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Autrice ou auteure : quel est le féminin d’auteur ?

Publié le 24/10/2019
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L’utilisation d’un féminin du mot « auteur » pose un problème en France du fait qu’il n’existe pas aujourd’hui dans l’usage, ni dans la langue de tous les jours ni dans la langue écrite, une forme bien installée (« Le mot n’a pratiquement pas de féminin en français d’Europe », Dictionnaire historique de la langue française). La forme à utiliser comme féminin d’auteur fait donc l’objet d’un débat. Le choix de cette forme recoupe un combat politique mené par certaines militantes féministes pour lutter contre l’invisibilisation des femmes dans le langage. Certains féminins sont proposés, comme « autrice » ou « auteure ».

Auteure et autrice : le féminin d’auteur

féminin auteur autrice auteur
Femme écrivant à son bureau (détail) | Wikimedia Commons

Dans son rapport favorable à la féminisation des noms de métiers et de fonctions adopté le 28 février 2019, l’Académie française relève le caractère « épineux » du choix de la forme féminine du substantif « auteur ». Elle rapporte plusieurs formes concurrentes sans trancher : authoresse, autoresse, autrice et auteure.

En réalité, seules les deux dernières formes sont aujourd’hui présentes dans le débat. L’Académie note un avantage dans l’usage pour auteure, même si la formation grammaticale d’autrice est plus satisfaisante. La forme « auteure » est un néologisme, c’est-à-dire un mot nouveau, venu du français du Canada. Selon l’historienne Éliane Viennot (née en 1951), il aurait été créé dans les années 1970-80 pour pallier l’absence de féminin à auteur. « Auteure » est formé à partir du masculin « auteur » auquel on a ajouté le suffixe -e, marqueur de féminité, comme pour ingénieur/ingénieure. C’est un procédé qui avait été dénoncé par l’Académie dans une recommandation de 2014, qui considérait « auteure » comme un barbarisme, c’est-à-dire une faute de langage, parce que cette forme ne respecte pas les règles de dérivation ordinaire.

La forme « autrice » en revanche a pour elle d’être le féminin régulier d’« auteur ». En effet, les mots en -teur, lorsqu’il n’existe pas de verbe correspondant qui comporte une terminaison avec un « t », ont un féminin en -trice. Il en est ainsi de acteur/actrice, animateur/animatrice, compositeur/compositrice, créateur/créatrice, directeur/directrice, lecteur/lectrice, réalisateur/réalisatrice, traducteur/traductrice, etc. La régularité de la forme « autrice » lui offre un avantage supplémentaire. En effet, elle a la vertu de ne pas être une dérivation du masculin, mais de procéder de la même racine (du latin auctor, « instigateur », dérivé de augere, « faire croître » lui-même dérivé d’auctoritas, « autorité »). L’italien dit d’ailleurs autore au masculin, autrice au féminin.

« Autrice », a contrario d’« auteure », n’est pas une féminisation de la qualité d’auteur, comme si elle avait d’abord été le propre de l’homme pour être ensuite concédée aux femmes. C’est ce qu’exprime l’autrice Florence Hinckel dans son blog :

Le mot « auteure », en cela, est une véritable aberration morphologique ultra-sexiste. Je lis et entends encore que « ça sonne mieux » ou que c’est plus joli que « autrice », de la part de femmes elles-mêmes : réfléchissez plus avant… Songez à cela : les hommes accepteraient-ils d’être désignés comme des « autriceurs » ? C’est aussi aberrant et scandaleux que ça.

De surcroît, la forme « autrice » a une légitimité historique. Aurore Evain, l’exhumatrice de cette forme, en a retracé le destin depuis l’Antiquité, présent en latin comme auctrix. Existant dans l’usage, en latin puis en français, on en trouve de nombreux emplois, relevés dans le Dictionnaire « La Guerre des mots » du SIEFAR. Il aurait néanmoins fait l’objet d’une éradication par certains spécialistes de la langue pour des motifs idéologiques, surtout misogynes. Le métier d’auteur ne serait pas pour les femmes. Le coup de grâce aurait été donné par la politique de normalisation de la langue menée au XVIIe siècle sous l’égide de l’Académie française (créée en 1635). Auteur n’admet ainsi aucun féminin dans la première édition du dictionnaire de l’Académie (1694), et cette position sera tenue par l’institution jusqu’en 2019 (« On se gardera de même d’user de néologismes comme […] autrice…»).

