi Loubavitch (1902 – 1994) « Pars vers toi ».

 

Bibliographie

  • Adin Steinsaltz, Introduction au Talmud, 1985
  • Enseignements du rabbi de Loubavitch retranscrits par chabad.org.
  • Emmanuel Levinas, Israël et l’universalisme
  • La Torah écrite, la Torah orale et ses commentateurs.
  • Les responsa de leava.org et de torah-box.com