Pépin le Bref né vers 714 et mort en 768, est le premier roi des Francs de la dynastie carolingienne. Toutefois Charlemagne masque dans l’histoire des réalisations de son père : elles sont telles que l’historien Pierre Riché (1921 – 2019) parle en effet de « Pépin le Grand ». En plus de faire accéder sa famille à la dignité suprême, Pépin le Bref rétablit l’autorité franque sur un territoire allant de la Septimanie (la côte méditerranéenne de l’Occitanie) à la Bavière, mène la réforme de l’Église avec de célèbres prélats comme Boniface ou Chrodegang, impose une monnaie royale et parvient à s’ériger en prince chrétien défenseur de la foi et protecteur du pape.
Pépin le Bref : maire du palais
Pépin, dit Pépin III, ou Pépin le Bref, né vers 714, est le fils de Charles Martel (règne de 717 – 741), maire du palais, duc d’Austrasie (large territoire autour de Metz) et souverain de fait du royaume des Francs, et de sa première femme Rotrude. Il a un frère aîné, Carloman, et un demi-frère, Grifon. La dynastie mérovingienne règne encore sur le royaume des Francs, même si, depuis la mort de Thierry IV en 737, le trône est vacant. Charles Martel exerce de fait la réalité du pouvoir. Il a alors, entre autres, le titre de maire du palais, l’une des plus hautes dignités du royaume des Francs. Charles Martel transmet à sa succession à ses fils Carloman et Pépin les titres de « chef militaire » (duc, du latin dux), de maire du palais et de prince. Selon Pierre Riché, l’éducation de Pépin le Bref est confiée aux moines de Saint-Denis (Riché 2012, p.63). Il passe une partie de sa jeunesse et fait son éducation à Pavie, à la cour des rois lombards, où l’administration du royaume, héritière de celle des romains, l’a peut-être marqué.
Pourquoi le nom de Pépin le Bref ?
Pépin, dit Pépin le Bref, n’est pas nommé ainsi de son vivant, pas plus que « Pépin III ». Ces appellations apparaissent postérieurement dans l’historiographie. Pépin le Bref est un décalque du latin Pipinus Brevis, qui signifie Pépin le Court. Ce surnom est peut-être dû à sa petite taille.
Le partage de l’héritage de Charles Martel entre Carloman et Pépin le Bref
Charles Martel meurt le 22 octobre 741 à Quierzy. Suit alors la délicate question de la succession et du partage entre ses fils. Marie-Céline Isaïa donne plus de crédit au récit de la succession et du partage relaté par les Annales Royales qu’à celle de l’‘Histoire des Francs, rédigée en 751 (Isaïa 2014, p.32). Les deux frères gouvernent ensemble, et se seraient partagés les terres avec pragmatisme, en fonction des besoins et des dangers liés aux agressions extérieures. L’Histoire des Francs omet en outre de mentionner l’existence de Grifon, dernier fils de Charles et de la bavaroise Swanahilde. Les Annales de Metz avancent que Charles Martel aurait voulu attribuer des terres à Grifon aussi. Selon Pierre Riché, Carloman reçoit l’Austrasie, l’Alémanie, la Thuringe et Pépin la Burgondie, la Neustrie, la Provence et les territoires allant de Metz à Trèves (Riché 2012, p.66). Grifon reçoit des territoires épars. Les deux frères refusent l’héritage de Grifon. Si ce dernier gouverne un temps avec sa mère sur l’espace qui lui avait été assigné, Swanahilde est reléguée dans un monastère à Chelles tandis que Grifon est emprisonné fin 741 près de Liège. En 741, l‘envergure politique de Pépin le Bref est alors moindre que celle de son frère Carloman. Ce dernier semble être le chef de famille (Isaïa 2014, p.32). Il a déjà un fils, Drogon, alors que Pépin est encore célibataire.
