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Le baptême de Clovis (vers 500) : histoire

Publié le 15/09/2019
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Le roi franc Clovis (~481 ~ 511) se convertit au christianisme à une date, en un lieu et dans des circonstances qui restent mal connus. Les sources historiques se rapportant à l’événement (« baptême de Clovis ») sont en effet réduites. Le seul texte contemporain au baptême de Clovis est une lettre que lui adresse l’évêque de Vienne, Avit (m. début du VIe siècle), pour le remercier de l’invitation à la cérémonie. Avit y loue la conversion de Clovis :

La divine Providence a trouvé un arbitre à notre temps. Le choix que vous faites pour vous-même, vous l’indiquez à tous : votre foi, c’est notre victoire.

La victoire que salue Avit est celle du christianisme dans sa version orthodoxe, le courant romain professé par le clergé gallo-romain (le christianisme nicéen ou trinitaire) dans lequel s’est engagé Clovis, contre l’arianisme. Cet autre courant du christianisme, considéré comme hérétique par le christianisme romain, a les préférences des Burgondes, qui dominent la vallée du Rhône, où officie Avit, et des Wisigoths, installés au sud-ouest de la Gaule et dans la péninsule ibérique. D’ailleurs, Avit charge Clovis de répandre la foi chez les hérétiques :

[…] que Dieu fasse que votre peuple devienne, tout entier, le sien par vos soins et que vous répandiez la semence de la foi chez des peuples plus éloignés, qui, étant resté dans leur ignorance naturelle, n’ont pas encore été corrompus par des dogmes dépravés.

La lettre d’Avit précise en outre que le baptême n’a pas eu lieu à Pâques, période habituelle, mais à Noël. Toutefois, amputée de ses premières phrases, elle ne donne pas d’information qui pourrait aider à déterminer le lieu et la date précise du baptême. Il est placé de manière traditionnelle en 496. Les historiennes Régine le Jan ou Marie-Céline Isaïa le datent plutôt de 506-507.

Grégoire, évêque de Tours, propose un récit de la conversion de Clovis dans son Histoire des Francs qui a longtemps fait office de vulgate. Il insiste sur le rôle de la reine Clotilde (morte vers 545), burgonde mais fidèle au christianisme romain, qui presse le roi de se convertir. Pendant une bataille contre les Alamans qui tourne en sa défaveur, Clovis élève les yeux au ciel et promet à Jésus-Christ son baptême s’il lui accorde la victoire. Le miracle a lieu : les Alamans prennent la fuite et leur roi est tué. Après un bref catéchumenat auprès de Remi, évêque de Reims, et après avoir convaincu son peuple d’abandonner ses anciens dieux, il est baptisé au cours d’une cérémonie somptueuse, et oint du saint chrême, avec trois mille de ses guerriers. La victoire est ensuite garantie par Dieu aux armées du roi chrétien.

Le récit de Grégoire de Tours, écrit entre 573 et 594, est nettement postérieur aux événements. Surtout, il ne cherche pas à transmettre des témoignages, mais à faire des Francs de nouveaux Romains, et de Clovis un nouveau Constantin, le premier empereur chrétien (306 – 337). Grégoire de Tours modèle en effet son récit sur le mythe de Constantin construit par Eusèbe de Césarée (III – IVe siècles). Comme Constantin à la bataille du pont Milvius (312), la Providence a accordé ses faveurs à Clovis lors d’une bataille décisive (la bataille de Tolbiac ?). Remi, l’évêque baptiste, correspond au pape Sylvestre Ier (270 – 335), à qui Eusèbe de Césarée attribue la conversion de Constantin, et Clotilde est Hélène (~ 250 – 330), la mère, chrétienne, de Constantin. Le chiffre des trois mille guerriers est un symbole qui renvoie aux trois mille baptisés par Pierre dans les Actes des Apôtres (2. 40 – 41). On peut supposer cependant que les hommes liés par serment à Clovis, qui forment sa truste, l’ont suivi dans le baptême.

