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Louis-Napoléon Bonaparte : premier président de la République française

Publié le 27/06/2022
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Louis-Napoléon Bonaparte (1808 – 1873) est le premier président de la République française. En effet, le neveu de Napoléon Bonaparte (1769 – 1821), fils de Louis Bonaparte (1778 – 1846) et d’Hortense de Beauharnais (1783 – 1837), est le premier candidat a avoir été élu président de la République, de la première république prévoyant cette fonction en France, la IIe République, à l’élection du 10 et 11 décembre 1848. C’est aussi le premier candidat a avoir été élu au suffrage universel masculin, instauré le 5 mars 1848. Il prend symboliquement la suite, à la tête de l’État, du dernier roi des Français, Louis-Philippe Ier (r. 1830.- 1848), renversé à la suite de la Révolution qui donna naissance à la IIe République (22 – 25 février 1848).

Ainsi, la victoire de Louis-Napoléon Bonaparte a été obtenue au premier tour de l’élection avec environ 74% des voix, soit 5,4 millions de voix (55% des inscrits). Il a ainsi devancé le représentant des « républicains modérés », le général Cavaignac (1802 – 1857), chef du gouvernement depuis le 28 juin 1848, qui obtint environ 19,8% des voix, ou d’autres personnalités du moment, comme le poète Lamartine (1790 – 1869) figure de la révolution de Février, humilié par un score négligeable, 17 000 voix environ (0,23%).

Ce succès massif fut une immense surprise. Le profil du vainqueur était singulier. Le neveu de Napoléon, seul prétendant à la couronne impériale après la disparition du fils de Napoléon (en 1832) et de son frère aîné, avait grandi en Italie et en Suisse, et s’était jusqu’alors manifesté comme un aventurier politique. Il avait en effet échoué jusque là à deux reprises de soulever des garnisons pour prendre le pouvoir, la première fois à Strasbourg en 1836, la seconde à Boulogne-sur-Mer en 1840 qui lui valut six années d’emprisonnement au fort de Ham avant de parvenir à s’évader. Il rédige deux ouvrages pendant son emprisonnement, dont De l’extinction du paupérisme en 1844, qui témoigne d’une influence des socialistes Charles Fourier (1772 – 1837) et Saint-Simon (1760 – 1825). Installé à Londres, il regagne la France après la révolution de 1848, et est élu aux élections de juin 1848. Il n’est autorisé à siéger qu’après avoir été réélu en septembre.

Ce succès inattendu s’explique par plusieurs raisons.

D’un côté, Louis-Napoléon reçut le soutien d’un puissant courant conservateur alors émergent, « le parti de l’Ordre » (qui n’était pas un parti moderne comme on l’entend aujourd’hui, mais une coalition politique de forme plus lâche), dont la devise était « ordre, propriété, religion », et qui était mené par quelques chefs notoires (surnommés les « burgraves ») comme Adolphe Thiers (1797 – 1877). Ce dernier voyait dans le neveu de Napoléon un homme inconsistant qu’il serait facile de manipuler. Le parti de l’Ordre ne pouvait présenter lui-même un candidat, parce qu’il était surtout composé de légitimistes, d’orléanistes et de catholiques, c’est-à-dire de partisans du retour de la monarchie.

De l’autre, et surtout, Louis-Napoléon Bonaparte a remporté la présidence grâce au soutien massif des ruraux, dont l’élection a été une des premières manifestations franches en politique. Il a profité dans les campagnes de l’enracinement de la légende napoléonienne, par les anciens soldats, par la diffusion de gravures, de chansons, de médailles, de biographiques illustrées, de lithographies, d’histoires, etc. (comme Balzac le montrait dès 1833 dans Le Médecin de campagne), que détournent ses soutiens à son profit (il a au reste le même prénom que son oncle). La légende impériale était particulièrement vivace dans certaines régions, comme en Corse ou en Charente.

Autrement, les paysans ont peut-être répondu, parfois, aux recommandations des notables locaux, acquis au parti de l’Ordre, ou à celles des ecclésiastiques. Dans certaines régions, il pouvait y avoir de l’acrimonie ressentie envers une République vue comme citadine, ou un geste d’émancipation dans le vote Bonaparte, comme dans la Beauce ou dans la Brie, ou les tenanciers ne suivirent pas le vote des notables pro-Cavaignac (cf. Quentin Duluermoz). Enfin, pendant ses tournées provinciales, Louis-Napoléon Bonaparte s’était présenté avec un programme « attrape-tout », sur sa gauche à la fois soucieux du bien du peuple, promettant des baisses d’impôts, des amnisties et une législation industrielle, et à sa droite comme un homme d’ordre prêt à soutenir la famille, la propriété et la religion, en se disant favorable au pouvoir temporel du pape.

