Ce qu’il faut retenir
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L’arobase existait bien avant Internet, utilisée comme unité de mesure commerciale ou comme abréviation latine du VIe siècle.
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Ray Tomlinson a choisi ce symbole en 1971 pour séparer le nom d’utilisateur du serveur dans les adresses email, le sauvant de l’oubli.
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Chaque langue a développé sa propre façon de nommer l’arobase, souvent inspirée par sa forme visuelle (escargot, queue de singe, petit canard).
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Le symbole @ a été intégré à la collection permanente du MoMA en 2010, reconnaissant son importance culturelle dans notre société.
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Au-delà des emails, l’arobase a trouvé de nouveaux usages dans les mentions sur réseaux sociaux et dans plusieurs langages de programmation.
L’arobase. Ce petit symbole que vous tapez quotidiennement dans vos adresses email. Ce caractère spiralé qui vous accompagne dans tous vos échanges numériques. Mais vous êtes-vous déjà demandé d’où vient ce signe si particulier ? Quelle est son histoire ? Comment a-t-il acquis une telle importance dans notre monde connecté ?
Plongeons ensemble dans l’histoire fascinante de ce caractère qui, avant de devenir l’emblème de la communication numérique, a traversé les siècles et les civilisations. Un parcours étonnant qui vous réserve bien des surprises.
L’arobase aujourd’hui : un symbole devenu universel
Vous la reconnaissez instantanément. L’arobase (@) est devenue en quelques décennies l’un des symboles les plus identifiables de notre époque. Elle sépare votre nom d’utilisateur du domaine dans votre adresse email. Elle vous permet de mentionner quelqu’un sur Twitter. Elle s’affiche sur d’innombrables logos et interfaces numériques.
Ce petit “a” enroulé s’est imposé comme l’emblème incontesté de l’ère numérique. Une omniprésence qui contraste fortement avec son histoire discrète avant les années 1970. Car oui, l’arobase existait bien avant Internet. Bien avant même l’électricité.
La bonne nouvelle ? Ce symbole aujourd’hui mondial possède une histoire riche et complexe qui mérite d’être découverte. Une histoire où se mêlent commerce médiéval, innovations technologiques et révolution numérique.
Les théories sur l’origine de l’arobase : un débat toujours ouvert
L’origine exacte de l’arobase reste sujette à débat parmi les historiens et linguistes. Plusieurs théories s’affrontent, chacune apportant des éléments convaincants mais jamais définitifs. Examinons les principales hypothèses.
La théorie latine : l’abréviation de “ad”
Selon cette première théorie, l’arobase proviendrait d’une ligature de la préposition latine “ad” signifiant “vers” ou “à”. Des documents datant du VIe siècle montreraient déjà des formes où la lettre “d” se courbe autour du “a”, créant progressivement ce signe en spirale que nous connaissons.
Les copistes médiévaux, cherchant à économiser l’espace précieux sur leurs parchemins, auraient perfectionné cette abréviation au fil des siècles. Une explication séduisante qui s’accorde parfaitement avec l’usage moderne de l’arobase pour signifier “à” dans une adresse email.

Vous trouvez cette théorie logique ? Attendez de découvrir les autres hypothèses. Le mystère s’épaissit.
La théorie commerciale : l’arrobe comme unité de mesure
Une autre piste souvent citée associe l’arobase à une unité de mesure utilisée dans le commerce médiéval : l’arrobe. Ce terme désignait une unité de poids et de capacité utilisée principalement dans les pays méditerranéens et particulièrement en Espagne.
L’arrobe (du terme arabe ar-rub signifiant “le quart”) correspondait approximativement à un quart de quintal, soit environ 11 à 12 kilogrammes. Dans les documents commerciaux, le symbole @ aurait été utilisé comme abréviation pour indiquer ce poids ou cette capacité.
Les registres commerciaux espagnols du XVIe siècle montrent clairement l’utilisation de ce symbole dans un contexte marchand. Par exemple, “2 @ de vin” signifiait “deux arrobes de vin”.
La théorie monastique : œuvre des moines copistes
Une troisième hypothèse suggère que l’arobase serait née dans les scriptoria monastiques médiévaux. Les moines copistes, véritables gardiens du savoir écrit pendant des siècles, auraient développé ce signe comme une abréviation pratique.
Certains manuscrits médiévaux présentent des symboles très similaires à notre arobase moderne, utilisés comme ligatures ou abréviations. Ces moines, confrontés à la rareté et au coût élevé des supports d’écriture, avaient développé tout un système d’abréviations ingénieuses pour économiser l’espace.
