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Fondation de la CGT au congrès de Limoges : 1895

Publié le 19/01/2020 (m.à.j* le 27/03/2023)
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La Confédération générale du travail (CGT), confédération de syndicats ouvriers, est fondée à l’issue du congrès de Limoges, organisé du 23 au 28 septembre 1895, par les 75 délégués de 26 fédérations d’industrie (syndicats par branche) et de métier (syndicats par métier), 18 bourses du travail (des institutions locales d’aide à la recherche de travail pour les ouvriers, peu à peu transformées en syndicats fondés sur une zone géographique) et 126 chambres syndicales isolées.

La CGT naît d’une volonté d’organisation et d’unification du segment syndical du mouvement ouvrier français. Si ses racines sont anciennes, celui-ci se développe depuis l’autorisation des syndicats par la loi du 21 mars 1884 relative à la création des syndicats professionnels, dite « loi Waldeck-Rousseau », sous le deuxième gouvernement de Jules Ferry (1883 – 1885). Cette loi abroge la loi « Le Chapelier » du 14 juin 1791, qui interdisait les coalitions de travailleurs (les fonctionnaires acquièrent en 1946 seulement). La loi du 25 mai 1864, dite loi « Ollivier », avait instauré, sous le Second Empire (1852 – 1870), le droit de grève.

La CGT n’est pas la première tentative de confédérer le mouvement syndical en France. En effet, la Fédération nationale des syndicats (FNS) est fondée à l’issue du congrès de Lyon du 11-16 octobre 1886, deux ans après la loi Waldeck-Rousseau. Celle-ci est d’abord sous influence du guesdisme, du nom de Jules Guesde (1845 – 1922), homme politique socialiste, introducteur du marxisme en France et fondateur du Parti ouvrier (1882). Selon les guesdistes, le parti a le monopole de l’action politique. Le syndicat, simple instrument de la lutte des classes, doit donc lui être subordonné : il sert au recrutement et à la formation.

L’influence de l’anarchisme

Toutefois, le mouvement syndical français naissant, sous l’influence notamment de l’anarchisme (courant politique rejetant l’autorité de l’État et prônant la liberté individuelle, le libertarianisme de gauche), et d’autres courants plus spécifiques (blanquisme, allemanisme), se méfie des partis politiques organisés. Il revendique l’autonomie de son action. On parle de syndicalisme révolutionnaire (ou d’anarcho-syndicalisme selon une appellation péjorative guesdiste de l’époque ; Jacques Julliard parle de syndicalisme d’action directe), dont l’idée principale, qui se diffuse à partir de la fin des années 1880 (notamment au congrès de la FNS de Montluçon de 1887), est la grève générale, c’est-à-dire la réalisation de la Révolution, l’émancipation des travailleurs, la disparition du salariat et du patronat, par la cessation générale du travail. Les guesdistes perdent ainsi leur influence sur la FNS avec l’entrée de plus en plus d’anarchistes, pour qui le syndicalisme sert de « refuge » après l’échec des actions terroristes, réprimées par les « lois scélérates » de 1893 – 1894. Les guesdistes sont battus sur la question de l’adoption de l’objectif de grève générale aux congrès de Marseille en 1892 et de Nantes en 1894.

En parallèle, une Fédération nationale des bourses (FNB) est fondée les 7 et 8 février 1892 à Saint-Étienne. Concurrente de la FNS, elle rassemble des bourses du travail, institutions locales contrôlées pour la majorité par des anarchistes, et prône l’indépendance de l’action syndicale. La FNS est portée à partir de 1895 par un homme dynamique à la forte personnalité, Fernand Pelloutier (1867 – 1901), influencé par Pierre-Joseph Proudhon (1809 – 1865) et Mikhaïl Bakounine (1814 – 1876).

La création de la CGT est une fusion de deux types d’institutions syndicales, le syndicalisme de métier et d’industrie de la FNS, et le syndicalisme géographique des bourses de la FNB. Sa naissance est concomitante au développement du syndicalisme d’industrie au détriment du syndicalisme de métier et des bourses du travail. Les guesdistes, opposé à sa création car ils y voient à raison une menace ultime pour leur influence, y sont très minoritaires.

