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« Naguère », « jadis », « antan » : quelle différence ?

Publié le 12/10/2021 (m.à.j* le 15/12/2022)
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« Naguère », « jadis », « antan », termes dont l’usage est déclinant, sont aujourd’hui employés comme synonymes d’« autrefois », d’« il y a longtemps ». Cependant, ces termes étaient, à l’origine, distincts.

Naguère : définition et origine

Contraction de n’a guaire, qui a lui-même contracté « il n’y a guères » (de temps), c’est-à-dire récemment, il n’y a pas beaucoup de temps. Naguère est un adverbe qui introduit ce qu’il s’est passé il y a peu de temps, c’est-à-dire dans un passé récent, mais plutôt un passé clos. Exemples :

  • Je suis allé naguère à la ville pour faire quelques commissions, mais je n’ai plus rien aujourd’hui.
  • […] Raphaël étendit promptement sur la table la serviette avec laquelle il avait mesuré naguère la Peau de chagrin. (Balzac, La Peau de chagrin, édition de 1845)

On écrivait aussi « de naguère » :

À la fin les mensonges ne me font plus peur
C’est la lune qui cuit comme un œuf sur le plat
Ce collier de gouttes d’eau va parer la noyée 
Voici mon bouquet de fleurs de la Passion
Qui offrent tendrement deux couronnes d’épines
Les rues sont mouillées de la pluie de naguère

Apollinaire, Alcools

Aujourd’hui, il est employé indifféremment comme synonyme d’« autrefois », de « jadis », etc.

À lire ici : aigre, âcre et âpre, quelle différence ?

Jadis : définition et origine

Contraction de « ja a dis », où ja (du latin latin iam) est une forme ancienne de « déjà », et dis (du latin diem) une forme ancienne de « jours » (lundi, mardi, mercredi, etc.). Jadis est un adverbe qui signifie « il y a des jours » et introduit ce qu’il s’est passé il y a très longtemps, dans un temps très lointain. Exemples :

  • Ce pays était jadis un havre de paix, où tout le monde s’entendait, mais c’est désormais un lieu bien dangereux.
  • Je veux rimer, comme les autres. Si j’étais encore ce que je fus jadis, cet Auguste aurait trouvé son Virgile.(Voltaire, Épître à Henri-Quatre, 1774)
  • On dînait maintenant, à Tansonville, à une heure où jadis on dormait depuis longtemps à Combray. (Proust, Albertine disparue, 1925)

On écrivait aussi « de jadis ».

Il accusait Rougon de n’avoir plus son énergie autoritaire, sa foi de jadis au pouvoir absolu, de pactiser enfin avec les idées libérales, dans l’unique but de garder son portefeuille.

Zola, L’Argent

Il était parfois employé comme adjectif : le temps jadis (La ballade de François Villon évoque des reines des temps passés). Aujourd’hui, il est employé indifféremment comme synonyme d’« autrefois », de « naguère », etc.

À lire ici : pourquoi dit-on « il y a des lustres » ?

Précision sur la différence entre jadis et naguère

On le voit avec les exemples donnés : il est rarement évident de comprendre pourquoi un auteur a employé « naguère » plutôt que « jadis ». Dans presque tous les exemples, il pourrait être fait référence tout aussi bien à un passé proche qu’à un passé éloigné : 

Ils contemplaient avec émotion ces lieux naguère chargés de troupes, retentissant du bruit des armes, maintenant ensevelis dans une paix profonde ; ces lieux dorés des derniers feux du jour, animés du sifflement des cardinaux, du roucoulement des palombes bleues, du chant des oiseaux-moqueurs, et dont les habitants, accoudés sur des clôtures frangées de bignonias, regardaient notre barque passer au-dessous d’eux.

Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe

« Naguère » comme « jadis » semblent avoir été ressuscités au XIXe siècle, peut-être par le courant romantique, amoureux du Moyen Âge. On le voit sur le Google n-gram ci-dessous où « jadis », à son étiage au XVIIIe, remonte à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, et « naguère », rare et et quasi éteint au XVIIIe (le Dictionnaire de Furetière, en 1690, le suppose vieillit) ressuscite au XIXe.

jadis naguere antan difference

 

Le résultat est aussi flagrant sur Gallica où l’on compte pour « naguère » 143 résultats pour le XVIIe siècle contre 42 038 pour le XIXe, et pour « jadis », 785 au XVIIe contre 68 082 au XIXe.

Antan : définition et origine

Du latin ante annum, « de l’année d’avant ». Antan est un nom qui renvoie ce qu’il s’est passé l’an dernier.  Cependant, les emplois dans ce sens sont très rares. Même le Dictionnaire du moyen français relève la synonymie avec « naguère » et « autrefois ». Le terme a surtout renvoyé à un célèbre vers de la Ballade des dames du temps jadis de François Villon (mort en 1463), où il s’exclame : « Mais où sont les neiges d’antan ! »

Mais cet emploi est ambivalent : parle-t-il des neiges de l’an dernier ou, plus probablement, de celles de jadis ? Le plus souvent, quand on dit qu’une chose est d’antan, on dit qu’elle date d’il y a longtemps (qu’elle est passée). Exemples

  • Les Goths promenaient avec eux quelques troupes de Huns qui, l’hiver d’antan, avoient passé le Danube sur la glace… (Chateaubriand, Études historiques)
    • On peut lire « l’hiver de l’année dernière ». Mais Chateaubriand aime ressusciter des mots archaïques.
  • […] l’admirable Paris d’antan renaît, avec ses sentes tortueuses, ses culs-de-sac et ses venelles… (Huysmans, La Bièvre)
    • ici, antan est employé comme synonyme « d’il y a longtemps » (jadis)

Antan sert parfois de nom :

Là où l’ancien Marc-de-l’Évêque a été brûlé cet antan

Claudel, L’Annonce faite à Marie, exemple donné par Le Bon Usage

À savoir

Verlaine a publié en 1884 en recueil de poèmes intitulé Jadis et Naguère qui joue sur la nuance entre ces deux termes.