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Ours mal léché : définition & origine [expression]

Publié le 15/06/2021 (m.à.j* le 24/04/2022)
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Être un ours mal léché signifie : être quelqu’un de rustre, de malpoli.

Exemple :

– Je sais, je sais, reprit le prince de sa voix monotone. Je n’ai jamais pu comprendre Nathalie ! S’être décidée à épouser cet ours mal léché… Un personnage stupide, ridicule et, qui plus est, joueur, à ce qu’on dit.

Tolstoï, La Guerre et la Paix

 

Ours mal léché : origine de l’expression


Selon une vieille croyance, les oursons naissent informes. Pour leur donner leur aspect d’ourson, les ourses doivent les lécher. L’idée que l’ourson naît « incomplet » se retrouve jusque chez Aristote (384 – 322 av. J.-C.) :

L’ourson qui naît est très petit en proportion du corps de la mère ; il est moins gros qu’une belette, un peu plus gros qu’un rat; il est sans poil; il ne voit pas clair; ses pattes sont à peine formées, non plus que presque tous ses membres

Histoire des animaux, VI, 27, 579

Chez Pline l’Ancien :

Les ours s’accouplent au commencement de l’hiver, non comme font d’ordinaire les quadrupèdes, mais tous deux couchés et s’embrassant. Puis ils se retirent chacun dans une caverne; la femelle y met bas au bout de trente jours, cinq petits la plupart du temps. Ce sont d’abord des masses de chair blanche, informes, un peu plus grosses que des rats, et sans yeux, sans poil; les ongles seuls sont proéminents. C’est en léchant cette masse que la mère lui donne peu à peu une forme.

VIII, LIV. (XXXVI.) 

Plus généralement, l’ours, malgré son ancien statut de « roi des animaux » est associé, en français du moins, à des expressions péjoratives. Ainsi, un « ours » désigne une personne au caractère peu avenant. « Envoyer quelqu’un à l’ours » était synonyme d’envoyer quelqu’un promener.

Rageur, il se dressa et serra les poings :

— Seulement, si Mlle Girard savait à quel point il urge que je lui touche deux mots touchant mon affaire, au lieu de rigoler avec sa femme de chambre elle s’empresserait de l’envoyer à l’ours.

Willy, La Maîtresse du prince Jean

Avant de se fixer sur le caractère, « l’ours mal léché » était une personne d’aspect grossier.

Des rives du Danube, homme dont Marc-Aurèle Nous fait un portrait fort fidèle.
On connaît les premiers : quant à l’autre, voici Le personnage en raccourci.
Son menton nourrissait une barbe touffue,
Toute sa personne velue
Représentait un Ours, mais un Ours mal léché.

La Fontaine, Le Paysan du Danube

Plus neutre, « lécher l’ours » voulait dire « préparer longuement une affaire ».

Il est temps désormais que le Juge se hâte :
N’a-t-il point assez léché l’ours

La Fontaine, Les Frelons et les Mouches à miel

La Fontaine faisait peut-être référence au Tiers Livre de Rabelais, chez qui se retrouve la croyance dans la vertu formatrice de la langue de l’ourse :

Un procès a sa naissance première me semble, comme à vous aultres messieurs, informe & imperfaict. Comme un Ours naissant n’a pieds ne mains, peau, poil, ne teste, ce n’est qu’une pièce de chair rude & informe. L’ourse à force de leicher la mect en perfection des membres.

Selon Jean Trinquier, la mauvaise réputation de l’ours peut peut-être s’expliquer par son absence d’un texte très lu au Moyen Âge, le Physiologus, composé au IIe siècle à Alexandrie, terre dépourvue de ces animaux, et par l’hostilité de l’Église qui voyait en lui un « adversaire » lié aux religions païennes, longtemps vigoureuses en Europe du Nord.

 

À lire

Michel Pastoureau, L’Ours : histoire d’un roi déchu

Jean Trinquier, L’ « ours mal léché » : la reproduction de l’ours dans les sources antiques