Dans cette perspective, l’arobase ne serait qu’une des nombreuses abréviations qui ont survécu jusqu’à notre époque numérique.
L’arobase à travers les siècles : un parcours méconnu
Quelle que soit son origine précise, l’arobase a connu un long cheminement avant de devenir le symbole numérique que nous connaissons. Un voyage à travers les siècles qui mérite notre attention.
Présence dans les manuscrits anciens
Des formes primitives de l’arobase apparaissent dans des documents datant du Moyen Âge. Le document le plus ancien contenant un symbole clairement identifiable comme une arobase daterait de 1536. Il s’agit d’une lettre du marchand florentin Francesco Lapi qui utilise ce symbole pour représenter une amphore, unité de mesure pour le vin.
Ce document, conservé précieusement, montre que l’arobase existait déjà comme signe commercial bien établi au XVIe siècle. Une preuve tangible que ce symbole n’est pas une invention moderne.
Utilisation commerciale et comptable
Du XVIe au XIXe siècle, l’arobase s’est principalement cantonnée au monde du commerce et de la comptabilité. Les registres commerciaux de cette période montrent que le symbole était couramment utilisé pour indiquer des prix unitaires.
Par exemple, “5 livres @ 2 francs” signifiait “5 livres au prix de 2 francs l’unité”. Cette utilisation explique pourquoi l’arobase a été incluse dans les premiers claviers de machines à écrire. Elle répondait à un besoin pratique des commerçants et comptables.
Imaginez un instant. Ces utilisations commerciales quotidiennes, ces notes de comptabilité… Personne n’aurait pu prédire le destin extraordinaire qui attendait ce modeste symbole.
Présence sur les claviers de machines à écrire
L’inclusion de l’arobase sur les claviers des premières machines à écrire commerciales dans les années 1880 constitue une étape cruciale dans son histoire. Christopher Latham Sholes, l’inventeur du clavier QWERTY, a choisi d’inclure ce symbole pour répondre aux besoins des utilisateurs commerciaux.

Cette décision apparemment anodine allait avoir des conséquences inattendues un siècle plus tard. Sans cette présence sur les claviers, l’arobase n’aurait jamais pu devenir le symbole d’Internet que nous connaissons aujourd’hui.
Pendant près d’un siècle, l’arobase est restée un caractère obscur, principalement utilisé par les comptables et connu de peu de personnes en dehors du monde des affaires. Jusqu’à ce qu’un ingénieur nommé Ray Tomlinson ne s’en empare pour résoudre un problème technique.
La révolution numérique : Ray Tomlinson et la naissance de l’email
1971. Une date charnière dans l’histoire de l’arobase. Cette année-là, un ingénieur de la société BBN Technologies travaillant sur le réseau ARPANET (l’ancêtre d’Internet) cherche un moyen d’envoyer des messages entre différents ordinateurs.
Son nom ? Ray Tomlinson. Son problème ? Trouver un symbole pour séparer le nom de l’utilisateur et celui de l’ordinateur dans une adresse électronique. Sa solution ? L’arobase.

Pourquoi ce choix ? Tomlinson expliquera plus tard : “J’ai cherché sur le clavier un symbole qui ne pouvait pas apparaître dans un nom, afin d’éviter toute confusion. L’arobase semblait parfaite car elle signifiait ‘à’ en anglais (‘at’) et n’était pratiquement jamais utilisée dans les noms.”
Cette décision, prise en quelques minutes par un ingénieur résolvant un problème technique, a changé à jamais le destin de ce symbole. L’arobase venait de commencer sa nouvelle vie comme élément central de la communication numérique.
- 1971 : Premier email envoyé par Ray Tomlinson utilisant l’arobase
- 1972 : Adoption du format nom@ordinateur comme standard pour les adresses email
- 1982 : Standardisation de l’email avec le protocole SMTP qui conserve l’arobase
- 1990s : Démocratisation de l’email et popularisation mondiale de l’arobase
- 2006 : Utilisation de l’arobase par Twitter pour les mentions
Tomlinson reconnaîtra plus tard avoir “sauvé l’arobase de l’extinction”. Une affirmation qui n’est pas exagérée quand on mesure à quel point ce symbole était méconnu avant son utilisation dans les emails.
L’arobase dans différentes cultures et langues : un symbole, mille noms
L’universalisation de l’arobase grâce à Internet a conduit à un phénomène linguistique fascinant : chaque langue a développé sa propre façon de nommer ce symbole, souvent en s’inspirant de sa forme visuelle.
