Ce qu’il faut retenir
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L’expression est née de la pratique guerrière des chevaliers changeant de monture pour le combat.
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Le “grand cheval” ou destrier symbolisait la puissance et la domination physique au Moyen Âge.
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Le christianisme a renforcé l’association entre le grand cheval et l’orgueil moral dans l’imaginaire collectif.
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L’expression existe dans plusieurs langues européennes, témoignant d’un héritage culturel commun.
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S’emporter est une stratégie de domination psychologique qui imite l’élévation physique du chevalier.
Avez-vous déjà entendu quelqu’un “monter sur ses grands chevaux” lors d’une discussion anodine ? Cette expression colorée de la langue française surgit souvent dans nos conversations quotidiennes. Elle évoque immédiatement l’image d’une personne qui s’emporte soudainement, prend de la hauteur pour mieux dominer son interlocuteur. Mais d’où vient réellement cette expression ? Quelles sont ses origines historiques et comment a-t-elle évolué jusqu’à aujourd’hui ? Plongeons ensemble dans l’univers fascinant de cette locution ancrée dans notre patrimoine linguistique.
Définition moderne et usages contemporains
“Monter sur ses grands chevaux” signifie aujourd’hui s’emporter face à une situation, réagir avec colère et indignation. L’expression désigne une personne qui adopte un ton hautain, qui réprimande autrui avec arrogance, qui se place en position de supériorité morale ou intellectuelle. Vous reconnaissez certainement ce comportement chez certains de vos interlocuteurs, peut-être même chez vous-même dans des moments d’agacement intense.
Cette expression s’emploie généralement dans un contexte de désapprobation. Quand on dit de quelqu’un qu’il “monte sur ses grands chevaux”, on suggère qu’il exagère sa réaction, qu’il en fait trop. La désapprobation est implicite. Pourquoi cette réaction disproportionnée ? Est-elle vraiment nécessaire ?
Dans le langage courant, vous pourriez l’entendre sous différentes formes :
- “Ne monte pas sur tes grands chevaux pour si peu !”
- “Il est monté sur ses grands chevaux dès que j’ai mentionné le sujet.”
- “Elle a tendance à monter sur ses grands chevaux lorsqu’on critique son travail.”
Les origines médiévales de l’expression
L’expression “monter sur ses grands chevaux” puise ses racines dans le monde médiéval de la chevalerie. Pour comprendre son origine, il faut remonter à l’époque où le cheval était un élément central de la société guerrière. Les chevaliers disposaient de différents types de montures selon les circonstances – une réalité aujourd’hui largement oubliée mais essentielle pour saisir la portée de cette expression.
Les différents types de chevaux au Moyen Âge
Au Moyen Âge, un chevalier possédait généralement plusieurs types de chevaux, chacun ayant une fonction spécifique :
Le palefroi était le cheval de voyage, utilisé pour les déplacements quotidiens. De taille modeste et d’allure douce, il permettait de parcourir de longues distances sans trop de fatigue. C’était la monture du quotidien, celle qu’on utilisait en temps de paix.
Le destrier, en revanche, représentait le véritable cheval de bataille. Plus grand, plus puissant et spécialement entraîné pour le combat, il était aussi appelé “grand cheval”. Ces montures étaient précieuses, coûteuses et symbolisaient le statut social élevé de leur propriétaire. Le destrier était mené par l’écuyer qui le tenait à sa droite (d’où le terme “destrier”, dérivé de “dextre” signifiant la droite) jusqu’au moment du combat.
Cette distinction est cruciale. Quand l’ennemi apparaissait, le chevalier délaissait son palefroi pour monter sur son grand cheval – son destrier de combat. Ce changement de monture signalait le passage d’un état pacifique à un état belliqueux, d’une disposition calme à une attitude combative.
Le symbolisme de la hauteur et de la domination
La dimension symbolique ne doit pas être négligée. Monter sur un grand cheval permettait littéralement de dominer physiquement l’adversaire. Plus le cheval était grand, mieux le chevalier surplombait son ennemi, lui conférant un avantage tactique et psychologique indéniable.
Cette supériorité physique s’est progressivement métaphorisée pour désigner une attitude morale. La hauteur littérale est devenue une hauteur figurée. L’acte de monter sur son grand cheval pour combattre s’est transformé en métaphore de l’emportement et de la posture dominatrice dans une confrontation verbale.
Type de cheval | Utilisation | Symbolisme |
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Palefroi | Voyage, quotidien, temps de paix | Calme, sérénité, humilité |
Destrier (grand cheval) | Combat, tournoi, guerre | Puissance, colère, domination |
L’évolution historique de l’expression
L’expression “monter sur ses grands chevaux” n’est pas apparue d’un coup dans la langue française. Elle s’est construite progressivement, au fil des siècles, sa signification s’affinant avec l’évolution de la société et des mœurs.
