Définition
Une anacoluthe est une figure de style par laquelle on opĂšre volontairement (on le supposeâŠ) une rupture dans la syntaxe. La construction grammaticale de la phrase est transformĂ©e pour lui donner un effet rhĂ©torique. Câest une faute maĂźtrisĂ©e. La phrase se dirige vers le point vers lequel on lâattend, avant de prendre brusquement une autre direction. Elle est comme interrompue dans son cheminement.
Exemple
« Le nez de ClĂ©opĂątre, sâil eĂ»t Ă©tĂ© plus court, la face du monde en eĂ»t Ă©tĂ© changĂ©e. » (Pascal, PensĂ©es, 392). Dans cette phrase, le verbe aurait dĂ» avoir âle nezâ pour sujet. Le sujet âLa face du mondeâ apparaĂźt sans quâon lâattende. Pascal veut surprendre en exprimant un saut intellectuel par cette Ă©trange syntaxe : lâhistoire a Ă©tĂ© comme modifiĂ©e par le nez de ClĂ©opĂątre ! Pascal, mathĂ©maticien de gĂ©nie, Ă©tablit un parallĂšle implicite entre deux longueurs : la taille du nez de ClĂ©opĂątre et la face du monde. On le comprend : lâanacoluthe est frĂ©quente dans le langage parlĂ©.
Autre exemple : « Il a tout refusĂ©, mais la noblesse de Rennes et de VitrĂ© lâont Ă©lu malgrĂ© lui » (Madame de SĂ©vignĂ©, Lettres). Dans cette phrase, le sujet est au singulier (la noblesse de Rennes et de VitrĂ©) mais le verbe est au pluriel.
Les 36 figures de style essentielles de la langue franaçaise
Effet de lâanacoluthe
Lâanacoluthe permet de faire primer le sens sur la grammaire. Elle permet bien sĂ»r de faire passer des Ă©motions, des tourments, mais aussi de la surprise ! Elle permet surtout de faire ressortir dans la forme du texte la rupture sur laquelle veut insister lâauteur. La phrase, qui sâarrĂȘte en chemin pour prendre une autre direction, se rapproche alors du fil des pensĂ©es tel quâil se dĂ©roule rĂ©ellement.
Anacoluthe et lâanantapodoton
Lâanantapodoton est une variante dâanacoluthe dans laquelle un des termes dâune expression alternative (soitâŠsoit ; ouâŠou ; dâune partâŠdâautre part, etc.) manque. Exemple : « Dâune part, tu vas te taire. ». On attendrait que la phrase se poursuive avec un âdâautre partâ.
Ătymologie dâanacoluthe
Anacoluthe vient du privatif grec an, et de acoulouthos, suiveur, compagnon. Anacoluthe signifie littĂ©ralement âqui ne suit pasâ.
Exemples dâanacoluthes
Exemples cités par le Gradus :
- Elle berce et sourit Ă son
enfant.
On aurait pu Ă©crire : âElle berce son enfant et lui souritâ.
- Le roman nâest pas pressĂ© comme
au théùtre.
On aurait pu Ă©crire âcomme le théùtreâ.
Le vieillard eut raison lâun des trois jouvenceaux
Se noya dĂšs le port, allant Ă lâAmĂ©rique ;
Lâautre, afin de monter aux grandes dignitĂ©s,
Dans les emplois de Mars servant la République,
Par un coup imprévu vit ses jours emportés ;
Le troisiĂšme tomba dâun arbre
Que lui-mĂȘme il voulut enter;
Et pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre
Ce que je viens de raconter.La Fontaine, Fables, Le Vieillard et les trois jeunes hommes
On aurait plutĂŽt attendu que La Fontaine continue de parler des jeunes hommes (Ă qui âpleurĂ©sâ sâapplique). Mais lâauteur poursuit avec le âilâ du vieillard comme sujet.
Et moi, pour trancher court toute cette dispute,
Il faut quâabsolument mon dĂ©sir sâexĂ©cute.MoliĂšre, Les Femmes savantes, V, 4, Philaminte
La phrase commence par âEt moiâ. Ce nâest pourtant pas le sujet de la phrase, qui se concentre sur le âdĂ©sirâ de Philaminte.
Vous voulez que ce Dieu vous comble de bienfaits,
Et ne lâaimer jamais ?Racine, Athalie, I, 4, Une autre voix
Racine utilise lâindicatif dans la premiĂšre partie de sa phrase, puis lâinfinitif.
Et vous, qui lui devez des entrailles de pĂšre,
Vous, ministre de paix dans les temps de colĂšre,
Couvrant dâun zĂšle faux votre ressentiment,
Le sang à votre gré coule trop lentement ?II, 5
Il est a priori difficile de dĂ©terminer le sujet du participe prĂ©sent âcouvrantâ, qui sâapplique finalement Ă âle sangâ.