Pépin le Bref se marie en 744 avec Bertrade de Laon, dite Berthe au Grand Pied (vers 720 – 783), fille du comte de Laon, riche de possessions dans l’Eifel (Riché 2012, p.81). Ce mariage accompagne la conquête du pouvoir de Pépin le Bref. Ce dernier prend appui sur une famille aristocratique qui était celle de sa grand-mère Plectrude, femme de Pépin de Herstal : « […] il se réclame d’une légitimité politique plus haute et plus ancienne que celle de Charles Martel, celle de ce grand-père Pépin dont il porte le nom (Isaïa 2014, p.33). »
Pépin le Bref soumet l’Aquitaine et la Bavière
Dès 743, Carloman et Pépin rétablissent sur le trône un Mérovingien, Childéric III (743 – 751) pour parer toute contestation de leur pouvoir par les ducs locaux. Les deux frères veulent néanmoins prolonger l’œuvre de leur père Charles Martel, qui avait renoué avec l’expansionnisme des Francs. Ils lèvent l’ost (armée) ensemble.
La conquête de l’Aquitaine
Au Sud-Ouest, le « duché » de Gascogne et d’Aquitaine est indépendant de fait depuis le VIIIe siècle. Ce n’est pas un duché voulu par les Mérovingiens, mais un espace où le duc, chef militaire, gouverne au nom de lui-même. Après la mort du duc d’Aquitaine Eudes en 735, Charles Martel y confirme Hunald, fils d’Eudes. Il lui fait jurer de se soumettre, le plaçant théoriquement dans l’orbite franque. Ce serment permet de légitimer une répression si le duc manifeste des velléités d’autonomies. En 745, Carloman et Pépin interviennent en Aquitaine et y installent Waïfre comme duc des Aquitains et des Vascons. Les deux frères se montrent comme des chefs de guerre victorieux, ce qui consolide leur position alors qu’ils ne sont pas rois.
Odilo de Bavière
En Bavière, Odilo, dont l’ascension avait été favorisée par Charles Martel, gouverne la Bavière et une partie de l’Alémanie. Il légitime son pouvoir par les Mérovingiens, qui auraient donné leurs lois aux Bavarois. Odilo choisit en outre le parti de Grifon à la mort de Charles Martel en 741. Il emmène dans son duché Hiltrude, fille de Charles, enceinte de lui. C’est un danger : par ce mariage, Odilo est entré dans la famille carolingienne. Carloman installe ses troupes en 742 sur le Danube. L’Histoire des Francs, favorable aux maires du palais, rapporte une victoire éclatante de Carloman sur Odilo. La paix est signée en 744, mais Odilo, curieusement, reste au pouvoir en Bavière jusqu’à sa mort en 748 et patronne même la division de son duché avec l’aide de Boniface et l’appui du pape. Il est donc plus probable que les deux frères se soient résolus à passer un compromis avec Odilo. Néanmoins, en Alémanie, Carloman fait preuve de moins de souplesse : il décime les élites compromises avec Odilo, notamment Theotbald, duc des Alamands, à Cannstadt en 746.
Pépin le Bref se légitime comme prince chrétien
La réforme de l’Église par Boniface : primauté pontificale
Une politique de réforme de l’Église et de réformation de la vie chrétienne est lancée par les maires du palais. Elle se manifeste par l’organisation d’une multiplicité de conciles (assemblées d’évêques): le concile germanique de 742, le concile de Leptines en 743, le concile de Soissons en 744. Boniface (Wynfrid de Wessex, alias Boniface de Mayence) en est le bras armé, avec l’aide de Carloman et Pépin le Bref. Mais pourquoi cette réforme ? Il existe toujours sur les territoires francs des pratiques issues des rites païens, comme les divinations. Boniface, partisan de la primauté pontificale, reprocherait plutôt la fidélité des populations à des rites francs plutôt qu’à des rites romains (Isaïa 2014, p.38). Une église n’est donc véritablement catholique qu’en lien avec Rome. L’encadrement des ouailles est en outre amélioré.
Pépin le Bref et Carloman, dans les pas des rois chrétiens
Convoquer des conciles change la nature du pouvoir des deux frères : Pépin le Bref et Carloman, qui ne sont pas rois, se mettent alors dans les pas de grands souverains chrétiens, comme l’empereur romain Constantin (310 – 337) ou le roi mérovingien Clovis (482 – 511). C’est une source de légitimité nouvelle. La politique de restauration de l’ordre ecclésial est aussi une arme dans les mains des princes pour renforcer leur pouvoir. Adalbert, ennemi des deux frères, est condamné pour hérésie à Soissons en 744. Pépin le Bref utilise en outre ce prétexte pour réduire les prérogatives de l’évêque d’Auxerre qui, en plus de ses responsabilités religieuses, dispose d’un pouvoir civil jusqu’à Nevers, Troyes et Avallon. Ses biens sont confisqués en 757.
