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Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas : Malraux

Publié le 26/10/2020
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« Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas » : cette prophétie est souvent attribuée à André Malraux (1901 – 1976), écrivain et ministre de la culture (de 1959 à 1969) pendant la présidence de De Gaulle. C’est un lieu commun du discours intellectuel, cité à chaque manifestation du religieux dans la société. Le modèle de la formule est en outre exploité ad nauseam par tous ceux qui appellent à une « prise de conscience » sur tel ou tel sujet pour l’avenir : 

  • Le XXIe siècle sera poétique ou ne sera pas (culture.gouv.fr)
  • Le XXIe siècle sera celui de l’animalité ou ne sera pas (Nouvelobs.com)
  • Le XXI sera maritime ou ne sera pas (Lexpress.fr)
  • Frédéric Worms : « Le XXIe siècle sera le siècle de la santé publique ou ne sera pas ! » (marianne.net)
  • etc.

Malraux n’a pourtant jamais écrit cette prophétie. Mais elle ne serait pas apocryphe pour autant. Brian Thompson, professeur de français à l’université du Massachusetts, affirme, dans un article publié en 2008 dans la Revue André Malraux Review, que Malraux lui a dit mot pour mot que le « XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas » au cours d’une interview donnée à Verrières-le-Buisson en 1972. L’ancien ministre en serait donc l’auteur, malgré des dénis de paternité retrouvés dans ses manuscrits, ou un déni affirmé au cours d’une interview donnée au Point en 1975 :

On m’a fait dire que le XXIe siècle sera religieux. Je n’ai jamais dit cela, bien entendu, car je n’en sais rien. Ce que je dis est plus incertain. Je n’exclus pas la possibilité d’un événement spirituel à l’échelle planétaire.

Citée par Brian Thompson

 

Voir ici : « Veni, vedi, vici », pourquoi César a-t-il dit cela ?

 

« Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas » : éclairage

Comme le laisse deviner la dernière phrase, et comme l’analyse Brian Thompson, cette sentence n’est pas un appel au rétablissement de la domination d’une religion sur le monde, mais l’expression d’une profonde préoccupation pour l’avenir de la civilisation moderne. Avec le développement de la technique, l’humanité est capable des plus grands exploits, comme envoyer des spationautes sur la Lune, ou de s’autodétruire avec la bombe nucléaire (les États-Unis ont envoyé deux bombes nucléaires sur le Japon en 1945, sur les villes d’Hiroshima et de Nagasaki, au cours de la guerre du Pacifique). En même temps, selon Malraux, l’humanité, ou du moins sa partie occidentale, perd le sens de l’existence, ne voit plus de raison de vivre, n’a plus une transcendance pour la guider, ce qui pourrait la mener à un suicide collectif avec sa puissance technologique.

C’est pourquoi le XXIe siècle « sera religieux », c’est-à-dire que la civilisation retrouvera une transcendance, des principes qui la guident, « ou ne sera pas », c’est-à-dire qu’il s’autodétruira.

Malraux subodorait donc le retour d’une crise de civilisation pour les temps à venir, provoquée par le retour éventuel d’une spiritualité, d’une religion ou d’un phénomène nouveau (« quelque chose dans l’ordre de l’esprit ») comme réponse au « vide » central de l’existence humaine moderne. Il a ainsi écrit à son ancien collaborateur André Holleaux en octobre 1975 :

Le siècle prochain pourrait connaître un grand mouvement spirituel : nouvelle religion, métamorphose du christianisme — aussi imprévisible pour n[ou]s que le fut celui-ci pour les philosophes de Rome, qui prévoyaient la fin, croyaient (supposaient) que le successeur serait le stoïcisme, ne pensaient pas aux chrétiens.

André Frossart (1915 – 1995), journaliste catholique, autre témoin auriculaire de cette prophétie, aurait largement contribué à faire connaître cette prophétie, en la « soufflant » (Didier le Fur, 100 citations historiques expliquées) au pape Jean-Paul II (1978 – 2005), qui la cite à la fin de son livre Entrez dans l’espérance (1994).