Absent du Dictionnaire de Richelet (1680) et du Dictionnaire de Furetière (1690 pour la première édition, « On dit aussi d’une femme qu’elle s’est érigée en auteur »), il est néanmoins présent dans le Dictionnaire de Trévoux, constitué tout au long du XVIIIe siècle, avec réserve cependant :

AUTRICE. s. f. Mot que l’usage n’admet pas, pour signifier celle qui a composé un ouvrage d’esprit. J’avois déjà lu plus d’une fois, Mademoiselle, la lettre sur les bons mots, insérée dans le Mercure du mois d’Avril dernier, lorsque Madame la Marquise de la S. ** me dit que vous en êtes l’autriceMercurJuin 1726. Il falloit dire l’auteur, suivant le bon usage & la décision de l’Académie Françoise.

« Autrice » est relevé, au XVIIIe toujours, par Jean-François Féraud dans son Dictionaire critique de la langue française (1787 – 1788), qui en fait un barbarisme :

*AUTRICE, s. f. Ce mot se trouve dans une pièce du Mercûre du mois de Juin 1726. C’est un barbarisme.

Des rénovateurs, comme Restif de la Bretonne (1734 – 1806), essaient même de le relancer, en le transformant à tort en néologisme (bien que paradoxalement misogyne, et hostile a fortiori aux autrices). « Autrice » surnage toujours au XIXe siècle, si bien que Rémy de Gourmont (1858 – 1915) écrit dans L’Esthétique de la langue française (1899) :

Un journal discourait naguère sur authoresse, et, le proscrivant avec raison, le voulait exprimer par auteur. Pourquoi cette réserve, cette peur d’user des forces linguistiques ? Nous avons fait actrice, cantatrice, bienfaitrice, et nous reculons devant autrice […]

Bref, l’emploi d’autrice fait figure de restauration, ou de « démasculinisation »(Aurore Evain) plutôt que de féminisation. Fort de sa légitimité grammaticale et historique, le combat pour la réintroduction dans l’usage d’« autrice » rassemble des personnes se reconnaissant dans le féminisme et menant un combat dans une « guerre des mots » sur le terrain de la langue, vecteur d’idéologies.

Il est aujourd’hui présent dans le Dictionnaire Robert (par Josette Debove-Rey et Alain Rey), employé dans Le Parisien, Le Soir, par le projet Wikisource Autrices . Le guide Écrire les genres de la Conférence romande des bureaux de l’égalité, en Suisse, le recommande, et le site du Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes l’emploie.

Toutefois, d’autres lui préfèrent auteure, comme Le Monde, le Dictionnaire Larousse, ou le Guide de féminisation de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Bernard Cerquiglini (né en 1947), dans Le Ministre est enceinte (2018), choisit par pragmatisme « auteure », car il a peu d’espoir de voir « autrice » s’imposer. La canadienne Martine Delvaux préfère « auteure » au nom de la liberté de choisir et par fidélité à cette initiative féministe. 

Voir ici : le Code civil de 1804 et la femme

Auteuse, autoresse, authoresse, etc.

  • Auteuse, lui, très peu usité, n’a pas l’analogie avec lui. Les mots masculins en -eur ayant un féminin -euse partagent le radical avec leur verbe au participe présent (dansant -> danseuse ; volant -> voleuse). Le terme avait été proposé par Restif de la Bretonne.
  • Auteuresse est un néologisme, très rare, employé notamment par Robert de Montesquiou (1855 – 1921), et dans des titres de presse au XIXe siècle.
  • Autoresse et Authoresse sont des anglicismes. 
  • Femme auteur a été proposé par l’Académie française.
  • Une auteur ne féminise que l’article.

Phonétique et euphonie

À l’inverse des autres formes, « auteure » ne marque pas la féminité à l’oral. Il s’assimile à auteur. Ce choix semble contraire au but même des féministes selon le Grevisse. Pourquoi lutter pour la marque du féminin pour ne pas l’entendre ?