« Au total, les conciles de 742 – 744 sont l’occasion de resserrer les rangs autour des princes, de compter les fidèles, de montrer que Wynfrid-Boniface, qui avait obtenu la confiance de Charles Martel dès 719 pour la mission frisonne, est bien de leur côté plutôt que de celui de Grifon, et que le pape lui-même ne saurait trouver mieux que Carloman et Pépin pour remplir une mission régalienne » (Isaïa 2014, pp. 39 – 40).
L’armée de Pépin le Bref
Carloman et Pépin le Bref ne sont pas rois. Ils n’ont pas, comme les Mérovingiens, une autorité politique de nature religieuse, déléguée par Dieu. Ils ne peuvent convoquer l’armée franque. Leur armée est probablement composée d’hommes libres convoqués au nom du roi pour la défense du royaume et d’une élite militaire soldée. Clé probable des succès militaires francs, ces hommes sont des combattants aguerris et motivés, qui font campagne pour chercher du butin. En outre, l’époque connaît un progrès dans l’armement. Les combattants peuvent se battre avec des armes supérieures : en effet, les épées damassées (acier de Damas) peuvent être produites par les forgerons à moindre coût. La cavalerie carolingienne se distingue ainsi par l’utilisation d’épées longues et solides (Isaïa 2014, p.47).
Pépin le Bref : roi des Francs
Une situation dangereuse
En 747, Carloman décide de se retirer dans un monastère sur le mont Soracte (près de Rome). Cet acte frappant montre que les motifs religieux invoqués par les deux frères pour mener leur politique sont loin de se réduire à un paravent cynique de leurs ambitions. Leurs convictions religieuses sont probablement réelles. Mais Pépin, sans son frère, se retrouve dans une situation délicate. Grifon retrouve en effet sa liberté avec la complicité d’aristocrates et prend la tête d’une opposition à Pépin. Descendant du duc Theudo, il recrute en Bavière et en Saxe et revendique la succession du duc Odilo mort en 748. Pour le contrer, Pépin laisse Tassilo succéder à Odilo, comme son vassal. Pépin doit en outre installer Drogon, le fils de Carloman, à la tête de la Thuringe en 747. Carloman, même retiré en Italie, est toujours soutenu par de nombreux aristocrates francs.
Le « coup d’État » : l’élection de Pépin le Bref comme roi en 751
Cette concurrence pousse Pépin à prendre le titre de roi : « en somme, Pépin prend moins le pouvoir contre les Mérovingiens, avec lesquels la cohabitation ne semblait pas trop mauvaise, que contre ses parents, qui sont aussi ses rivaux » (Isaïa 2014, p.49). Il organise son élévation au trône en 751. Cette opération n’est pas un coup d’État, mais a été planifiée et organisée jusqu’en 751. À cette date, les grands assemblés à Soissons acclament Pépin comme leur nouveau roi. Selon l’Histoire des Francs, Pépin le Bref et Bertrade auraient alors reçu une onction des évêques : un premier sacre. Ce rite de confirmation est courant dans l’Église romaine. Surtout, cet épisode reproduit avec Pépin le Bref un rite décrit dans la Bible : Samuel répand de l’huile sur Saül pour affirmer à tous qu’il était empli de grâce divine. Pépin le Bref est donc placé dans la continuité des rois d’Israël. Le sacre, plus l’acclamation des laïcs, manifeste en tout cas un consensus de tous pour le choix de Pépin le Bref comme roi. Childéric III, dernier roi mérovingien, est tonsuré et envoyé au monastère de Saint-Bertin (Saint-Omer actuelle) où il meurt en 755.
Le sacre de Pépin le Bref en 754
Avant même son élection comme roi, Pépin avait envoyé ambassade à Rome Fulrad, abbé de Saint-Denis, et Buchard, évêque de Wurzbourg. Le pape Zacharie (741 – 752) les accueille favorablement. Il est en effet sous la menace du roi lombard Aistolf et a besoin de l’aide franque. Pierre Riché suppose que Zacharie a confié aux envoyés de Pépin une lettre dans laquelle il « ordonnait par son autorité apostolique que Pépin soit fait roi » (Riché 2012, p.84). Étienne retrouve le roi à Ponthion en 753. Il demande à Pépin selon les sources franques (Riché 2012, p.88) d’écarter la menace lombarde sur Rome. Le Liber Pontificalis affirme même que le pape aurait demandé à Pépin de l’aider à récupérer l’exarchat de Ravenne. À cette occasion, le pape a peut-être présenté le célèbre faux connu sous le nom de Donation de Constantin, par lequel l’empereur romain aurait cédé à Sylvestre Ier l’ensemble de l’Occident.