Enfin, une lettre pastorale 565 de l’évêque de Trèves, Nizier, adressée à la petite-fille de Clovis, Chlodoswinde (vers 565), développe une autre mythologie : Clovis promet de se faire baptiser à Tours, à la vue des miracles réalisés sur le tombeau de Saint Martin.

Le baptême de Clovis : rapprochement entre Francs et Gallo-Romains

Si le baptême a pu peut-être faire figure, au regard du peu de sources disponibles, de non-événement pour ses contemporains, il est révélateur d’un processus de rapprochement entre les Mérovingiens, la dynastie à laquelle appartient Clovis, et les cadres gallo-romains, avant tout l’épiscopat, de l’Empire romain finissant. Childéric (Ve siècle), le père de Clovis, est gouverneur de la province romaine de Belgique seconde, installé sur les terres de l’Empire comme fédéré, en vertu d’un pacte, et qu’il est chargé de défendre. Païen, il a néanmoins de bonnes relations avec l’épiscopat et avec sainte Geneviève, la patronne des Parisiens (B. Dumézil), et avait accordé des privilèges fiscaux à l’Église.

Après son avènement, Clovis unifie les peuples francs sous son autorité et mène jusqu’en 508 une politique de conquête au sud de la Loire, au détriment des Wisigoths, et sur la vallée du Rhône, contre les Burgondes, avec cette fois moins de succès. Sa conversion au christianisme, question de la sincérité mise à part, pouvait lui apporter des bénéfices politiques : une légitimation de ses guerres, menées comme protecteur de l’Église contre les hérétiques ariens, et une assise plus forte aux conquêtes grâce au soutien des évêques, qui jouaient souvent le rôle d’administrateur civil. Clovis, comme dirigeant chrétien, dispose d’une légitimité bien plus forte que celle, plus fragile, de simple chef franc païen. Il peut prétendre plus légitimement, aux yeux de l’épiscopat, à se faire obéir et à lever l’impôt sur les populations chrétiennes, parce que tout pouvoir tient de Dieu. La conversion des élites franques, à la suite de celle de leur roi, permettait en outre les mariages avec les familles de l’élite gallo-romaine, et l’ouverture de carrières ecclésiales à des Francs. Apothéose de cet élan, Clovis organise un concile à Orléans en 511 rassemblant tous les évêque de la Gaule, et montre par là l’étendue de son règne.

Le baptême de Clovis comme date de naissance de la France

bapteme de clovis
Le baptême de Clovis, François-Louis Dejuinne (détail) | Wikimedia Commons

Le baptême de Clovis a fait figure d’événement inaugural de l’histoire de France dans la mythologie nationale. Cette vision est résumée par cette réponse du général de Gaulle à une question du journaliste américain David Schoenbrun, qui lui demandait en 1959 pourquoi il faisait référence aux 1500 ans et pas aux 2000 ans de l’histoire de France (Les Trois vies de Charles de Gaulle, 1965) :

Pour moi, l’histoire de France commence avec Clovis, choisi comme roi de France par la tribu des Francs, qui donnèrent leur nom à la France. Avant Clovis, nous avons la préhistoire gallo-romaine et gauloise. L’élément décisif pour moi c’est que Clovis fut le premier roi à être baptisé chrétien. Mon pays est un pays chrétien et je commence à compter l’histoire France à partir de l’accession d’un roi chrétien qui porte le nom des Francs.

Selon cette vision, le baptême de Clovis marque donc la date de naissance, symbolique du moins, d’une France qui est devenue France par la rencontre de la monarchie et de l’Église. Dès le Moyen Âge, le baptême de Clovis est transformé, dans la Chronique Frédégaire ou chez Hincmar de Reims (Vie de saint Remi, 877 – 880), en sacre. Il devient une source de légitimation pour les rois Capétiens. Cette cérémonie est d’ailleurs presque toujours organisée à Reims (à quelques exceptions près) à partir Henri Ier (1031 – 1060), dans un partage des tâches avec Paris, lieu d’inhumation de Clovis, qui s’impose comme capitale, et Saint-Denis comme lieu du tombeau. Dans les Grandes Chroniques de France, l’accent est mis sur la continuité dynastique avec Clovis (Régine le Jean) : il est fait premier roi de France.