Après son élection, Louis-Napoléon Bonaparte ne dispose pas de tous les pouvoirs. Le président de la République tel que le définit la IIe République, inspirée par les idées américaines, a des pouvoirs limités. En effet, Louis-Napoléon Bonaparte ne peut pas dissoudre l’Assemblée (article 51). En revanche, il détient le pouvoir exécutif, dispose de la force armée et peut proposer des lois à l’Assemblée par l’intermédiaire de ses ministre. Il a en outre l’habileté de se présenter comme un homme de la réconciliation entre les partisans de la monarchie et les républicains. Premier acte symbolique, il ne s’installe pas aux Tuileries comme les rois, mais au palais de l’Élysée. Bien qu’il choisisse un gouvernement composés de proches des orléanistes et des légitimistes, dirigé par Odilon Barrot, il s’efforce de se tenir à distance de l’Assemblée, dominée à partir des 13 et 14 mai par les « blancs » du parti de l’Ordre, qui a pour principal objectif de réduire l’influence des « rouges », les démocrates-socialistes ou « democ-socs », les républicains radicaux. S’il s’engage dans la répression de la journée du 13 juin 1849Il est temps que les bons se rassurent et que les méchants tremblent »), il assure sa popularité par des tournées provinciales où il se présente comme un homme fort et l’avocat du peuple, tandis que le parti de l’Ordre s’attaque aux libertés (suspension de la liberté d’association, enseignement placé sous l’influence de l’Église par la loi Falloux, réduction le corps électoral de 3 millions de personne par la loi du 31 mai 1850, etc.), ce qui lui vaut une impopularité grandissante. Louis-Napoléon Bonaparte s’assure en outre le soutien de l’armée et de députés du parti de l’Ordre (surnommés le « parti de l’Élysée »).

Après avoir tenté, sans succès, de demander une révision de la Constitution afin de pouvoir se représenter pour un nouveau mandat de quatre ans (il n’obtient pas la majorité des 3/4), il fomente, avec l’aide de ses soutiens, son demi-frère Charles de Morny, le ministre de la guerre Armand Jacques Leroy de Saint-Arnaud ou le préfet de police Charlemagne Maupas, un coup d’État (l’opération « Rubicon »), dont les opérations sont déclenchées le 2 décembre 1851, date anniversaire du sacre de Napoléon (1804) et la bataille d’Austerlitz (1805). Le siège de l’Assemblée nationale, le palais Bourbon, est occupé, les députés protestataires sont arrêtés et la résistance, à Paris (faible) et en Province (importante dans certaines régions) est réprimée. Plus tard, des républicains seront déportés en Algérie, à Cayenne, ou emprisonnés durablement. Un décret publié pendant le coup d’État dissout l’Assemblée et rétablit le suffrage universel. Deux proclamations sont diffusées, l’une à l’armée et l’autre au peuple. Dans cette dernière, il déclare vouloir sauver la République, réformer ses institutions, et énonce de manière célèbre que sa mission :

… consiste à fermer l’ère des révolutions en satisfaisant les besoins légitimes du peuple et en le protégeant contre les passions subversives. Elle consiste surtout à créer des institutions qui survivent aux hommes et qui soient enfin des fondations sur lesquelles on puisse asseoir quelque chose de durable.

7 481 231 « oui », soit 92,3% des votes exprimés répondent à un référendum organisé les 20 et 21 décembre suivants posant la question :

Le Peuple français veut le maintien de l’autorité de Louis-Napoléon Bonaparte, et lui délègue les pouvoirs nécessaires pour établir une constitution sur les bases proposées dans sa proclamation du 2 décembre 1851.

Pourtant, le nouveau pouvoir a pour ambition de rétablir l’Empire. Le 21 et 22 novembre 1852, 7 824 189 « oui » répondent au référendum ayant pour objet :

Le peuple veut le rétablissement de la dignité impériale dans la personne de Louis Napoléon Bonaparte, avec hérédité dans sa descendance directe, légitime ou adoptive, et lui donne le droit de régler l’ordre de succession au trône dans la famille Bonaparte, ainsi qu’il est prévu par le sénatus-consulte du 7 novembre 1852.

Le 2 décembre 1852, Louis-Napoléon Bonaparte est proclamé empereur héréditaire des Français sous le nom de Napoléon III. Son règne dure jusqu’à sa chute le 4 septembre 1870 pendant la guerre franco-prussienne. La République remplace le régime impérial déchu. Après le reflux des monarchistes qui la dominaient et qui n’ont pas été capable d’assurer le retour de la monarchie (1875), le régime républicain s’installe durablement en France, ce qui fait que Napoléon III est, à ce jour, le dernier monarque français, en plus d’avoir été le premier président. Le régime républicain, méfiant envers le pouvoir personnel fort (le « césarisme »), a par la suite dépouillé la charge de président de la République de tout pouvoir politique direct, et a fait dériver sa légitimité des parlementaires des deux chambres qui étaient les seuls à l’élire. Le premier président de la République de convictions républicaines, Jules Grévy (1807 – 1891), élu le 30 janvier 1879 par le Congrès réuni à Versailles, déclare le 6 février suivant dans un célèbre message :

Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je n’entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale, exprimée par ses organes constitutionnels

Il renonce de fait à son pouvoir de dissolution de la Chambre des députés, et à tout conflit avec elle. Le retour d’un pouvoir présidentiel fort ne se fait en France qu’au début de la Ve République, sous l’influence du président Charles de Gaulle (élu président en 1958 par un collège de 82 000 électeurs), qui remporte avec 62,25% des voix (13 150 516 de voix) le référendum l’élection au suffrage universel direct du président de la République. Les Français, et cette fois, les Françaises (qui ont obtenu le droit de vote en 1944), peuvent élire pour la première fois depuis 1848 leur président à l’élection de 1965, remportée au second tour par De Gaulle contre François Mitterrand.

 

À lire

David Delpech, Stella Rollet, La France dans l’Europe du XIXe siècle

Quentin Deluermoz, Le Crépuscule des révolutions

Francis Demier, La France du XIXe siècle