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« À Tataouine » : signification & origine de l’expression

Publié le 14/02/2022
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« À Tataouine » est une expression qui signifie: dans un lieu très éloigné, très loin, dans un lieu imaginaire et lointain. On écrit aussi « tatahouine ».

Synonymes

à Pétaouchnok, à Perpète-les-oies, etc.

À Tataouine : origine de l’expression

Tataouine n’est pas un lieu imaginaire, mais une localité située au sud de la Tunisie, aux confins du désert. Le dernier bataillon d’Afrique y était localisé sous le protectorat français (1881 – 1956). Ces bataillons avaient un caractère spécial, puisqu’ils accueillaient des conscrits qui avaient fait de la prison avant leur incorporation.

Les bataillons d’Afrique, ou « Bat’ d’Af’ » étaient en effet assimilés à « Biribi », terme générique, oublié aujourd’hui, qui ne désignait pas un lieu précis, mais l’ensemble des structures disciplinaires et pénitentiaires de l’armée française en Afrique du Nord, et dont Dominique Kalifa (Biribi: les bagnes coloniaux de l’armée française, 2009) a fait l’histoire, Georges Darien un livre (1890), Albert Londres un célèbre reportage (Dante n’avait rien vu, 1924). En langage militaire, les camps de « Biribi » étaient nommés « corps spéciaux », et « bagnes militaires » par les journalistes. La discipline y était très stricte, la violence très présente. Ils déclinent à partir des années 1930. Tataouine ayant accueilli le dernier bat’d’af, jusqu’en 1956, et ayant fait l’objet de plusieurs reportages, l’opinion l’a gardée en mémoire.

Pierre Mac Orlan (1882 – 1970) a écrit un livre sur le sujet, Le Bataillon de la mauvaise chance (1933). Dans une recension, un journaliste raconte :

Mais d’abord, qu’est-ce que les Joyeux ? De jeunes Français appelés, comme les autres, à faire une année de service militaire, mais dont le casier judiciaire n’est pas intact : un minimum de six mois de prison suffit à les diriger vers cette formation spéciale. Ils n’y vont pas tous, mais tous ceux qu’on envoie au camp de Tataouine traînent derrière eux ce lourd handicap. Des criminels ? Sans doute ! Mais tous ne sont pas d’irrémédiables criminels et beaucoup, qui furent des enfants abandonnés ou bien soumis à de détestables exemples et passèrent leur jeunesse dans une colonie pénitentiaire sont plutôt des malheureux, des compagnons de la mauvaise chance, selon l’expression de Mac Orlan.

Les Dimanches de la femme, 15 octobre 1933

Dans Mémoires d’un vrai voyou (Frédéric Ploquin), le « voyou » William Perrin raconte : 

Puis ils m’ont expédié à Tataouine dans le sud du pays. Tu rencontrais les voyous de la France entière, de Paris à la Corse. On appelait ça les Bataillons d’Afrique, les Bat’ d’Af’. C’était l’école du crime. 

Au-dessus de la porte d’entrée, on pouvait lire ces mots : « Ici, on entre comme un lion et on sort comme un agneau. » La première chose qu’ils te faisaient, à l’arrivée, c’était de te raser la tête. […]

Les gradés, c’étaient des « cadres noirs » : ils étaient là parce qu’ils avaient fait des conneries, et cherchaient à se racheter. Eux aussi étaient en discipline, mais ils avaient l’impunité, et mieux valait faire le canard pour éviter leurs coups. Ils te traitaient comme un chien, même pas, parce que le chien ils le respectaient. Ils te considéraient pire qu’une bête.

Ils passaient leur temps à te dire : T’es une merde. Ils te faisaient chier toute la journée, en plus ils te frappaient. Prendre une tarte dans la gueule et pas répondre, c’est pas bon, mais si tu répondais, tu faisais une pige de plus à Tataouine. […]

On vivait dans des chambrées de trente au milieu du désert. Le sable était tellement fin que tu en avais jusque dans ton lit. […]

etc.

Il existe au Québec le verber « tataouiner », « hésiter, tergiverser », mais il n’a pas de lien avec les bataillons d’Afrique.

Tatooine est en outre, dans l’univers de La Guerre des Étoiles (Star Wars) une planète couverte d’un désert où a grandi Luke Skywalker.