Les premières occurrences textuelles
Les recherches étymologiques permettent de dater les premières utilisations de cette expression vers la fin du XVIe siècle. Les sources historiques mentionnent notamment une occurrence avant 1592 chez Montaigne sous la forme “monter sur ses grands chevaulx” avec le sens de “s’emporter”.

Avant cette période, le syntagme “grands chevaux” existait déjà à la fin du Moyen Âge comme synonyme de “destrier”. Les “Chroniques royales” mentionnent par exemple “Loys de Blet, Varlet des grans chevaulx de nostre oncle le duc de Berry”, attestant de l’usage concret de ce terme pour désigner les montures de combat.
L’appellation “caballus magnus” (grand cheval en latin) apparaît dans une vie d’Édouard II d’Angleterre, suggérant que le terme était suffisamment répandu pour être traduit en latin médiéval dès la fin du XIIIe ou le début du XIVe siècle.

Du concret au figuré : la métaphorisation
La transformation de l’expression d’un sens concret (monter réellement sur un grand cheval de bataille) à un sens figuré (adopter une attitude hautaine) s’est opérée progressivement. Le verbe “monter” lui-même a joué un rôle essentiel dans cette évolution sémantique.
Dès la fin du XIIe siècle, l’expression “en grant ire muntez” (monté en grande colère) utilisée par Guernes de Pont-Sainte-Maxence montre que le verbe “monter” était déjà associé à l’idée d’un crescendo émotionnel, particulièrement en matière de colère.
D’autres expressions parallèles comme “monter sur ses ergots” en moyen français témoignent de cette tendance à utiliser l’élévation physique comme métaphore d’une attitude émotionnelle dominatrice ou agressive. Cette évolution linguistique aboutira plus tard à un emploi du participe passé “monté” au sens de “élevé, hautain”.
Le symbolisme du cheval dans la culture médiévale
Pour comprendre pleinement l’origine de l’expression, il est nécessaire d’examiner le symbolisme du cheval dans la culture médiévale, particulièrement à travers le prisme du christianisme qui a profondément influencé les représentations de l’époque.
Le grand cheval comme symbole d’orgueil
C’est le christianisme qui a introduit dans les textes le symbole du grand cheval comme représentation de l’orgueil. Ce symbolisme se trouve déjà dans le livre de Job, et les pères de l’Église en ont fait un usage abondant dans leurs écrits. Cette symbolique s’accompagnait souvent de celle du cheval noir, incarnation du diable.
Un texte médiéval exploitant particulièrement ce motif est “La Queste du Graal”. Dans ce récit, la symbolique est explicitée par les commentaires d’un ermite transmettant les enseignements de la pensée cistercienne. Gauvain et Hector rêvent, l’un de taureaux, l’autre que Lancelot et lui-même sont montés sur de grands chevaux. Dans le rêve d’Hector, Lancelot est abattu de son coursier et doit monter sur un âne. Lorsqu’Hector demande l’hospitalité à un seigneur, celui-ci lui répond : “ceenz n’entre nus qui si haut soit montez comme vos estes” (n’entre ici personne qui soit monté aussi haut que vous).
Cette réponse établit clairement le lien entre la hauteur physique procurée par le grand cheval et l’orgueil moral qu’elle symbolise. Le refus d’hospitalité sanctionne ainsi non pas tant la monture elle-même que la superbia (l’orgueil) qu’elle représente dans l’imaginaire chrétien médiéval.
La codification des représentations équestres
Au fil du temps, cette symbolique s’est codifiée. Au cours du XVIe siècle, les appellations “grant cheval” ou “petit cheval” acquièrent une valeur distinctive et identificatoire, comme l’attestent les Commentaires de Montluc.
Cette codification dépasse le cadre purement littéraire pour s’étendre au domaine artistique. La collection royale de Windsor conserve des études pour le “grand cheval” de Léonard de Vinci, esquisses destinées à une statue équestre. Le génie italien prenait soin de noter la race des chevaux étudiés et le nom de leur propriétaire en marge d’études pour un “gran cavallo”.
Du champ de bataille au champ lexical
Comment une expression née dans le contexte militaire a-t-elle pu se maintenir et prospérer dans une société qui s’éloignait progressivement de la culture chevaleresque ? C’est là un phénomène linguistique fascinant qui mérite d’être exploré.
La persistance du symbolisme équestre
Malgré la disparition progressive des chevaliers et des destriers de guerre, le symbolisme équestre a persisté dans la langue française. L’image du cheval comme symbole de puissance, de fougue et de domination est restée ancrée dans l’imaginaire collectif, permettant à l’expression de survivre à son contexte d’origine.