La musicalité du mot peut aussi peser sur le choix du féminin d’auteur. Elle peut justifier le refus même d’une forme féminine, comme le montre ce tweet de la journaliste Laura-Maï Gaveriaux : 

À la fin du XIXe siècle, Marie-Louise Gagneur (1832 – 1902), écrivaine et militante féministe française, interpellait l’Académie, dans une tribune publiée dans le Figaro le 23 juillet 1891, pour demander la féminisation d’auteur, sans spécifier sa forme. Deux académiciens, Charles de Mazade (1820 – 1893) et Leconte de Lisle (1818 – 1894), lui répondent trois jours plus tard dans Le Matin. Le premier refuse au motif que « la carrière d’écrivain n’est pas celle de la femme ». Le deuxième oppose à « autrice » et « auteuse » l’argument de l’euphonie : « cela déchire absolument les oreilles. », mais il accepte l’emploi de « une auteur ». L’Académie française a utilisé jusqu’en en 2014 cet argument euphonique de manière très virulente : « L’oreille autant que l’intelligence grammaticale devraient prévenir contre de telles aberrations lexicales. » (Recommandation de 2002)

Faut-il un féminin à auteur ?

L’Académie française présente, toujours aujourd’hui, de potentiels arguments de refus. En effet, selon son rapport de 2019 , le caractère abstrait du terme pourrait justifier le maintien de la forme masculine. Auteur serait par nature un mot épicène, c’est-à-dire qui peut désigner un individu d’un sexe ou de l’autre, comme animal, personnage, témoin, etc. On peut néanmoins rétorquer à cet argument qu’auteur, employé au sens de créateur d’une œuvre, renvoie presque toujours à une personne spécifique.

Michel Serres (1930 – 2019), dans la section Bloc-notes du site de l’Académie (La bataille idéologique) écartait la question pour les mots en -eur :

Faut-il dire « auteure » ou « autrice » ou « auteuse », etc. ? La question ne vaut pas, car les mots en « -eur » sont divisés statistiquement en deux parties, l’une féminine, l’autre masculine : « la douceur » et « le malheur », « l’horreur » et « l’honneur ». Par conséquent, « Madame Jacqueline Unetelle, auteur de ce livre » peut se dire sans malice.

L’auteur Audrey Jougla (née en 1985) a refusé dans un article de 2017 les mots « auteure » et « autrice », au nom de la liberté de choix :

Car c’est bien l’absence de liberté qui me hérisse dans ce débat : le fait que l’opposition à une opinion qui se veut bien-pensante se convertisse insidieusement en devoir. Ainsi, se voulant novatrices, modernes, respectueuse de la cause féminine, combien d’affiches de dédicaces ou de conférences ont spontanément stipulé que j’étais « auteure » ou « écrivaine ».

Selon Audrey Jougla, le débat est clos d’avance. Elle déplore l’absence de défense du mot auteur comme épicène. La revendication féministe pour un féminin à auteur serait un aveu de faiblesse de cette cause :

Outre l’imposition d’une pensée unique sur ce sujet, c’est surtout la faiblesse avouée qui est gênante, comme si la nécessité de la féminisation soulignait l’impuissance d’un corps de métier à être l’équivalent masculin. George Sand ou George Elliott eurent l’intelligence d’utiliser la contrainte masculine pour souligner combien le genre importait peu. Le talent n’attend pas le genre, pourrait-on résumer. Et bien triste est sa reconnaissance s’il lui faut accoler une féminisation imposée d’office par des chiens de garde intellectuels, qui me nommeront probablement comme censeur, puriste ou impie de la langue suite à cet article.

Sur une autre ligne, la romancière Belinda Cannone (née en 1958) accepte d’être « une auteur », mais pas une autrice ni une auteure. Une neutralisation du langage est pour elle préférable. « Autrice » ou « auteure » signaleraient d’abord le sexe avant la qualité

Les déclarations de ce type restent rares, mais on peut prévoir des conflits si une femme auteur est désignée comme « auteure » ou «autrice » si elle ne le désire pas. 

Une diversité des emplois ?

Une confusion se maintiendra peut-être, au moins dans un futur proche, sur le choix d’employer un féminin ou non à « auteur » et, le cas échéant sur le choix de la forme de ce féminin. 

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