En 754, Étienne II sacre de nouveau Pépin et verse l’huile sainte sur le front de ses fils Carloman et Charles. L’Histoire des Francs insiste alors pour montrer dans ce sacre l’alliance entre le pape et les Carolingiens.
Selon une notule ou clausula (acte, clause) datée de 767, considéré parfois comme un faux, Étienne fait défense aux Francs de choisir leurs rois en dehors des Carolingiens, et il associe Carloman et Charles au charisme de leur père :
Le susdit seigneur très florissant, le pieux roi Pépin, par l’autorité et l’ordre du seigneur pape Zacharie de sainte mémoire, par l’onction du saint chrême reçue des mains des bienheureux évêques de Gaule et par l’élection de tous les Francs fut élevé sur le trône royale trois ans auparavant. Ensuite par les mains de ce même pontife Étienne, il fut oint et béni de nouveau comme roi et patrice avec ses sudits fils Charles et Carloman dans l’église des susdits saints martyrs Denis Rustique et Éleuthère où réside le vénérable homme et abbé, l’archiprêtre Fulrad… Et il fit défense à tous sous peine d’interdit et d’excommunication d’oser jamais choisir un roi issu d’un autre sang que celui de ces princes que la divine piété avait daigné exalter et sur l’intercession des saints apôtres confirmer et consacrer par la main du bienheureux pontife, leur vicaire (Riché 2012, p.86).
Ce sacre règle les affaires familiales de Pépin le Bref : il forme avec Bertrade la seule famille royale, aux dépens de Drogon et de ses autres concurrents. Dieu les a choisi pour régner sur le peuple franc. Pour autant, l’intervention en Italie au secours du pape reste une entreprise risquée pour le roi des Francs : il faut laisser derrière lui ses deux fils, Carloman et Charles, comme seuls garants de la continuité dynastique. En avril 754, à l’assemblée de Quierzy, il fait finalement accepter à ses guerriers le principe d’une expédition en Italie.
Les Francs, protecteurs des États du pape
Au printemps 755, l’armée de Pépin le Bref prend Pavie. Le roi des Francs fait promettre à Aistolf de rendre Ravenne. Étienne II peut rentrer à Rome. Mais cette expédition, mal aboutie, n’empêche pas Aistolf de reprendre ses tentatives pour prendre Rome dès janvier 756. Le pape envoie alors trois lettres à Pépin, dont une dans laquelle il exhorte Pépin à l’aider sous peine d’être écarté du royaume de Dieu (Riché 2012, p.90).
En 756, une nouvelle expédition franque s’empare de Pavie. Pépin le Bref confie vingt-deux cités italiennes conquises au pape, constituées en « patrimoine de Saint Pierre ». De fait, le pape se taille un État en Italie, avec pour protecteur, comme « patrice des Romains », le nouveau roi des Francs. Protection de l’Église et défense de la papauté à Rome sont liées pour la première fois. En effet, Rome n’a pas encore ce pouvoir de direction que lui confère la réforme grégorienne du XIe siècle. C’est une Église qui fait office de modèle pour les autres. Les avis et conseils du Pape peuvent servir de références dans le droit canon. Le pape tire surtout son pouvoir de ses réseaux, et de sa position comme héritier du « trône de Saint Pierre ». C’est toutefois en vain que le pape fait appel au roi des Francs, « nouveau David » ou « nouveau Moïse », après 756 : Pépin est occupé par l’Aquitaine.