Difficultés et essor de la CGT

Mais les premières années de la CGT sont précaires : elle est désorganisée et les cotisations n’entrent pas dans les caisses ; les relations avec la FNB de Pelloutier, qui essaie de conserver l’autonomie de sa fédération, sont mauvaises ; la fédération des mineurs, seule branche qui connaît un syndicalisme de masse, se tient à l’écart (jusqu’en 1908), tout comme les ouvriers du tabac et les travailleurs de la marine. Au congrès de Toulouse en 1897, la CGT pose même la question de sa viabilité.

La CGT parvient cependant à prendre son essor après la mort de Pelloutier en 1901. Des figures notables arrivent à sa tête, comme Victor Griffuelhes (1874 – 1922), secrétaire de la confédération 1901 à 1909, et Émile Pouget (1860 – 1931), secrétaire adjoint, et chargé de La Voix du peuple, l’organe de presse de la confédération. La fusion totale de la FNB dans la CGT est décidée en 1902 au congrès de Montpellier.

La question des rapports du syndicalisme unifié avec son homologue politique se pose de nouveau après la création d’un parti socialiste unifié, la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière), au congrès du Globe en avril 1905. La tendance révolutionnaire, tenante de l’action directe avec pour perspective la grève générale, à laquelle appartiennent Griffuelhes et Pouget, est néanmoins largement majoritaire au sein de la CGT. Ce sont des partisans résolus de l’indépendance syndicale, anti-étatiste, qui refusent l’action parlementaire : le syndicalisme est vu par cette frange libertaire comme une alternative au système de la démocratie représentative. L’unité du parti socialiste est donc vue comme une menace. Les statuts constitutifs de la CGT adoptés à Limoges en 1895 disaient déjà en leur article premier que :

[…] Les éléments constituant la Confédération générale du travail devront se tenir en dehors de toutes les écoles politiques.

Source

C’est la motion adoptée le 13 octobre 1906 au congrès d’Amiens, surnommée « Charte d’Amiens » après la Première Guerre mondiale, qui a fait toutefois œuvre de déclaration d’indépendance et d’autonomie à l’égard de la SFIO, contre un projet d’alliance proposé par le guesdiste Victor Renard (1864 – 1914) :

[…]

En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre, en toute liberté, la transformation sociale.

Source

Cette orientation est confirmée par la déclaration du 20 août 1912 (dite « Encyclique »).

Un modèle singulier

L’orientation anarchiste-libertaire du syndicalisme français est  un modèle singulier en Europe. Au Royaume-Uni, les trade unions sont à l’origine de la formation du parti travailliste. En Allemagne, les syndicats sont liés au parti social-démocrate, le SPD, et sont de culture réformiste (améliorer la condition des travailleurs grâce à des réformes progressives, pas la révolution), voire révisionniste (critique du corpus marxiste). En France, la coupure avec le parti prive la SFIO d’une base ouvrière.

Le syndicalisme français d’avant la Première Guerre mondiale est aussi moins « massif » : la CGT compte à un pic de 390 000 adhérents environ en 1913 pour une population d’environ 8 millions de salariés. En 1914, les trade-unions comptent environ, 4 millions d’adhérents, soit 20% de la population active. En 1912, les syndicats libres (socialistes) en Allemagne connaissent un pic à 2,56 millions de membres

Malgré son discours révolutionnaire, la CGT pratique une action revendicative plus classique. Ainsi, en 1906, elle se sert de l’outil de la grève générale pour obtenir la journée de huit heures (objectif adopté au congrès de Bourges de 1904). L’opération, mal organisée, se solde toutefois par un échec (seul le syndicalisme réformiste d’Auguste Keufer [1851 – 1924] à la tête de la Fédération du livre, bien organisé, obtient des avancées). La grève de Draveil-Villeneuve-Saint-Georges en 1908 est un nouvel échec, après la répression menée par le ministre de l’Intérieur Georges Clemenceau (de 1906 à 1909) qui fait arrêter la plupart des dirigeants de la CGT. À l’arrivée de Léon Jouhaux (1879 – 1954) comme secrétaire en 1909, la politique de la CGT prend une tournure plus favorable aux réformes.

 

À lire

  • Dominique Andolfatto, Dominique Labbé, Sociologie des syndicats
  • Francis Démier, Histoire du XIXe siècle
  • Jean-William Dereymez, Naissance du syndicalisme, dans Histoire des gauches en France
  • Michel Dreyfus, Histoire de la CGT
  • Jacques Julliard, La charte d’Amiens, cent ans après
  • J. Julliard, Les Gauches françaises