En français, nous l’appelons “arobase”, terme probablement dérivé de l’espagnol “arroba”. Mais saviez-vous que dans d’autres langues, ce symbole porte des noms bien plus poétiques ?
En néerlandais, on l’appelle “apenstaartje” (petite queue de singe). En italien, “chiocciola” (escargot). En russe, “sobachka” (petit chien). En grec, “papaki” (petit canard). Chaque culture y voit une forme différente, reflétant la richesse des interprétations visuelles que peut susciter ce symbole.
Cette diversité linguistique témoigne de la façon dont l’arobase a été appropriée par différentes cultures tout en conservant sa fonction universelle dans le monde numérique.
L’arobase comme symbole identitaire d’Internet
Au-delà de sa fonction pratique, l’arobase est devenue un véritable symbole culturel. Elle représente Internet, la communication numérique, la connectivité mondiale. Elle est devenue l’icône d’une ère nouvelle, celle de l’information instantanée et des échanges globalisés.
Cette dimension symbolique est tellement forte que le Museum of Modern Art (MoMA) de New York a ajouté l’arobase à sa collection permanente en 2010, reconnaissant son importance dans le design et la culture contemporaine.
Comment un simple signe typographique a-t-il pu acquérir une telle importance culturelle ? C’est là tout le paradoxe de l’arobase : un symbole ancien et obscur devenu en quelques décennies l’emblème d’une révolution technologique.
Au-delà de l’email : les nouvelles utilisations de l’arobase
Si l’email a propulsé l’arobase sur le devant de la scène numérique, d’autres applications ont considérablement élargi son usage. En 2006, Twitter introduit l’utilisation de @ pour mentionner directement un utilisateur, une fonctionnalité rapidement adoptée par d’autres plateformes sociales.
Cette innovation a donné naissance à une nouvelle grammaire numérique où l’arobase joue un rôle central. Instagram, Facebook, LinkedIn et la plupart des réseaux sociaux utilisent désormais ce système de mention.
Dans le domaine de la programmation informatique également, l’arobase a trouvé de nouvelles fonctions. Plusieurs langages de programmation modernes comme Ruby, PHP ou C# utilisent ce symbole pour des fonctions spécifiques.
L’évolution continue. Et avec elle, l’arobase s’adapte, trouve de nouveaux usages, étend son territoire bien au-delà de sa fonction initiale dans les adresses email.
L’impact culturel et linguistique de l’arobase
L’omniprésence de l’arobase dans notre quotidien numérique a eu des répercussions profondes sur la langue et la communication. Elle a contribué à l’émergence d’un nouveau vocabulaire et de nouvelles pratiques d’écriture.
En français, le verbe “arobasé” est parfois utilisé de manière informelle. De nouvelles expressions sont apparues : “être @” signifie être connecté, être dans l’air du temps. L’arobase est même parfois utilisée comme substitut inclusif dans l’écriture, comme dans “étudiant@s” pour désigner des étudiants et étudiantes.
Sur le plan sociologique, l’arobase est devenue un marqueur d’identité numérique. Posséder une adresse email, c’est exister dans le monde connecté. L’arobase est ainsi devenue le symbole d’une forme d’existence sociale contemporaine.
Qui aurait pu prédire qu’un obscur symbole commercial deviendrait un jour si central dans nos communications et notre culture ?
Conclusion : l’incroyable destin d’un symbole discret
L’histoire de l’arobase est celle d’une renaissance spectaculaire. D’un symbole commercial méconnu à l’icône mondiale de l’ère numérique, son parcours illustre parfaitement comment les innovations technologiques peuvent transformer des éléments culturels anciens.
Ce petit “a” enroulé nous rappelle que même les symboles les plus ordinaires peuvent, dans certaines circonstances, acquérir une importance extraordinaire. Que ce soit une ligature latine, une abréviation commerciale ou une création monastique, l’arobase a su traverser les siècles pour devenir l’emblème de notre monde connecté.
La prochaine fois que vous taperez ce symbole dans une adresse email ou une mention sur les réseaux sociaux, souvenez-vous de son histoire fascinante. Souvenez-vous que derrière ce simple caractère se cache plus d’un millénaire d’évolution culturelle et linguistique.
L’arobase. Un symbole ancien pour des usages nouveaux. Un témoignage de la façon dont l’humanité réinvente constamment ses outils de communication, tout en puisant dans son héritage graphique et culturel.
Et vous, utiliserez-vous désormais l’arobase avec un regard différent ?
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