Une politique extérieure ambitieuse
Suites de l’intervention en Italie
Pépin se dégage quelque peu de l’Italie par la suite. Après 756, il ne se rend plus dans la péninsule. Le pape Paul Ier (757 – 767) multiplie pourtant les signes d’amitié à Pépin : il installe notamment les reliques de Sainte Pétronille près de Saint Pierre et l’invoque comme la patronne particulière des Francs. Mais Pépin reste prudent. En effet, en 756, les Byzantins réagissent à l’intrusion franque en Italie, dont ils revendiquent certains territoires. Ils ordonnent la restitution de vingt-deux cités aux Lombards. L’empereur Constantin V (741 – 775) conclut en outre une alliance avec le roi lombard Didier en 758 pour contrebalancer l’influence franque.
Les Francs face aux Byzantins
Les Byzantins manifestent en 763 leur volonté de reprendre Ravenne, qu’occupe le pape depuis 756. Mais Constantin V, par crainte peut-être de l’armée franque qui protège le pape, choisit la conciliation avec Pépin. Des négociations sont ouvertes pour un mariage entre Léon, fils de Constantin V, et de Gisèle, fille de Bertrade (Isaïa 2014, p.56). Des ambassadeurs francs se rendent à Constantinople en 764 et des patrices byzantins à la cour franque en 764.
Le pape joue alors son va-tout et choisit de jouer sur les querelles dogmatiques entre Rome et Byzance. L’empire d’Orient est traité sur le mode de l’hérésie du fait de l’iconoclasme de l’empereur. Pépin saisit l’opportunité de se présenter comme défenseur de la foi et convoque, selon les Annales royales, un synode (assemblée d’évêques) à Gentilly en 767, où des envoyés byzantins sont présents. Ce synode est une démonstration de puissance de la part de Pépin le Bref. Les projets matrimoniaux avec les Byzantins sont abandonnés.
Poussée vers le sud : conquête de l’Aquitaine et de la Septimanie
La Septimanie, alors sous contrôle musulman, passe progressivement sous contrôle franc. L’armée de Pépin le Bref atteint les rives de la Méditerranée en 755. La capitale de la région, Narbonne, est conquise en 752 ou en 759. La conquête de l’Aquitaine occupe les forces de Pépin le Bref de 756 à 768. On invoque un motif religieux pour justifier cette entreprise militaire : obtenir des Aquitains le droit d’immunité des gens d’Église et de leurs biens. Une expédition est donc menée chaque année. L’armée franque attaque l’Auvergne, le Bourbonnais, prend Clermont en 761 – conquête sûrement sanglante -, puis se dirige vers le Berry pour finir dans le Limousin. Pépin le Bref conquiert ensuite la Touraine. Son expansion territoriale est limitée par la Garonne. Waïfre, duc des Aquitains, est assassiné. En 768, Pépin prend une capitulaire (un acte de loi) de pacification : les aristocrates aquitains peuvent garder leurs biens, et le droit romain, en vigueur, est préservé.
Relations avec les Abbassides
Pour contrebalancer l’influence du califat musulman en Espagne, dirigé par la dynastie Omeyyade, Pépin le Bref cherche à nouer des relations avec les Abbassides, qui dirigent alors l’Empire islamique à partir de Bagdad. Ces relations lui permettraient en outre de contrebalancer la puissance byzantine, harcelée par les Abbassides. Vers 764 – 765, Pépin le Bref envoie une ambassade auprès d’al-Mansûr (754-775), calife abbasside, qui lui retourne à l’automne 767 des émissaires chargés de cadeaux. Il reçoit les ambassadeurs à la Pâques et les fait raccompagner à Marseille (Isaïa 2014, p.63). Charlemagne tentera lui aussi de nouer des relations avec les Abbassides.
Bilan
À sa mort en 768, Pépin le Bref a refait le royaume Franc sous les Mérovingiens du VIe siècle : Neustrie, Austrasie, Burgondie, Provence, Aquitaine, Septimanie, plus les duchés de Bavière et d’Alémanie. La Bretagne reste indépendante, Nantes et Rennes échappant au contrôle des Francs. Une marche autour de Mans est créée.