Cette persistance s’explique en partie par le fait que, même après la fin de la chevalerie médiévale, l’équitation est demeurée longtemps un marqueur social important. Monter à cheval restait associé aux classes supérieures, et la manière dont on montait (la posture, le contrôle, le type de monture) continuait de refléter le statut social.
L’expression “monter sur ses grands chevaux” a ainsi conservé sa connotation de supériorité sociale et morale, même lorsque son origine concrète commençait à s’estomper dans la conscience collective.
L’enrichissement sémantique au fil des siècles
Au XVIIe siècle, le dictionnaire de Furetière rapporte qu'”on dit aussi qu’un homme monte sur ses grands chevaux ; pour dire qu’il parle en colère & d’un ton hautain.” L’expression est alors pleinement intégrée au répertoire des locutions figurées françaises.
Au fil des siècles, l’expression s’est enrichie de nuances supplémentaires. Si la colère et la hauteur en demeurent les composantes essentielles, s’y ajoute progressivement l’idée d’une réaction disproportionnée, d’un emportement excessif par rapport à la situation qui l’a provoqué.
Cette évolution sémantique témoigne de la plasticité des expressions idiomatiques, capables de s’adapter aux changements sociaux et culturels tout en conservant leur force évocatrice originelle.
Expressions apparentées et variations
L’expression “monter sur ses grands chevaux” n’est pas isolée dans le paysage linguistique français. Elle s’inscrit dans un réseau d’expressions et de locutions qui mobilisent des images similaires ou complémentaires.
Le bestiaire des expressions d’emportement
Le français regorge d’expressions animalières pour décrire l’emportement et la colère :
- “Monter sur ses ergots” évoque le coq qui se dresse sur ses pattes pour intimider ses adversaires. Cette expression, attestée en moyen français, procède de la même logique métaphorique que “monter sur ses grands chevaux” : l’élévation physique symbolise l’agressivité et la posture dominatrice.
- “Prendre la mouche” suggère une irritation subite et excessive, à l’image de l’agacement provoqué par une mouche importune. “Être une tête de mule” évoque l’obstination colérique, tandis que “voir rouge” fait référence au taureau excité par cette couleur.
Ces expressions forment ensemble un véritable bestiaire de l’emportement, où chaque animal apporte ses caractéristiques propres à la description des divers types de colère humaine.
Variations régionales et équivalents étrangers
L’image du cheval comme symbole de domination et d’orgueil n’est pas propre à la culture française. On retrouve des expressions similaires dans d’autres langues, témoignant d’une perception interculturelle commune de cet animal.
En anglais, l’expression “to get on one’s high horse” est presque calquée sur la formule française et partage la même origine historique et le même sens. En allemand, “sich aufs hohe Ross setzen” (s’asseoir sur un grand cheval) véhicule également l’idée de prendre une position moralement supérieure et condescendante.
Ces parallèles linguistiques suggèrent une racine culturelle commune, probablement ancrée dans l’héritage médiéval partagé par ces différentes nations européennes.
L’expression dans la littérature et les arts
“Monter sur ses grands chevaux” a inspiré écrivains et artistes au fil des siècles. Son potentiel évocateur en fait une expression prisée pour caractériser des personnages ou des situations.
Occurrences littéraires remarquables
L’une des premières utilisations littéraires notables se trouve chez Montaigne, avant 1592, sous la forme “monter sur ses grands chevaulx”. Le grand essayiste l’emploie déjà au sens figuré pour décrire l’emportement.
Au XVIIe siècle, Molière utilise cette image dans plusieurs de ses comédies pour caractériser des personnages vaniteux ou colériques. Cette expression lui permet de souligner efficacement le ridicule de certains comportements sociaux.
Plus près de nous, de nombreux auteurs continuent d’employer cette locution pour sa force évocatrice et sa capacité à condenser en quelques mots tout un comportement psychologique. Son caractère imagé en fait un outil stylistique précieux pour la caractérisation des personnages.
Représentations visuelles de l’expression
Si l’expression elle-même est verbale, l’image qu’elle convoque a également inspiré des représentations visuelles. La caricature, notamment, s’est emparée de cette métaphore en représentant des personnages juchés sur d’immenses chevaux pour symboliser leur arrogance ou leur prétention.
Les illustrations de fables ou de contes utilisent parfois ce motif du personnage monté sur un cheval disproportionné pour suggérer visuellement l’orgueil ou la vanité du protagoniste.
Ces représentations visuelles témoignent de la puissance évocatrice de l’expression et de sa capacité à transcender le domaine purement linguistique pour nourrir l’imaginaire artistique.
Analyse psychologique et sociologique de l’expression
Au-delà de son origine historique et de son évolution linguistique, l’expression “monter sur ses grands chevaux” mérite d’être analysée sous l’angle psychologique et sociologique.
