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AUTANT pour moi ou AU TEMPS pour moi ? (orthographe) ✍️

Publié le 10/02/2025
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Orthographe et définition

L’essentiel : on peut écrire au temps pour moi ou autant pour moi. La forme traditionnelle semble être « au temps pour moi », mais la forme avec « autant » est très courante, si bien qu’on peut aujourd’hui dire que les deux sont valides. Cette formule signifie que l’on admet son erreur, on reconnaît sa responsabilité, et que l’on est prêt à reprendre les choses depuis leur début. Cette phrase averbale (phrase sans verbe, comme “Silence !” ou “En joue !” ) est familière : il faut la réserver au langage oral.

“Je me suis trompé”. Trois mots simples que nous avons parfois du mal à prononcer. C’est là qu’intervient l’expression “au temps pour moi” (ou “autant pour moi”). Cette formule élégante nous permet de reconnaître nos erreurs avec style et d’admettre nos torts sans perdre la face. Une façon courtoise de faire amende honorable lorsque nous réalisons notre méprise.

« Au temps pour moi » : origine de l’expression

“Au temps pour moi” est une expression populaire dont l’origine est peu claire. Elle pourrait venir du jargon militaire : la locution “au temps” était utilisée pour commander la reprise d’un mouvement pendant les exercices (notamment l’expression “au temps pour les crosses”, qui ordonnait de recommencer le maniement des armes quand le bruit des crosses qui frappent les paumes n’a pas été synchrone).

Les mains enveloppées dans de larges gants de feutre pour ne pas faire de bruit en marchant, les hommes se suivaient silencieusement un à un, l’arme à la main, l’angoisse au cœur, dans la grande forêt noire que coupent en droite ligne les innombrables lacets de la route nationale d’Ispania-le-Château à Terrier-du-Loir.

– Halte ! commanda brusquement une voix étouffée.

– Sacs à terre ! 

– Formez sceaux !

Puis la voix reprit tout aussitôt : 

– Non, au temps pour moi ! sac aux dos ! et le régiment reprit silencieusement sa marche sous bois. 

[…]

Feuilleton publié dans L’Auto-Vélo, 1903

Le temps est le “moment précis pendant lequel il faut faire certains mouvements qui sont distingués et séparés par des pauses.” (Le Français correct : guide pratique des difficultés). L’italien possède l’équivalent “Al tempo !”. Exemples

  • « Recommencez-moi ce mouvement-là en le décomposant. Au temps ! Au temps ! Je vous dis que ce n’est pas ça ! Nom de nom, La Guillaumette, voulez-vous mettre plus d’écart entre le premier temps et le second ! » (Courteline, Train 8h47)
  • « Au temps ! crie Brague. Tu l’as encore raté, ton mouvement ! En voilà une répétition à la mordsmoilejonc ! » (Colette, La Vagabonde)

L’expression pourrait aussi avoir une origine musicale : “le temps” serait le temps du chef d’orchestre que les musiciens doivent suivre. Cette explication n’est cependant qu’hypothétique.  

L’origine militaire

Jusqu’au XIXe siècle, dans les cours des casernes françaises, le claquement des bottes sur le pavé rythme les exercices militaires. Un soldat fait un faux pas. “Au temps !” tonne l’officier. Le linguiste Alain Rey nous explique dans son Dictionnaire historique de la langue française comment cette injonction militaire s’est transformée en notre expression quotidienne.

L’évolution vers “autant”

La langue est vivante. Elle se transforme au fil du temps. C’est ainsi que “au temps” est devenu “autant” dans la bouche de nombreux Français. La raison ? Une simple logique phonétique – les deux versions se prononcent de façon identique. Et puis, avouons-le, “autant pour moi” a sa propre logique : n’est-ce pas une façon de dire “je suis tout autant responsable” ?

Exemples avec « au temps pour moi »

  • Quoi ? On écrit notamment avec deux “m” ? Au temps pour moi !
  • Cette fille n’est pas Zoé ? Au temps pour moi ! 

Exemples littéraires : 

Qui de quatre-vingt-sept ôte six reste…ne me le dites pas…Faut que j’y arrive…Reste quatre-vingt-huit…Je vas recommencer. Au temps pour moi, j’mai gouré.