La réforme monétaire
Pépin le Bref cherche à reprendre le contrôle de l’émission monétaire pour mieux contrôler les intermédiaires qui s’interposent entre les Francs et lui. Nombre de localités ont acquis sous les Mérovingiens, de fait ou de jure, le pouvoir de battre monnaie. Les ateliers monétaires sont alors des sources importantes de revenu pour certaines villes ou certaines abbayes. Les monnayeurs apposent rarement un symbole de l’autorité royale sur les pièces ; certains puissants y apposent même leur nom, comme le patrice Nemfidius de Marseille au début du VIIIe siècle (Isaïa 2014, p.65). Cette « dégradation » de la monnaie traduit une réduction de l’influence du pouvoir central au profit des aristocraties locales.Pépin le Bref reprend la main par la capitulaire de 755 : elle dit que le roi est seul garant de la frappe monétaire. On uniformise en outre la mesure de la monnaie d’argent. Pépin ne supprime pas les ateliers mais impose un poids de référence. Il fait aussi apparaître son monogramme, « le roi pépin » (RP) ou « roi des Francs » (RF) (Isaïa 2014, p.66). La monnaie de confiance devient la monnaie du roi. Le roi est replacé au sommet de la hiérarchie, sans que cela se traduise par une centralisation du pouvoir de frappe monétaire.
Dans la même veine, la capitulaire de 755 rappelle les fondamentaux de l’organisation des tribunaux. Les comtes, auxquels le roi a délégué son pouvoir de justice, rendent des jugements. Contester le jugement, c’est contester la volonté du roi, placé au sommet de la pyramide judiciaire. Cette réforme est donc un signe fort d’affirmation du pouvoir royal, comme un témoigne l’enthousiasme de le numismate Jean Lafaurie (1914 – 2008) :
C’est une révolution monétaire qu’a effectué Pépin le Bref. Il est le premier roi qui a légiféré sur la monnaie, qui a su imposer la sienne et a reconquis le monopole de la frappe. Son oeuvre, qui sera portée à son point culminant par Charlemagne, durera presque un siècle et demi, tant que les souverains seront assez forts pour la défendre (cité par Riché 2012, p.348).
Les réformes de l’Église
L’Église de Chrodegang (742 – 766)
Nommé par Pépin évêque de Metz, Chrodegang veut appliquer un programme réformateur. L’objectif de cette réforme est replacer l’évêque au centre du pouvoir de l’Église : les clercs doivent se dédier à « leur père », l’évêque. Dans les années 750, il impose au clergé séculier une règle de 34 articles : les canones. Des chanoines, parce qu’ils suivent la norme des canons, secondent l’évêque dans toutes ses missions (assistance aux pauvres, prédication, célébration des offices, etc.) et mènent une vie communautaire. Ces canons sont adoptés au concile de Vernus de 755.
Appui aux monastères
Pépin le Bref veut faire reposer son pouvoir sur les monastères. À l’époque franque, la fondation d’un monastère est un geste aristocratique par excellence : « …grâce aux monastères, la richesse, semble-t-il, se transforme en droit de gouverner, comme s’il lui fallait passer au crible de ce pôle de sacralité pour devenir légitime » (Isaïa 2014, p.76).
Pépin et Bertrade ont leur propre fondation familiale à Prüm, monastère fondé par les parents de Bertrade en 721. Il multiplie les exemptions d’impôt dans les monastères, et accorde des immunités, c’est-à-dire l’interdiction faite aux comtes d’intervenir sur les terres des moines pour y percevoir des taxes, lever des hommes ou rendre justice. Par là, le pouvoir royal se manifeste comme protecteur de l’Église.
Pépin le Bref et Saint-Denis
À Saint-Denis, à partir de 760, Pépin constitue un petit groupe de clercs sous la direction de Badilo (760 – 766) et Hitherius (766 – 768). Ils constituent une chancellerie, chargée de délivrer des préceptes ou diplômes et mandements (les ordres du roi). D’autres rédigent les placita, les jugements rendus par le tribunal du palais. Fulrad, abbé de Saint Denis, fait ériger une nouvelle abbatiale, magnifiant un lieu déjà sacré sous les Mérovingiens (Isaïa 2014, p.75). Pépin le Bref vient y mourir (24 septembre 768) et s’y fait inhumer, au seuil de l’église. On peut encore y voir son gisant.
La mort de Pépin le Bref
Pépin le Bref meurt le 24 septembre 768. Ses deux fils, Carloman et Charles, le futur Charlemagne, lui succèdent.
Bibliographie
- Isaïa, Marie-Céline, Histoire des Carolingiens, VIIIe-Xe siècle, Points, 2014, 448 p.
- Riché, Pierre, Les Carolingiens, Une famille qui fit l’Europe, Pluriel, 2012, 496 p.
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