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« Autant pour moi » ou « au temps pour moi » ?

Publié le 16/12/2017 (m.à.j* le 28/11/2022)
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On écrit : au temps pour moi ou autant pour moi. La forme traditionnelle semble être « au temps pour moi », mais la forme avec « autant » est très courante, si bien qu’on peut aujourd’hui dire que les deux sont valides. Cette formule signifie que l’on admet son erreur, on reconnaît sa responsabilité, et que l’on est prêt à reprendre les choses depuis leur début. Cette phrase averbale (phrase sans verbe, comme « Silence ! » ou « En joue ! » ) est familière : il faut la réserver au langage oral.

« Au temps pour moi » : origine de l’expression

« Au temps pour moi » est une expression populaire dont l’origine est peu claire. Elle pourrait venir du jargon militaire : la locution « au temps » était utilisée pour commander la reprise d’un mouvement pendant les exercices (notamment l’expression « au temps pour les crosses », qui ordonnait de recommencer le maniement des armes quand le bruit des crosses qui frappent les paumes n’a pas été synchrone).

Les mains enveloppées dans de larges gants de feutre pour ne pas faire de bruit en marchant, les hommes se suivaient silencieusement un à un, l’arme à la main, l’angoisse au cœur, dans la grande forêt noire que coupent en droite ligne les innombrables lacets de la route nationale d’Ispania-le-Château à Terrier-du-Loir.

– Halte ! commanda brusquement une voix étouffée.

– Sacs à terre ! 

– Formez sceaux !

Puis la voix reprit tout aussitôt : 

– Non, au temps pour moi ! sac aux dos ! et le régiment reprit silencieusement sa marche sous bois. 

[…]

Feuilleton publié dans L’Auto-Vélo, 1903

Le temps est le « moment précis pendant lequel il faut faire certains mouvements qui sont distingués et séparés par des pauses. » (Le Français correct : guide pratique des difficultés). L’italien possède l’équivalent « Al tempo ! ». Exemples

  • « Recommencez-moi ce mouvement-là en le décomposant. Au temps ! Au temps ! Je vous dis que ce n’est pas ça ! Nom de nom, La Guillaumette, voulez-vous mettre plus d’écart entre le premier temps et le second ! » (Courteline, Train 8h47)
  • « Au temps ! crie Brague. Tu l’as encore raté, ton mouvement ! En voilà une répétition à la mordsmoilejonc ! » (Colette, La Vagabonde)

L’expression pourrait aussi avoir une origine musicale : « le temps » serait le temps du chef d’orchestre que les musiciens doivent suivre. Cette explication n’est cependant qu’hypothétique.  

Exemples avec « au temps pour moi »

  • Quoi ? On écrit notamment avec deux « m » ? Au temps pour moi !
  • Cette fille n’est pas Zoé ? Au temps pour moi ! 

Exemples littéraires : 

Qui de quatre-vingt-sept ôte six reste…ne me le dites pas…Faut que j’y arrive…Reste quatre-vingt-huit…Je vas recommencer. Au temps pour moi, j’mai gouré.

Feuilleton de Henri Duvernois dans Le Journal, 1914

« Cessez le feu ! Au temps ! Au temps pour moi !… »

Genevoix, Sous Verdun

« Il avait fait une erreur dans un raisonnement délicat et il avait dit gaiement : « Au temps pour moi. » C’était une expression qu’il tenait de M.Fleurier et qui l’amusait.

Sartre, Le Mur

La variante « autant pour moi » est-elle correcte ?

Selon l’Académie française, « autant pour moi est courante aujourd’hui, mais rien ne la justifie ». Cette position est suivie par le Le Petit Robert et le Le Bon UsageToutefois, l’écrivain Claude Duneton, dans un article du Figaro littéraire du 18 décembre 2003, conteste la graphie « au temps pour moi » pour lui préférer « autant pour moi ». En effet, pour lui, les explications sur l’origine d’« au temps pour moi » sont fausses :

L’ennui c’est qu’il s’agit d’une information complètement fantaisiste, une pure construction de l’esprit, justement.

On ne trouve nulle part cette histoire imaginaire de commandement « Au temps ! », ni à l’armée (qui a pourtant donné « En deux temps trois mouvements ») , ni dans les salles de gym. Et surtout pas chez les chefs d’orchestre : des musiciens qui travaillent reprennent à telle mesure, pas au « temps », c’est saugrenu !

La graphie « autant pour moi », qui est selon lui une locution elliptique de modestie (« avec un brin d’autodérision ») signifierait « Je ne suis pas meilleur qu’un autre, j’ai autant d’erreurs que vous à mon service : autant pour moi ! ». En outre, il la lie à une ancienne expression, « autant pour le brodeur », relevée dans Curiositez françoises pour supplément aux dictionnaires (1640) d’Antoine Oudin, qui signifie, selon le Littré, qu’on n’ajoute aucune foi à un récit. 

Grevisse a émis l’hypothèse que « au temps » pourrait être une dérivation de « autant ». Pour André Thérive, « au temps » pourrait être un substitut pédantesque de « autant » (Querelles de langage). Toutefois, on trouve « au temps pour moi » dès la fin du XIXe siècle, ce qui n’est pas le cas de « autant pour moi » (employé comme formule). 

Très grave ; cas de conseil !!! D’ailleurs, au temps pour moi : maladresse !

La Caricature, 1892

Enfin, Bernard Cerquignlini note dans ses Petites chroniques du français comme on l’aime (2012) que la graphie « au temps » tend à disparaître au profit de autant (et donc « autant en emporte le vent ! » ). Il est vrai qu’elle paraît plus naturelle.