O ciel ! plus jâexamine, et plus je le regardeâŠ
Câest lui ! Dâhorreur encore tous mes sens sont saisis.
Ăpouse de Joad, est-ce lĂ votre fils ?II, 7
Ce Dieu, depuis longtemps votre unique refuge,
Que deviendra lâeffet de ses prĂ©dictions?II, 9
Ma foi sur lâavenir bien fou qui se fiera.
Les Plaideurs, I, 4
Je tâaimais inconstant, quâaurais-je fait fidĂšle ?
Andromaque, IV, 4, Hermione
âInconstantâ et âFidĂšleâ renvoient tous les deux Ă â tâ â et pas Ă âjeâ.
Le PoÚte est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempĂȘte et se rit de lâarcher ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de gĂ©ant lâempĂȘchent de marcher.Baudelaire, Fleurs du mal, LâAlbatros
On attendait plutĂŽt un sujet au singulier (âLe PoĂšteâ), mais Baudelaire nous donne âses ailes de gĂ©antâ. Cette rupture syntaxique reflĂšte la rupture quâopĂšre le poĂšte avec la sociĂ©tĂ©.
Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
Lâazur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil dâun mirage dorĂ© ;Heredia, Les ConquĂ©rants
EspĂ©rant ne renvoie pas Ă âlâazur phosphorescentâ, comme pourrait le laisser penser la phrase dans un premier temps.
Les autres Ă©ternellement sur nous, jâĂ©touffe !
Claudel, PremiÚre journée, Don Camille
Ils font un barouf au comptoir, que je suis forcé de dominer.
CĂ©line, Guignolâs Band
Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnableĂluard, Au Rendez-vous allemand, Comprenne qui voudra
Lui qui aimait tant ses aises, une veste nâimporte comment, un vieux pantalon, il nâaimait que ça, les vieux vĂȘtements.
N. Sarraute, Le planétarium
Il y a ici volontĂ© dâimiter le langage parlĂ©.
Et au moment oĂč, parvenus sur la terrasse, leur regard se perdit dâun coup au-delĂ de la palmeraie, dans lâhorizon immense, il sembla Ă Janine que le ciel entier retentissait dâune seule note Ă©clatante et brĂšve dont les Ă©chos peu Ă peu remplirent lâespace au-dessus dâelle, puis se turent subitement pour la laisser silencieuse devant lâĂ©tendue sans limites.
Camus, LâExil et le Royaume
« Appelle-moi Claude Mc le mauvais élÚve, appelle-moi le cancre
Mais pour la veuve et lâorphelin il faudrait lever lâancre »
(Avec Les Loups â Mc Solaar)
1-Cher Adrian, le privatif est constituĂ© du seul âAâ, mais dans le cas prĂ©sent, nous nous trouvons devant un autre âAâ dâoĂč le âNâ pour faire la liaison. Mais le âAâ peut etre aussi copulatif comme dans notre cas prĂ©sent, ainsi nous avons: AKOLOUTHOS avec le âAâ copulatif puisquâil dĂ©rive de Keleuthos: chemin, voyage, dâoĂč: voyage ensemble ou avec( espĂ©rons en bonne compagnie). Puis ANAKOLOUTHOS, avec le âAâ privatif e le âNâ pour la liaison donc nous aurons: qui ne voyage pas ensemble (câest peut-etre mieux!). Pour faire bref, CohĂ©rent et IncohĂ©rent. Du pareil au meme pour Anantapodotos, qui vient de âAntapodosis, dâoĂč: qui est mis en relation, le âAâ ici est copulatif, mais le premier âAâ est privatif avec le âNâ de liaison. Nous avons ainsi comme vous avez dĂ©jĂ et si bien exposĂ©, Adrian, qui manque une mise en relation. Personellement, je ne trouve pas un lien puissant entre lâun et lâautre, mais! Moi par contre je manque dâexemple, sauf un qui peut ne pas entre etre un mais câest une phrase qui me fait trop rire, car on ne sâattend aucunement Ă la fin. Elle est de Woody Allen qui veut paraphraser un verset du prophĂšte Isaie:â UN JOUR VIENDRA, LE LOUP DORMIRA AVEC LâAGNEAU, MAIS LâAGNEAU NE DORMIRA PAS LONGTEMPS!â Merci Adrian. monique
Une autre:
âLa servante au grand cĆur dont vous Ă©tiez jalouse
Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse
Nous devrions pourtant lui porter quelques fleursâŠâ (Baudelaire)