La psychologie de l’emportement
Pourquoi montons-nous sur nos grands chevaux ? Cette réaction émotionnelle correspond généralement à un mécanisme de défense face à une menace perçue contre notre ego, notre statut social ou nos convictions profondes.
S’emporter permet de rétablir symboliquement une position dominante lorsqu’on se sent attaqué ou diminué. C’est précisément ce que suggère l’image du chevalier qui monte sur son grand cheval pour dominer physiquement l’adversaire : une stratégie de domination par l’élévation.
Les psychologues observent que ce type de réaction est souvent proportionnel non pas à la gravité objective de la situation, mais à l’importance subjective que nous accordons au domaine concerné. Plus un sujet touche à notre identité profonde, plus nous sommes susceptibles de “monter sur nos grands chevaux” lorsqu’il est abordé de manière critique.
Dimensions sociales contemporaines
Dans notre société moderne, “monter sur ses grands chevaux” reste une attitude socialement marquée. Elle est généralement perçue négativement, comme le signe d’un manque de maîtrise émotionnelle ou d’une arrogance déplacée.
Pourtant, cette réaction peut parfois être valorisée dans certains contextes professionnels où l’assertivité et la capacité à défendre fermement ses positions sont considérées comme des qualités. La frontière entre “défendre ses convictions avec force” et “monter sur ses grands chevaux” est souvent ténue et culturellement déterminée.
Dans un monde professionnel qui valorise à la fois le travail d’équipe et l’affirmation de soi, la gestion de cette tension entre collaboration et affirmation individuelle devient un enjeu important des relations interpersonnelles et de la intelligence émotionnelle.
Conseils pratiques : quand éviter de monter sur ses grands chevaux
Reconnaître en soi la tendance à “monter sur ses grands chevaux” est une première étape vers une communication plus apaisée et plus efficace. Voici quelques stratégies pour éviter cette réaction contre-productive.
Reconnaître les signes avant-coureurs
L’emportement ne survient pas d’un coup. Il existe généralement des signes physiologiques avant-coureurs : accélération du rythme cardiaque, tension musculaire, respiration plus rapide. Apprendre à identifier ces signaux vous permet d’intervenir avant que la réaction émotionnelle ne prenne le dessus.
Sur le plan psychologique, certaines pensées récurrentes peuvent aussi annoncer l’emportement imminent : “Comment ose-t-il me parler ainsi ?”, “Il ne sait pas à qui il s’adresse”, “Je ne vais pas laisser passer ça”. Ces pensées traduisent souvent un sentiment de menace contre votre statut ou votre estime personnelle.
Techniques de désescalade
Lorsque vous sentez que vous êtes sur le point de “monter sur vos grands chevaux”, plusieurs techniques peuvent vous aider à retrouver votre calme :
La respiration profonde est une méthode simple mais efficace pour réguler vos émotions. Quelques respirations abdominales lentes peuvent suffire à diminuer l’intensité de votre réaction physiologique.
La reformulation mentale consiste à recadrer la situation d’une manière moins menaçante pour votre ego. Plutôt que de percevoir une critique comme une attaque personnelle, essayez de la considérer comme une opportunité d’amélioration ou un simple point de vue différent.
Le délai de réponse est également une stratégie efficace. Donnez-vous quelques secondes, voire quelques minutes avant de répondre à ce que vous percevez comme une provocation. Ce délai permet souvent de formuler une réponse plus mesurée et constructive.
Conclusion : la richesse des expressions équestres
“Monter sur ses grands chevaux” illustre parfaitement comment une expression née dans un contexte historique spécifique – celui de la chevalerie médiévale – peut traverser les siècles en conservant sa force évocatrice tout en s’adaptant aux évolutions sociales et culturelles.
De l’acte concret du chevalier changeant de monture pour le combat à la métaphore de l’emportement orgueilleux, cette expression témoigne de la manière dont la langue française s’est enrichie en transformant des réalités matérielles en concepts abstraits et psychologiques.
Elle nous rappelle également que notre langage quotidien est imprégné d’histoire. Derrière les mots et expressions que nous utilisons sans y penser se cachent des siècles de pratiques sociales, de représentations culturelles et d’évolutions sémantiques qui constituent le patrimoine immatériel de notre langue.
La prochaine fois que vous serez tenté de “monter sur vos grands chevaux”, peut-être vous souviendrez-vous du chevalier médiéval s’apprêtant à combattre sur son imposant destrier. Cette image pourrait bien vous inciter à la réflexion : est-ce vraiment un combat que vous souhaitez engager ? La situation mérite-t-elle réellement que vous adoptiez cette posture guerrière héritée d’un autre âge ?
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