Bien plus tard, au XIXe siècle, le baptême de Clovis est exploité par les apologistes catholiques dans une longue entreprise de reconquête des âmes, et une « bataille de mémoire » contre les tenants des principes révolutionnaires. Apparaît la notion de « France, fille aînée de l’Église », rappelant la vocation particulière de la France, premier royaume dirigé par chrétien non-hérétique, élue par la Providence, et chargé de la mission de protéger la foi et le pape. Si l’expression se retrouve sous la plume de Frédéric Ozanam (1813 – 1852), c’est le prédicateur Henri Lacordaire (1802 – 1861) qui la popularise, dans un discours prononcé à Notre-Dame de Paris le 14 février 1841, où il la lie à la conversion de Clovis : 

Non loin des bords du Rhin, un chef barbare livrait bataille à d’autres barbares : ses troupes plient ; il se souvient dans le péril que sa femme adore un Dieu dont elle lui a vanté la puissance. Il invoque ce Dieu, et, la victoire ayant suivi sa prière, il court se prosterner devant le ministre du Dieu de Clotilde : « Doux Sicambre, lui dit saint Remy, adore ce que tu as brûlé, et brûle ce que tu as adoré ». Ce Dieu, Messieurs, c’était le Christ ; ce roi, cette reine, cet évêque, cette victoire, c’était la nation franque, et la nation franque était la première nation catholique donnée par Dieu à Son Église. Ce n’est pas moi qui décerne cette louange magnifique à ma patrie ; c’est la papauté, à qui il a plu, par justice, d’appeler nos rois les fils aînés de l’Église. De même que Dieu a dit à Son Fils de toute éternité : Tu es Mon premier né, la papauté a dit à la France : Tu es ma fille aînée. Elle a fait plus, s’il est possible ; afin d’exprimer plus énergiquement ce qu’elle pensait de nous, elle a créé un barbarisme sublime : elle a nommé la France le Royaume christianissime, – Christianissimum regnum. Ainsi, primogéniture dans la foi, excellence dans la foi, tels sont nos titres, telle était notre vocation.

Le mythe du baptême Clovis culmine en 1896 lors des commémorations du quatorzième centenaire, organisées sans le concours de la République, année où le pape Léon XIII (de 1878 à 1903) déclare que :

C’est dans ce baptême mémorable de Clovis que la France a été comme baptisée.

Le mythe retombe ensuite, vaincu par les Gaulois et Vercingétorix, préférés par les Républicains, affaibli par le ralliement des catholiques à la République, et du fait de la germanophobie croissante des milieux nationalistes, embarrassés par ce chef germanique.

Il ne meurt pas cependant et fait l’objet de réapparitions sporadiques. Le pape Jean-Paul II (1978 – 2005) conclut son homélie prononcée au Bourget le 1er juin 1980 par cette célèbre interpellation, identifiant le baptême de Clovis à celui de la France :

France, Fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ?

On retrouve l’idée dans les discours de présidents de la République qui souhaitaient insister sur les rapports particuliers de la France avec l’Église. Ainsi Jacques Chirac déclare-t-il dans son allocution à Jean-Paul II le 20 janvier 1996 :

En septembre prochain nous célébrerons, en votre présence, le 1500e anniversaire du baptême de Clovis, qui a été sans doute l’un des actes fondateurs de la France. Cet événement marquera la force et la richesse du lien tissé au long des siècles entre la France et le Trône de Pierre.

Le président de la République Nicolas Sarkozy renouvelle l’opération, avec moins de nuance, dans son discours au Latran, prononcé le 20 décembre 2007 :

C’est par le baptême de Clovis que la France est devenue Fille aînée de l’Église. Les faits sont là. En faisant de Clovis le premier souverain chrétien, cet événement a eu des conséquences importantes sur le destin de la France et sur la christianisation de l’Europe.

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