Feuilleton de Henri Duvernois dans Le Journal, 1914

“Cessez le feu ! Au temps ! Au temps pour moi !…”

Genevoix, Sous Verdun

“Il avait fait une erreur dans un raisonnement délicat et il avait dit gaiement : “Au temps pour moi.” C’était une expression qu’il tenait de M.Fleurier et qui l’amusait.

Sartre, Le Mur

“Au temps pour moi, dit-il en souriant, j’avais mal interprété vos intentions.” – Marcel Pagnol, La Gloire de mon père
“Autant pour moi, je n’avais pas vu que vous étiez déjà là” – Annie Ernaux, La Place
“— Ce n’est pas comme ça qu’on procède, lieutenant. — Au temps pour moi, mon commandant.” – Jean-Christophe Rufin, Le Grand Cœur

La variante « autant pour moi » est-elle correcte ?

Selon l’Académie française, “autant pour moi est courante aujourd’hui, mais rien ne la justifie ». Cette position est suivie par le Le Petit Robert et le Le Bon UsageToutefois, l’écrivain Claude Duneton, dans un article du Figaro littéraire du 18 décembre 2003, conteste la graphie « au temps pour moi » pour lui préférer « autant pour moi ». En effet, pour lui, les explications sur l’origine d’« au temps pour moi » sont fausses :

L’ennui c’est qu’il s’agit d’une information complètement fantaisiste, une pure construction de l’esprit, justement.

On ne trouve nulle part cette histoire imaginaire de commandement « Au temps ! », ni à l’armée (qui a pourtant donné « En deux temps trois mouvements ») , ni dans les salles de gym. Et surtout pas chez les chefs d’orchestre : des musiciens qui travaillent reprennent à telle mesure, pas au « temps », c’est saugrenu !

La graphie “autant pour moi”, qui est selon lui une locution elliptique de modestie (“avec un brin d’autodérision ») signifierait « Je ne suis pas meilleur qu’un autre, j’ai autant d’erreurs que vous à mon service : autant pour moi ! ». En outre, il la lie à une ancienne expression, « autant pour le brodeur », relevée dans Curiositez françoises pour supplément aux dictionnaires (1640) d’Antoine Oudin, qui signifie, selon le Littré, qu’on n’ajoute aucune foi à un récit. 

Grevisse a émis l’hypothèse que “au temps” pourrait être une dérivation de “autant”. Pour André Thérive, “au temps” pourrait être un substitut pédantesque de “autant” (Querelles de langage). Toutefois, on trouve “au temps pour moi” dès la fin du XIXe siècle, ce qui n’est pas le cas de “autant pour moi” (employé comme formule). 

Très grave ; cas de conseil !!! D’ailleurs, au temps pour moi : maladresse !

La Caricature, 1892

Enfin, Bernard Cerquignlini note dans ses Petites chroniques du français comme on l’aime (2012) que la graphie “au temps” tend à disparaître au profit de autant (et donc “autant en emporte le vent ! » ). Il est vrai qu’elle paraît plus naturelle.

Comment s’y retrouver dans cette dualité linguistique ? Voici quelques suggestions pratiques :

  • Pour vos écrits formels, privilégiez “au temps pour moi”
  • À l’oral, laissez-vous porter par votre intuition : les deux formes sont acceptées

Et surtout, évitons les querelles orthographiques stériles

Traductions et équivalents

Notre expression voyage à travers les langues. Voici comment nos voisins reconnaissent leurs erreurs :

Anglais : “My mistake” / “I stand corrected”
Italien : “Mi correggo” / “Mi scuso”
Espagnol : “Me corrijo” / “Error mío”
Allemand : “Ich korrigiere mich” / “Mein Fehler”
Portugais : “Me corrijo” / “Meu erro”
Russe : “Vinovat” / “Ya oshibsya”
Arabe : “Afwan, akhtaʾtu”

Évolution de l’usage

Le temps nous raconte une histoire fascinante. Les chercheurs de l’équipe ATILF-CNRS ont retracé l’évolution de notre expression :

Dans un premier temps, “au temps pour moi” règne sans partage jusqu’aux années 1950
Puis vient le temps du changement : “autant pour moi” fait son apparition entre 1950 et 1980
Aujourd’hui ? Les deux formes coexistent paisiblement, avec une légère préférence pour “au temps pour moi” dans les textes officiels

Sources consultées

* Dictionnaire de l’Académie française, 9e édition
* Rey, Alain. Dictionnaire historique de la langue française
* Grevisse, Maurice. Le Bon Usage
* Base de données Frantext (ATILF-CNRS)